You Have To Burn The Rope (YHTBTR) est un petit jeu flash à première vue sans aucune réelle prétention, semblable à n'importe lequel de ses congénères pullulant sur le net, qui a eu son petit quart d'heure de gloire lors de sa sortie en 2008. On y contrôle un petit personnage rosâtre sans nom flanqué d'un chapeau melon, espèce de croisement improbable entre Kirby et Monsieur Incroyable (pour les connaisseurs :D), se faufilant dans une sorte de grotte au bout de laquelle se terre le Grinning Colossus ("colosse grimaçant" en bon vieux français), qu'il doit tout simplement vaincre.
Le petit détail amusant qui m'a très vite fait tilter, ce sont les énormes similitudes qu'il partage avec Shadow of the Colossus, dont l'inspiration semble plus que criante. Le plus évident, c'est que le jeu est un combat de boss sans trouffions de base à dégommer au préalable, et que le-dit boss s'appelle lui-même "colosse". Mais en creusant un peu plus en profondeur, on constate que dans chacun des deux softs, on n'a pas assez d'informations pour déterminer si on ne joue finalement pas le méchant dans l'histoire : que celui qui peut m'assurer avec certitude que le colosse n'est pas une bête apeurée qui tente de se cacher du sadique simili-Kirby se manifeste sur le champ ! :p
On peut ainsi faire le même constat dans Shadow of the Colossus, où rien ne nous renseigne sur la nature hypothétiquement malveillante des colosses. De plus, rien non plus ne nous assure que les assassiner (car en l'état, il s'agit bien de meurtre) ramènera notre chère et tendre à la vie : on doit croire l'entité Dormin SUR PAROLE. Bref, doutez de tout, même du doute lui-même ! :D
Revenons-en à YHTBTR. Et notamment, sur ses aspects purement vidéoludiques, donc en gros le graphisme et le gameplay. L'aspect est volontairement assez rudimentaire de par sa nature de jeu flash, et donc on n'insistera pas dessus. Côté jouabilité, notre petit protagoniste est invincible et peut sauter et lancer des haches à l'infini. Si celles-ci blessent bel et bien le colosse, celui-ci se régénère continuellement, et son comportement est programmé de telle sorte (mobilité, jets de sortes de bulles) qu'il nous maintient suffisamment à distance pour nous empêcher de pouvoir l'achever. Il faut alors appliquer la solution que nous propose "subtilement" le titre du jeu : brûler la corde, plus précisément celle du lustre pendu au plafond, grâce aux torches fixées un peu partout sur les parois, qui dans sa chute tuera le boss en un coup (là, pour le coup, on est loin de SotC…).
En plus de nous donner la solution dès le début du jeu au travers de son titre, la particularité du soft est qu'il offre également sur un plateau d'argent la marche à suivre pour mettre en application ce plan diabolique :
- 1°/ "There's a Boss at the end of this tunnel"
- 2°/ "You can't hurt him with your weapons"
- 3°/ "To kill him, you have to burn the rope above. Have fun!"
Bon déjà, on peut remarquer deux choses. L'intitulé 2° est en quelque sorte faux, puisqu'on PEUT blesser le boss avec nos armes, mais pas l'achever (c'est en un sens plus cruel). La deuxième, c'est qu'on nous incite LITTÉRALEMENT à prendre du plaisir à tuer, le "Have fun" surligné d'un point d'exclamation étant on ne peut plus équivoque, et rejoint ma thèse initiale qu'on jouerait plutôt le point de vue du bad guy.
Maintenant, jouons un peu à extrapoler le contenu du jeu. Et croyez-moi, je vais beaucoup extrapoler, peut-être même un peu trop. Bref, quels sont les messages sous-jacents que veut nous faire passer le développeur originaire du pays de la dynamite ? Commençons par le plus évident : YHTBTR paraît très largement condamner le challenge revu drastiquement à la baisse dans le JV depuis en gros une quinzaine d'années, malgré bien sûr quelques exceptions, idée que je partage totalement. Il va même plus loin en donnant la solution et la marche à suivre au problème, critiquant de ce fait le manque de patience de certains "gamers" qui abandonnent à la moindre difficulté, notamment à la moindre énigme un peu complexe. Car on voit parfois que certains n'ont pas connu l'avant-internet, période pendant laquelle on se creusait les méninges, tentait de s'entraider dans la cour de récré, et priait en tout dernier recours le dieu chance que notre magazine papier favori propose tout ou partie de la solution tant désirée… C'était le bon temps (ou pas).
Attention, qu'on ne se méprenne pas, je ne milite pas pour que l'industrie aille dans la direction inverse, bien au contraire ! Je serai d'ailleurs toujours favorable à ces bons vieux niveaux de difficulté, et ce, dans tous les jeux, même dans un Dark Soul-like, et je sais que cet exemple bien précis a pu faire friser les poils de certains. Nous ne sommes pas tous égaux devant l'écran, certains ayant plus d'expérience que d'autres, et/ou plus d'affinités avec tel genre, voire tel périphérique. Et si on souhaite plus de reconnaissance de notre média favori par la plèbe, il faut d'abord savoir s'ouvrir à celle-ci. Si je prends mon cas perso, je suis certain d'avoir fini YHTBTR bien moins vite que la plupart d'entre vous, tellement je suis un manche au clavier. Non, sans dec', les directions à droite, c'est trop pas naturel !! Bien sûr, il reste maintenant la problématique de définir ce qu'est une bonne échelle graduée de niveaux de difficulté : des ennemis plus/moins résistants ? Plus/moins véloces ? Des points de sauvegarde plus ou moins proches ? Une IA plus ou moins complexe ? (cette dernière étant ma très nette préférence)… Il y a largement matière à débattre…
Revenons à YHTBTR. Si on (je) va(is) encore plus loin dans l'extrapolation, on peut voir avec le coup des haches finalement inutiles et de l'unique solution viable une critique des contenus qui ont pour seule fonction le remplissage (que je suis souvent le premier à faire!) alors qu'il serait parfois plus judicieux que les jeux aillent à l'essentiel, ce qui empêcherait le sentiment de répétitivité, et par extension la lassitude, et améliorerait le rythme un peu bâtard de certains jeux…
On pourrait même voir dans le design simpliste des protagonistes du jeu une critique envers certains développeurs qui ne se foulent pas à imaginer des chara design audacieux… Mais là, il se peut cependant que j'extrapole un peu trop…
Bref, You Have To Burn The Rope ne vaut pas grand-chose en tant qu'objet vidéoludique, et est plus à prendre pour ce qu'il est : une satire de l'industrie telle qu'elle est aujourd'hui. Exactement comme les DLC Quest en fait. Dernier coup de génie du développeur, il en rajoute une ultime couche avec son thème musical final absolument génial. L'air est rigolo, l'interprétation "magistrale" et les paroles très explicites, qualifiant notre assassinat d'acte héroïque tout en le comparant à une activité basique du quotidien, comme mater une vidéo sur le net… Une manière tout à fait cohérente de boucler la boucle.