Ys Seven par bleubleubleu
De la série Ys, on dit volontiers dans les milieux autorisés qu'elle n'évolue guère et se complait dans un classicisme paresseux. La question que se posent les rares fans d'Adol Christin est de savoir si ceux qui tiennent ces propos ont la moindre idée de ce dont ils parlent. Quoi qu'il en soit, la sortie en septembre 2009 du septième épisode canonique de la série tombe à point nommé pour mettre cette réputation d'immobilisme à l'épreuve d'un jeu, un vrai: Ys Seven.
Une chose au moins est sûre, Falcom ne souhaite pas que vous (moi, le joueur) restiez immobile devant son titre et sait actionner les bons leviers pour ce faire. A commencer par une introduction animée (plans fixes) somptueuse évidemment accompagnée d'un thème très dynamique qui donnerait envie de voyager dans Arthago (la toile de fond de ce Ys Seven) même au pire des casaniers. Et cela tombe bien puisque le voyage commence dès la descente sur le quai (fallait-il vraiment préciser 20 ans après que oui, cela commence toujours dans un port?!) et tout de suite plusieurs idées se mêlent dans l'esprit du joueur (normalement constitué).
Tout d'abord, c'est beau. Mais vraiment: les environnements sont vastes, colorés et vivants. Le contrôle de la caméra n'appartient pas au joueur mais ils nous sont montrés sous un angle idéal qui ne dénote aucune erreur de design. Du début à la fin du jeu, les décors sont un véritable enchantement. Adol est pour la première fois modélisé dans une 3D joliment détaillée et là encore pour la première fois, dans des proportions réalistes. Finie la SD, Adol Christin est désormais un fringant jeune homme taillé pour l'aventure: des épaulières pour appuyer sa carrure, une ceinture pour souligner la finesse de sa taille et des jambières pour achever son image élancée.
Ensuite, cela bouge à la perfection. On avait bien évidement l'habitude d'une série très fluide, très rapide mais ici, la qualité du travail sur l'animation des personnages transfigure réellement l'action, au point de prendre quelques minutes pour tourner en rond, faire des "huits", marcher puis courir, faire des dash (touche X: le dash remplace le saut des cinquième et sixième épisodes de la série), des roulades, pour le seul plaisir d'avancer, d'évoluer comme dans un dessin animé interactif. L'effet est saisissant, la sensation de confort et de liberté immédiate.
Enfin, quand on a bien couru, bien tourné, bien roulé, quand on s'est bien amusé il est impossible de ne pas remarquer que durant ce temps, nous n'étions pas seul à faire le guignol. Dogi, l'éternel compagnon suit et reproduit chaque geste d'Adol. Et il est possible sur une simple pression de la touche "carré" d'en prendre le contrôle: pour la première fois depuis 20 ans, Adol n'est plus le seul personnage jouable. Dans l'absolu cela ne change pas grand chose, les trois persos jouables en même temps correspondent en fait aux trois épées de Ys VI. Dogi par exemple est un frappeur capable de mettre à bas les bêtes caparaçonnées tandis qu'Aisha (princesse d'Arthago) porte des attaques perçantes adaptées aux ennemis rapides et Adol, des attaques coupantes plus polyvalentes. Trois types d'attaques pour trois types d'ennemis différents, l'idée est éprouvée. Toutefois cela répond pour l'essentiel aux fantasmes des joueurs et surtout le système de combat ne se limite pas à cela. A force d'attaques simples, une jauge se remplit qui permet d'utiliser des skills divers et variés afin de se rapprocher rapidement de son adversaire, de porter une attaque de zone, une attaque lourde etc... Parallèlement, une autre jauge commune à tous les personnages se remplit elle, seule avec le temps, et permet au héros que dirige le joueur de lancer une furie dévastatrice, très joliment mise en scène et évidemment extrêmement efficace. Bref tout est fait pour proposer au joueur le gameplay le plus riche et le plus dynamique possible. Tout cela dans un seul objectif, fluidifier les phases d'exploration qui sont l'essentiel du plaisir de jeu.
Adol et Dogi débarquent cette fois-ci dans le duché d'Arthago, une contrée au climat méditerranéen posée au bord du continent Afroca. Arrêté à tort puis relâché sur la foi de sa grande renommée en tant qu'aventurier, Adol est amené devant le duc Kymar qui en l'échange du droit de circuler librement dans le pays, lui demande d'inspecter un petit temple récemment mis à jour par un tremblement de terre. Là-bas il recevra l'oracle du premier des cinq dragons légendaires d'Arthago qui le prévient, en substance, d'un danger grave qui pèserait sur le pays.
La première partie du jeu demande donc d'explorer les cinq régions d'Arthago pour écouter le mot des dragons et tenter de faire le jour sur cette mystérieuse menace. Et le dépaysement est au rendez-vous, d'abord parce que contrairement à Ys VI qui confinait le joueur sur une petite île escarpée, Ys Seven propose un territoire disponible à l'exploration extrêmement vaste. Chaque région est construite autour d'un village et du temple qu'il protège, selon les codes du jeu de rôle japonais classique. Shannoa au sud d'Arthago est un village de chasseurs caché au sein d'une forêt profonde; l'architecture de Segram est faite d'habitations en pierres brutes et massives qui protègent leurs habitants de la chaleur et des tempête de sable du désert. Les moulins à vent de Kylos symbolisent entre terre et ciel la réclusion méditative de ses villageois. Toutefois avant d'arriver jusque là il faudra bien entendu parcourir des plaines à perte de vue, franchir des marécages infects, gravir des montagnes abruptes, traverser des grottes obscures et évidemment combattre des monstres par centaines. Les maps sont étendues; pas aussi permissives qu'un Monster Hunter (par exemple) mais suffisamment grandes pour que l'on puisse s'y perdre et surtout suffisamment intéressantes pour que l'on veuille s'y perdre! Il serait difficile de se tromper de direction puisque des panneaux indicateurs sont disposés savamment aux croisements importants mais il n'est pas rare de prendre un mauvais tournant et de découvrir une clairière mystérieuse, ou bien dans le pire des cas, un boss optionnel capable de vous assommer d'un coup de queue négligent. Les tableaux sont constamment animés d'une vie incroyable, les monstres se déplacent seuls ou en groupe, ils dorment ou bien se portent obligeamment sous le fer de votre épée, l'herbe peut être coupée pour libérer de nouveaux passages, il y a partout du bois mort, des fruits, des cristaux à ramasser qui serviront à la revente ou à forger de nouvelles armes; le relief enfin, achève d'animer ces environnements colorés, éclairés par une lumière somptueuse.
La carte dans son ensemble n'est pas disponible d'entrée de jeu parce que tel chemin est obstrué par un éboulement, parce que tel autre est gardé par des monstres qu'Adol ou Dogi ne peuvent défaire par eux même. Si Falcom tient au plaisir de l'exploration il tient également à garder le contrôle de l'aventure du joueur. On ne va pas n'importe où, n'importe quand. La progression est limitée entre autres par l'utilisation d'objets, il est impossible par exemple de traverser une grotte sans lanterne. Ces objets se trouvent pour la plupart dans les temples et servent d'ailleurs en premier lieu la progression dans le donjon. Cela se passe en définitive un peu comme en extérieur, on avance toujours en tuant des monstres par dizaines (et en une demie-seconde) qui explosent joyeusement en une pluie d'objets mais il faut surtout utiliser le bon objet au bon moment (des bottes de métal sur des pics, une cape magique sur un ventilateur, etc), actionner des leviers dans le bon ordre pour dégager le chemin qui mène jusqu'au combat final contre le boss.
Et dieu sait combien une fois qu'on a goûté le premier boss fight de Ys Seven, l'on est avide de goûter au suivant! Les boss dans la série sont traditionnellement grands, forts et magnifiques. Les boss dans Ys Seven sont particulièrement grands, particulièrement forts et particulièrement magnifiques! Chaque combat est l'occasion d'une débauche d'effets graphiques somptueux et la cause d'une tension délicieuse (relative au niveau de difficulté choisi). Chaque ennemi a ses attaques et ses points faibles. Il y a chaque fois une technique différente et si l'on retrouve quelques classiques, le casting de ce septième épisode ne laisse pas de nous surprendre et de nous émerveiller, jusqu'au boss final proprement gigantesque et somptueux.
Ainsi, en terme d'univers et de richesse de jeu, le titre de Falcom tient toutes ses promesses. Mais il était également attendu pour sa bande-son. Il y a toujours un (ou plusieurs !!) endroits dans les titres du studio où l'on ne veut plus avancer, on ne bouge plus pendant dix minutes pour écouter simplement la piste qui tourne en boucle. Il n'y a pas de tels moments dans Ys Seven. Non pas que les musiques soient mauvaises, cela reste toujours bien au dessus de ce qui se fait parmi les petits studios japonais mais parce que c'est un Ys (et non pas un Legend of Heroes, un Brandish...) la majorité des pistes sont construites pour donner envie au joueur de continuer! D'avancer, encore et plus vite! La majorité des pistes sont des compositions très dynamiques, d'une excellente qualité de production certes et tout à fait aptes à habiller un combat électrique contre un boss déchainé, mais elle sont si fréquentes et si présentes qu'on en viendrait parfois à regretter que les thèmes simplement mystérieux, inquiétants ou joyeux là encore tout à fait adaptés aux passages qu'ils illustrent soient si peu nombreux. L'OST est disponible chez Falcom et bien sûr, elle s'écoute sur le web, ce qui reste le meilleur moyen de s'en faire une idée. Le thème de Kylos se distingue comme particulièrement calme et beau.
Reste enfin le joyau de la couronne de tout role playing game respectable, son scénario et la façon dont il est mis en oeuvre. Contrairement à une importante partie de la production actuelle Ys Seven n'a pas l'ambition de faire s'émouvoir son joueur à l'aide de drames sophistiqués ni de le capturer dans des circonvolutions scénaristiques compliquées. On est bien plus proche en cela d'un Zelda que d'un Kingdom Hearts (par exemple) avec une différence notable qui fait le charme de la série de Falcom. Le monde de Ys et ses personnages répondent à des dimensions bien plus humaines. Il est d'ailleurs possible de suivre sur une carte le chemin qu'emprunte Adol de sa première aventure jusqu'à la dernière. Si Link est l'éternel héros de la légende, l'élu des déesses, destiné à sauver le monde de l'infâme Ganondorf, Adol est l'éternel aventurier, le chasseur de trésors, l'explorateur, le voyageur. Ainsi quand au tournant de l'histoire il lui est demandé de rester pour sauver le pays ce n'est pas dans en tant que héros mais en tant qu'homme et ce n'est pas par devoir mais pour l'aventure qu'il accepte. Cette humilité toute Falcomienne se retrouve encore dans le scénario. Sans en révéler trop sur l'histoire, le monde d'Arthago est menacé par une maladie incurable et mortelle qui se répand parce que les gens ont abandonné leur anciennes pratiques et leurs anciennes croyances en adoptant un mode de vie confortable procuré par le développement intensif du commerce au détriment des populations les plus pauvres.
Amusante métaphore de la situation d'un studio indépendant et de sa vision du jeu vidéo dans une industrie dominée par des géants de l'édition aux blockbusters multi-millionnaires.
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