Bibliophilie pas vraiment obsessionnelle — 2021
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Le Culte de la charogne. Anarchisme, un état de révolution permanente (1897-1908) — Le cinéma, un art subversif — De sang-froid — Ni Dieu ni maître, une histoire de l'anarchisme — La langue de bois (Françoise Thom) — Clair-obscur (Natsume Sōseki) — Johnny s'en va-t-en guerre ...
22 livres
créee il y a presque 4 ans · modifiée il y a presque 3 ansJe pense trop
Je pense trop : Comment canaliser ce mental envahissant
Sortie : 22 novembre 2011 (France). Vie pratique, Entretien
livre de Christel Petitcollin
Morrinson a mis 1/10.
Annotation :
Si on peut comprendre la bonne intention derrière ce livre, que ce soit dans sa conception ou dans le fait de l'offrir, on comprend assez vite que le travail de Christel Petitcollin est bâclé et proche du charlatanisme le plus total. Cette femme qui se présente comme "écrivain, conférencière, conseil et formatrice en communication et développement personnel" propose une définition avantageusement subjective, opportuniste et vague de la "surefficience mentale" de telle sorte qu'une immense proportion de personnes s’identifiera sans forcer dans les cases qu'elle dessine. Peu importe si de nombreuses descriptions ne semble pas du tout nous correspondre : l'essentiel est de ratisser large et que quelques-unes au moins nous correspondent, façon astrologie dans un journal gratuit.
Globalement le bouquin repose sur une conception fallacieuse, incroyablement simpliste et erronée, un mythe d'apprentis neurologues selon lequel on pourrait distinguer les gens qui utilisent plutôt l'hémisphère gauche de leur cerveau (le cerveau analytique, celui des "normo-pensants" dans le texte) de ceux qui utilisent plutôt le droit (le cerveau émotionnel, celui des "surefficients" et des PESM [une pelletée d’acronymes], siège de l'imagination, des émotions, de la créativité). Comme pour le reste de sa théorie, Petitcollin n'avance aucune preuve, sans fondement scientifique, et pour cause : il a été démontré que les individus ne font pas fonctionner un hémisphère plutôt qu'un autre. Elle pousse la dichotomie encore plus loin en distinguant les surefficients, empathiques, bienveillants et incompris, des gens normaux, individualistes, lents et superficiels. Sans honte. Avec en plus une emprise présentée comme systématique des PESM, victimes des pervers narcissiques.
Bien sûr, pour son discours, elle est contrainte d'écarter le QI comme une mesure parmi d'autres, pour uniquement se concentrer sur l'hyperesthésie. Un propos confus, infondé, subjectif, manichéen, peu documenté ("j'ai pas la place en notes de bas de page" pour une biblio qui compte seulement quelques dizaines d'entrées, quelle blague), à vocation purement mercantile, la tête de gondole en magasin vendu à prix d'or. Un condensé de charlatanisme psychologique truffé de fautes, en prime.
Collector : la description d’un univers paranormal expliqué par la physique quantique (bien sûr : "observez-vous résonner comme du cristal"), l'enfant intérieur à consoler, la faute du père, les vertus de l’homéopathie.
La Fabrique du consommateur
Une histoire de la société marchande
Sortie : 4 juin 2020 (France). Essai, Histoire
livre de Anthony Galluzzo
Morrinson a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Un travail touffu, orné d'une solide biblio et très agréable à lire sur l'évolution du mouvement de croissance et de diversification de la consommation, du milieu du 19ème siècle jusqu'au début du 21ème siècle. Un spectre large d'un peu moins de 200 ans qui épouse l'avènement du marché mondial, à travers l'interconnexion planétaire selon une quantité sans cesse croissante d'objets et de modes, et ce en prenant pour point d'origine la subsistance autonome des paysans français qui vivaient en autarcie vers 1800.
La contextualisation de la problématique au début du 19ème siècle, dans la France rurale et fragmentée en parties indépendantes, est assez intéressante : une époque où les contraintes de transport (routes et moyens de locomotion essentiellement) enfermaient les habitants dans leurs villages, formant des ilots autarciques qui maîtrisaient, sous la contrainte de survie bien sûr, toute la chaîne de production. L'exemple du quotidien paysan est éloquent, de la possession d'outils actifs plutôt que d'objets passifs, du conditionnement du cochon (hier activité plurielle et familiale, aujourd'hui réduit pour beaucoup aux barquettes sous vide du supermarché).
Le chapitre portant sur la marque comme transfert de responsabilité et de standardisation montre comment elle agit sur les imaginaires et les représentations, comment elle constitue une sorte de palliatif à la dépersonnalisation des échanges, phagocytant la valeur d'usage. Dans un registre connexe, il est question de la translation de l'intérêt des boutiquiers vers les grands magasins : passage de peu d'articles chers où la négociation avait sa place à un stock d'articles peu chers, dans un flux continu au sein d'une spectacularisation de la marchandise (cf. la psychologie des foules chez Gustave Le Bon). Apparaît à ce moment la notion de cathédrale de la consommation, avec sédentarisation de la clientèle sur le lieu de vente, socialisation de la clientèle féminine, et étourdissement des clients devant l'infini de consommation qui s'offre à eux.
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Psychologie des foules (1895)
Sortie : 1895 (France). Essai, Psychologie
livre de Gustave Le Bon
Morrinson l'a mis en envie.
Annotation :
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L'histoire de la culture matérielle bourgeoise prend le relais, avec les objets vivants (domestiques, femmes), l'économie de la valeur-signe (cf. Baudrillard et Thorstein Veblen) en plus des valeurs d'échange et d'usage en économie classique. La peur de l'homogénéisation, avec le besoin de cultiver une singularité, pousse à devenir l'entrepreneur de sa propre distinction.
Le passage du magasin au magazine, avec un modèle économique précis qui conditionne fortement le contenu éditorial. Le cinéma comme éducation à la consommation, avec implémentation d'un imaginaire et normalisation de la marchandise : les flappers (garçonnes en français), métaphore du changement social où l'identité passe par l'apparence. Sous les traits de la femme émancipée naît la consommatrice moderne. La femme et l'enfant vus comme catalyseurs puissants de consommation, de nouveaux marchés à conquérir, de nouveaux relais du discours publicitaire. La contre-culture, aussi, comme vecteur puissant de l'ordre capitaliste à même de trouver dans n'importe quel mouvement le support de sa croissance.
History of Information Graphics (2019)
Sortie : 2019. Beau livre
livre de Sandra Rendgen et Julius Wiedemann
Morrinson a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Un recueil grand format de chez Taschen explorant l'histoire de l'infographie à travers deux perspectives : quelques grands segments temporels et quelques thématiques d'analyse. Depuis le Moyen Âge jusqu'à la fin du XXe siècle, un panorama impressionnant de cartes, diagrammes, schémas, et autres représentations imagées farfelues pour couvrir une diversité de domaines incroyable, astronomie, cartographie, zoologie, technologie, urbanisme, histoire, etc. La diversité des documents reproduits est tout aussi impressionnante, avec de vieux manuscrits médiévaux, des parchemins au sens obscur, des cartographies manuscrites du cosmos à différentes étapes de la connaissance, des cartes extrêmement pointilleuses, en passant de pépites jamais vues à de grands classiques (le planisphère de Martin Waldseemüller, les dessins naturalistes d'Ernst Haeckel, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci). Un grand travail de contextualisation est apporté à chaque fois, à l'occasion de quatre grands temps : 1) Moyen Âge, 2) Début de l'époque moderne, 3) 19ème siècle et 4) 20ème siècle. Quelques sections thématiques, aussi : transformation de la connaissance en information visuelle, les données sous forme de carte, la compréhension des machines, ou encore les infographies de presse. Une exploration assez passionnante qui vaut bien une non-visite de musée par les temps qui courent.
Où l'on découvre qu'on se moquait, déjà au XVIème siècle (1590), de l'essor que connaissait la cartographie scientifique en lien avec les intérêts géopolitiques du pouvoir, avec cette illustration d'un fou du roi coiffé d'un bonnet à grelots dont la face est aveuglée par une carte du monde. Des manuscrits (comme celui de Voynich) rédigés dans une écriture mystérieuse qui n'est toujours pas déchiffrée aujourd'hui, laissant le doute sur l'intention : codage graphique raté ou bien blague vieille de 5 siècles, impossible de savoir aujourd'hui. Les pépites de ce style abondent, avec les fameux dessins gravés en 1972 sur les plaques de Pioneer qui renseignent sur la Terre, dans le cas où elles seraient découvertes par des formes de vie extraterrestre, ou encore des cartes vieilles de 200 ans aussi précises que des cartes modernes de métro, avec les nœuds principaux du réseau postal de l'empire des Habsbourg, ses connexions et les horaires quotidiens des voitures à cheval. On pourrait passer des heures à observer certains de ces documents.
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Information graphics
Edition trilingue français-anglais-allemand
Sortie : 4 avril 2012 (France). Beau livre
livre de Sandra Rendgen
Annotation :
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La transmission de l'information par l'image forme dans cet atlas un peu particulier de la connaissance quelques ilots parfois très hétérogènes, avec par exemple des arbres généalogiques royaux du XIXe qui côtoient des plans des fontaines de Paris au XVIIIe et un organigramme des studios Disney au milieu du XXe. Près de 400 documents couvrant un petit millénaire, essentiellement centré sur l'Europe et l'Amérique du Nord. Bien qu'une trame chronologique structure vaguement le tout, c'est plutôt l'hétérogénéité de l'évolution des modes de représentation qui charpente le propos, avec des contributions de cartographes, bien sûr, mais aussi de statisticiens, de médecins, de militaires, de designers, ou d'astrophysiciens qui essayaient de communiquer l'information d'une manière différente.
Pépites du Moyen Âge.
Un plan architectural dessiné en 819 d'un monastère complexe qui ne correspond pas à la réalité connue par ailleurs, et interprété comme une méditation graphique sur la communauté monastique.
Beaucoup d'arbres généalogiques, centre d'intérêt visiblement central, et beaucoup de travaux cosmologiques.
Un argumentaire schématisé en 1330, rédigé comme une conception logique du savoir, dans le but de convaincre au christianisme les musulmans et les juifs à l'aide d'un système rationnel.
Pépites du début de l'époque moderne.
Une carte de 1555 dessinée par un flibustier français, qui comblait les lacunes géographiques du continent nord-américain par des productions de son imagination, mêlant vrai et faux dans le même document (carrément impensable aujourd'hui).
Des ouvrages cartographiques d'une minutie impressionnante, comme l'atlas Harmonia Macrocosmia de Andreas Cellarius en 1660 qui condense les connaissances astronomiques (et donc avec une vision géocentrique de l'univers) de son époque. Des objets de prestige, aussi, qu'on offrait aux rois.
Des gravures pour faire découvrir le possibilité d'une invention technologique, comme le microscope avec des informations sur l'anatomie de choses répugnantes (cristaux d'urine, anatomie des puces).
Les premières fois : table de distances entre grandes villes d'Europe, plan du réseau d'eau de Paris, carte minéralogique, tableau poléométrique, plan panoptique de Jeremy Bentham, carte d'élévations topographiques.
Une représentation anti-esclavagiste, en Grande-Bretagne vers 1790, autour du stockage des esclaves sur les ponts inférieurs d'un négrier, impressionnante.
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Grid Systems in Graphic Design
Raster Systeme Fur Die Visuele Gestaltung
Rastersysteme für die visuelle Gestaltung
Sortie : 1981 (France). Essai, Beau livre
livre de Josef Müller-Brockmann
Annotation :
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Pépites du XIXe.
1849, les cartes servent à suivre l'épidémie de choléra qui gagne le Royaume-Uni, en s'appuyant sur une méthode statistique et de nouvelles façons de visualiser les données. On cherche les agents pathogènes et les facteurs de propagation en croisant les informations (altitude, densité de population, qualité de l'eau, type de canalisation).
Une représentation, apparue vers 1800, des plus longs fleuves et des plus grandes montagnes de toutes les régions du monde, au sein d'un tableau imposant.
Premiers détournements satiriques des cartes, à l'occasion de la guerre franco-allemande de 1870, pour marquer les différents acteurs du conflit.
Demande à la poussière (1939)
Ask the Dust
Sortie : 1986 (France). Roman
livre de John Fante
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
John Fante a un style vraiment particulier, un style sale à la limite de l'argotique sans tomber dans ses excès, et en use extrêmement bien pour décrire le monde d'Arturo Bandini. Quelques grands moments, essentiellement dans des sentiers de traverse éloignés de la trame principale qui le relie à Camilla, sa "princesse maya", trame avec laquelle j'ai eu pas mal de difficulté à frayer, notamment à cause de cette velléité sale et de ces atermoiements bizarres qui hantent et structurent toute leur relation. La dynamique très chaotique de leurs rapports est très largement déstabilisante. Mais, donc, il y a quelques grands moments qui suffisent à laisser une empreinte indélébile.
Chronologiquement, c'est déjà la préface écrite par Bukowski, une préface de l'espace. "Un jour j’ai sorti un livre, je l’ai ouvert et c’était ça. Je restai planté un moment, lisant et comme un homme qui a trouvé de l’or à la décharge publique. Je sortis le livre et l’emportai dans ma chambre. Je me couchai sur mon lit et le lus. Et je compris bien avant de le terminer qu’il y avait là un homme qui avait changé l’écriture. Le livre était Demande à la poussière et l’auteur, John Fante." Imposante. Il y a aussi la relation que Bandini entretient avec Vera, moins chaotique, produisant moins d'étincelles, mais avec une profondeur insolite et une tendresse paradoxale. Le passage avec le tremblement de terre est également un moment hallucinant, l'atmosphère catastrophique et presque incompréhensible qui s'en dégage est incroyable... Et puis il y a ce dernier chapitre.
Une façon étrange de s'exprimer, des phrases qu'on prend en pleine gueule et qui font mal, même s'il persiste quelques ilots de lyrisme et de poésie dans cet océan de rebuts, de laissés-pour-compte et de déchets de l'American Dream ("j'ai de la chance, je suis né Américain" hahaha). Sacré instantané de chaos. "J'ai vomi leurs journaux, j'ai lu leur littérature, observé leurs coutumes, mangé leur nourriture, désiré leurs femmes et visité leur musée. Mais je suis pauvre et mon nom se termine par une voyelle, alors ils me haïssent, moi et mon père et le père de mon père, et ils n'aimeraient rien tant que de me faire la peau et m'humilier encore, mais à présent ils sont vieux, en train de crever au soleil et au milieu de la rue, en pleine chaleur, en pleine poussière."
Un hamster à l'école (2021)
Sortie : 14 janvier 2021. Aphorismes & pensées, Culture & société
livre de Nathalie Quintane
Morrinson a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Les extraits que j'avais pu lire ne laissaient pas vraiment de place au doute mais la lecture de ce récit vaguement autobiographique d'une professeur de français dans le secondaire aura été particulièrement agréable, un coup de cœur comme j'en ai rarement à vrai dire. Le style, brut, par saillies, d'une vulgarité sincère bien maîtrisée, est le point fort de "Un Hamster à l'école", en lui conférant un côté littéraire original et prenant, presque du parlé, sans fioriture, brut de décoffrage en un sens. Un récit à la première personne qui ne s'embarrasse pas beaucoup des conventions, ni dans le fond ni dans la forme, pour donner corps à une sorte de pamphlet sur l'éducation nationale saisissant, du point de vue de son expérience personnelle, jamais présentée comme représentative, généralisable, etc. Un bloc déstructuré à l'image de sa mise en page chaotique rappelant certaines poésies, développent un courant à la fois très drôle et assez violent, un de ces coups de sang à la fois teintés de désespoir, de fatalisme, avec un soupçon revigorant malgré tout. Le ton éminemment vindicatif ne s'accompagne pas d'un regard moralisant, Nathalie Quintane se contraignant à une forme d'humilité fort appréciable tout en observant avec ses sens acérés le système éducatif, l'aliénation rampante, la normalisation, l'endoctrinement, le tout vraiment sans verser dans la pédagogie de comptoir. Ce n'est pas du tout un essai sur l'école. Le texte jouit d'une efficacité étonnante à travers cette langue très orale (tout en étant plus complexe par moments) pour pointer les dysfonctionnements plus ou moins profonds et latents, avec un goût pour l'irrévérencieux affiché. Rapide, vif, avec le côté corrosif du brûlot écrit en colère.
Black Boy (1945)
Sortie : 1947 (France). Roman
livre de Richard Wright
Morrinson a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
L'histoire de Richard Wright, un jeune garçon noir dans le Sud ségrégationniste des États-Unis, dans le Mississippi, Arkansas et Tennessee des années 30 et 40. Le récit est sans fioriture dans le style, franc et direct, avec une attitude descriptive sans psychologie démentielle, respectant à ce titre le regard de l'enfant qu'il était alors — le récit couvre une période vague qui s'étale de ses 4 ans, avec l'incendie de la maison de sa grand-mère qu'il a provoqué jusqu'à ses 20 ans, avec les premiers espoirs de déménagement dans le Nord, à Chicago, symbole de liberté promise. Un roman autobiographique (au moins en partie) écrit à 35 ans qui donne une représentation du racisme brillant par sa sincérité, par sa pénétration, et par sa capacité à rendre le système d'oppression tangible.
Une description minutieuse de l'enfance d'un enfant marquée par la bigoterie de ses grands-parents, par l'hostilité de son environnement, par la pauvreté, la faim, la débrouille. "Black Boy" est toutefois d'une remarquable sobriété des sentiments et évite totalement la moindre trace de misérabilisme — alors que le contenu particulièrement intense aurait pu y conduire sans trop forcer. L'expérience de la faim, notamment, est quelque chose qui structure son état d'esprit, sujet de nombreux questionnements (pourquoi ne puis-je pas manger à ma faim alors que les autres enfants le peuvent ?) et d'un conditionnement hallucinant. Le regard qu'il porte sur les manifestations des inégalités raciales est toujours à hauteur d'enfant, avec autant de simplicité que de naïveté, sans excès d'intellectualisation, reproduisant ainsi un système de pensée franchement incroyable, une immersion dans une enfance chaotique à travers laquelle il navigue comme dans une tempête.
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Une faim d'égalité (1977)
American Hunger
Sortie : 1977 (États-Unis). Autobiographie & mémoires
livre de Richard Wright
Morrinson l'a mis en envie.
Annotation :
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Sa débrouille pour trouver du travail et gagner les quelques dollars qui lui permettront de manger et survivre, en passant inlassablement d'une répression à une autre, en dehors des chemins de l'école — son parcours scolaire est très chaotique —, tisse une toile de fond qui rythme tout le récit, avec la figure du Blanc oppresseur qui se dessine progressivement avec une diversité sans cesse supérieure. Le roman a été critiqué pour son mélange de réel et de fiction, mais au-delà de cette question il en résulte le portrait d'un enfant à l'aube de l'âge adulte pétri de blessures et de fardeaux qui auront largement contribué à sa construction. Le façonnage de son identité n'est jamais vraiment explicite mais c'est quelque chose qui se dégage très bien, en prenant du recul. Tout comme la lutte intérieure constante pour savoir quelle réaction adopter ou ne pas adopter en fonction des situations et des interlocuteurs.
Beaucoup de passages marquants, en plus de l'incendie initial : sa relation avec la furieuse Tante Addie, ses altercations avec Oncle Tom, le combat de boxe avec un autre enfant Noir organisé par des Blancs, les assassinats, la relation avec un Blanc qui lui permettra d'emprunter des livres à la bibliothèque, la maladie de la mère, etc. Un récit à la fois violent et nuancé, partagé entre des élans de conscience sûre et d'impuissance face à l'arbitraire, avec toujours en ligne d'horizon l'apprentissage d'une forme de soumission feinte.
Histoire des pratiques de santé (1993)
Le sain et le malsain depuis le Moyen Âge
Sortie : 3 septembre 1999 (France). Culture & société
livre de Georges Vigarello
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
À la fois plus touffu (car s'attaquant à une thématique beaucoup plus vaste) et plus dilué dans son efficacité que "Le Propre et le Sale", cet autre essai historique de Georges Vigarello étudie avec une rigueur bibliographique impressionnante l'évolution des pratiques de santé du Moyen Âge jusqu'à nos jours. On retrouve les mêmes configurations (et donc les mêmes limitations à mon sens) ici dans "Histoire des pratiques de santé" : l'analyse ne s'attarde que très peu sur le début de la chronologie qui commence ici au XIIIe siècle, passe énormément de temps sur le XIXe siècle, et zappe totalement le XXe avant de se terminer sur quelques remarques conclusives à la charnière du XXIe — apparition du sida, affaire du sang contamine, et maladie de Kroesfeld Jacob occupent tout l'espace et font vraiment pâle figure en regard de la densité de tout ce qui a précédé. Il manque vraiment un gros bout de transition, d'une part, et d'autre part l'analyse de l'époque moderne (à l'époque de la parution, dans les 1990s) est expédiée particulièrement vite.
Le style de Vigarello est précis, il écrit bien, mais iol n'empêche que sur la durée, avec un matériau aussi riche, on peut avoir une sensation d'étouffement devant la lourdeur académique et la répétitivité des structures qui analysent très froidement et très chronologiquement son sujet. Derrière ces défauts qui font de ce livre une lecture pas des plus reposantes, une mine d'or. Évolution des pratiques de santés, donc, mais aussi des mentalités, des rapports au corps, des croyances, des peurs, des manifestations culturelles. C'est un thème vraiment passionnant qui va au-delà de la seule question du propre et du sale ici, même si la question de la propreté et de l'hygiène est également abordée ici de manière plus succincte. Vigarello parvient à relier les anecdotes historiques et scientifiques dans une toile de fond beaucoup plus large et constructive.
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Les Métamorphoses du gras
Histoire de l'obésité
Sortie : 2010 (France). Culture & société
livre de Georges Vigarello
Annotation :
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L'évolution des coutumes et de la perception du corps autant que de la maladie : on part de très loin, à une époque où on obéit au cosmos avec les questions d'humeurs, de miasmes et de propagation du mal par l'odeur, avec poudres, perles et liqueurs d'or, mais aussi épices et boissons. Il décrit très bien comment durant le Moyen Âge on se méfie avant tout de l'air, vecteur de contagion identifié comme le plus dangereux, avec des connaissances extrêmement pauvres en matière de physiologie et de fonctionnement du corps humain. Le principe des flux, de la saignée, des parfums, et peu à peu l'apparition d'une considération pour la résistance et l'endurcissement en prévention, en travaillant les fibres du corps, l'évacuation des mauvais composés, et la peur rampante de la phtisie — tuberculose pulmonaire. Plus on avance dans le temps et plus l'hérédité et la génétique prennent de l'ampleur, en même temps que la connaissance scientifique progresse (avec notamment Pasteur le pionnier de la microbiologie). Certains recoins historiques sont rébarbatifs mais la fresque dessinée est imposante.
Sur le chemin des glaces (1978)
Vom Gehen im Eis
Sortie : novembre 1988 (France). Récit
livre de Werner Herzog
Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
En novembre 1974, Lotte Eisner tombe malade. Lorsque Herzog l'apprend, il est à Munich, elle à Paris : "elle ne peut pas mourir", se répète-t-il comme un mantra, et pour conjurer une sorte de mauvais sort dont les contours resteront majoritairement flous, il se lance dans une longue marche de plus de 800 kilomètres pour rejoindre son amie à travers les routes, les villages, les forêts et les montagnes qui les séparent. Herzog exprime clairement la certitude quasi mystique que s'il parvient au terme de son voyage à pied, elle survivra. De fait, 3 semaines plus tard, il la rejoindra dans sa chambre d'hôpital et elle survivra — elle restera en vie pendant encore une dizaine d'années. En 1983, épuisée, Eisner dira au réalisateur : "Werner, vous avez jeté un sort sur moi, vous m'avez interdit de mourir, aujourd'hui j'ai près de 90 ans, je suis aveugle, je ne peux plus lire, donc il faut enlever ce sort pour que je puisse mourir." Il acquiescera, par jeu, et l'historienne et critique de cinéma mourra 15 jours plus tard. Où se termine la réalité et où se commence la légende, on ne saurait trop dire, mais reste que ce mystère correspond admirablement bien à l'aura d'un Herzog.
"Sur le chemin des glaces" est un texte court mais un récit dense sous la forme d'un journal de marche, oscillant entre la poésie exaltante et l'illumination réjouissante, écrit par un homme nous faisant partager sa joie, son obstination, son abattement, son épuisement. Le spectre des émotions est très large, on ne s'explique parfaitement pas tout ce qu'on lit, mais c'est un régal de suivre Herzog divaguer au gré de son périple, tantôt sidéré par ses rencontres, tantôt en discussion métaphysique avec des personnages de ses films comme Bruno Schleinstein ou Hias de "Cœur de verre". Le froid, la pluie, la neige, les orages, les champs boueux et l'inhospitalité occasionnelle rythment le voyage autant que la rage de poursuivre et la consécration de la solitude : "La solitude est-elle bénéfique ? Oui assurément. Seulement elle nous ouvre à des intuitions dramatiques de l’avenir."
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Manuel de Survie
Sortie : 2008 (France). Entretien
livre de Werner Herzog, Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau
Annotation :
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Il y a l'objet de la marche elle-même, comme un acte de foi, et il y a tout le versant pragmatique que Werner Herzog raconte de manière éclatée, entrecoupé de divagations diverses (autant existentielles que descriptives de son environnement immédiat), comme notamment toutes ces nuits où il pénètre par effraction, en cassant un carreau, dans des habitations et autres granges inhabitées. Parfois on lui offre un lit et un repas. Cette marche de 50 kilomètres par jour lui rappelle son périple africain, quand il avait 18 ans, à la découverte de nombreux gouvernements et cultures. Ce carnet de notes, il ne comptait pas le partager initialement, et ce n'est que plusieurs années après qu'il envisagea la publication : "Brûlé, nu, exténué, les sens vidés", "devant moi un arc-en-ciel me remplit soudain d’une folle espérance. Quel merveilleux signe au-devant et au-dessus de celui qui marche. La marche ! Chacun de nous devrait marcher."
On imagine Herzog les pieds en feu dans des bottes trop neuves, avec une inflammation du tendon d'Achille et ses douleurs à l'aine, les habits puant la transpiration, tout dépenaillé avec ce sac qui frotte contre ses habits et agrandissant sans cesse un trou. On le suit dans ses altérations de perception, dans ses sursauts d'espoir, le long d'un chemin de croix qui le pousse à redoubler d'efforts à chaque moment de faiblesse. Il refuse souvent qu'on le prenne en stop, il y cède parfois quand le corps abandonne même si la marche reste une obstination quasi fanatique. En résulte un journal d'errance autant que de persévérance, dominé par la solitude et par un style caractérisé par une poésie austère délicieuse.
Ses derniers mots, en s'adressant à Eisner enfin retrouvée : "pendant un bref instant tout de finesse, quelque chose de doux traversa mon corps exténué. Je lui dis : ouvrez la fenêtre, depuis quelques jours je sais voler."
Gog Magog
Sortie : 5 mai 2021 (France). Roman
livre de Patricia Melo
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
On est en plein dans le registre du roman noir, de la part d'une habituée, Patricia Melo, qui a vraisemblablement déjà pris ses marques au cours des 20 dernières années. L'autrice brésilienne fait dans "Gog Magog" le double portrait d'un prof de biologie et du pays dans son ensemble, du point de vue de la faillite de ses institutions. Pas n'importe quel professeur évidemment : un mec décrit comme relativement normal par son entourage qui finit par buter son voisin du dessus à cause de nuisances sonores, principalement. Le portrait du Brésil en toile de fond se fait par coups de pinceau très secs, chargés d'amertume, et de manière pas toujours très adroite à mon goût. Mais n'étant pas un grand amateur de ce genre littéraire, difficile d'y voir clair avec davantage de recul.
Patricia Melo nous amène très progressivement vers un meurtre odieux, commis par une personne barricadée derrière ses certitudes qui se transforment en haines diverses (raciste notamment) et qui le transformeront, contre toute attente, en un monstre capable de tronçonner le corps de son voisin dans sa baignoire, afin de le ranger dans le placard puis des valises. Le récit est censé mêler sarcasme et réalisme froid de manière détachée, en décrivant ce règlement de problème domestique comme un autre, pour terminer sur son arrestation, sa prise de liberté en prison, et enfin son procès (avec notamment le rapport qu'il entretient avec son avocat). Au fil de l'histoire, on aborde les questions de l'enseignement, de l'hôpital, du système carcéral et judiciaire, avec une bonne salve en direction de la corruption, du racisme et de la haine ordinaire. Le roman se veut un peu trop ostensiblement état des lieux cinglant (faillite de l'état, faux cynisme à tous les étages, etc.), en poussant le lecteur dans ses derniers retranchements — construire une complicité avec un tueur qui a ses raisons. Je n'ai pas été subjugué par l'enchaînement malheureux des événements qui fait du protagoniste un tueur malgré lui.
Gravir les montagnes est une affaire de style (2017)
Sortie : 8 juin 2017. Sport
livre de Cédric Sapin-Defour
Morrinson a mis 6/10.
Annotation :
Cédric Sapin-Defour a un style très particulier, bien à lui, pour faire le récit de ses aventures en haute montagne, que ce soit lors de courses d'alpinisme ou au chaud dans un refuge. En une cinquantaine de petits chapitres découpés en autant de figures de style servant de préambule et de support illustratif à un événement particulier, il maintient un niveau constant en matière d'humour situé du côté de l'ironie franche. Cette constance comique est facile d'accès et agréable, dans un premier temps, on se laisse prendre au jeu de la dérision et des petites moqueries, ça reste drôle et bon enfant. En revanche, sur la longueur, le style (paradoxalement) se fait un peu trop insistant dans la répétition de la même formule, au point de dégager une certaine lourdeur dans le geste. Au bout de la 30ème figure de style (on a droit à tout, des plus courantes aux plus exotiques, allitération, épizeuxe, palindrome, digression, acrostiche, litote, etc.), on finit par se lasser de ces associations dont le caractère systématique est devenu un peu trop prégnant au fil des pages. Mais le contenu, récit d'alpiniste, parlera sans doute beaucoup plus aux principaux concernés, amateurs de très haute montagne avant tout, escalade ou randonnée ensuite. Peut-être que mon absence de passion (pour l'instant) pour l'alpinisme et ma non-familiarisation avec les normes du CAF rendent la lecture d'un tel livre in peu moins drôle et intéressante, justement, en surlignant le côté un peu léger et faussement supérieur.
Notre pain est politique (2019)
Sortie : septembre 2019. Essai
livre
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
On peut diviser le contenu de ce livre en deux parties : une composante technique, s'attachant à détailler des éléments très factuels autour du pain, de la culture des céréales jusqu'à la fabrication, et une autre qui relève de l'essai, avec des développements plus ou moins approfondis.
Sur le plan factuel et technique, "Notre pain est politique" est bien structuré et agréable à lire. Personnellement je n'y ai pas appris grand-chose étant déjà très intéressé par cette thématique, mais j'ai apprécié relire et croiser des informations sur l'origine et la culture de certaines céréales, sur la technique de la boulangerie, ou encore sur le fonctionnement du levain. Certains rappels sont toujours bons à prendre. Par contre, dès qu'on s'engage sur les sentiers de la contestation, aussi légitime soit-elle (la liste des problèmes que posent la conception industrielle du pain est interminable, de l'agriculture à l'alimentation), les auteurs empruntent un ton franchement détestable, hautain, pétri de condescendance.
La démarche est pourtant sensée, le livre pose les bonnes questions : les relations de dépendance qui se créent dans la culture intensive du blé, les différents problèmes posés par le gluten (d'un côté les allergies, et de l'autre les intolérances dont la hausse est principalement lié aux sélections de blés sur des critères uniquement mécaniques en lien avec l'élasticité et la capacité à gonfler, indépendamment de propriétés nutritives et gustatives), la conservation des semences, etc. Mais la façon de la mettre en œuvre ets franchement crispante, en plus d'être relativement circonscrite au contexte géographique de l'association à laquelle appartiennent les auteurs — Ardear, association régionale pour le développement de l'emploi agricole et rural en Auvergne-Rhône-Alpes.
D'un côté leur refus de sombrer dans un passéisme réac ou béat est bienvenu, de l'autre leur ton très donneur de leçons est insupportable. Les témoignages sont nombreux, mais pas toujours éclairants. À la lecture, aussi, sur un mode mineur, l'écriture inclusive rend le texte très difficile à lire. Avec les passages discutant de considérations féministes dans le monde agricole, voilà de quoi faire de ce livre un objet à destination des déjà convertis malheureusement.
Race et histoire (1952)
Sortie : 1952 (France). Essai, Culture & société
livre de Claude Lévi-Strauss
Morrinson a mis 7/10.
Annotation :
Je m'attendais à un essai beaucoup plus conséquent, étant donnée la réputation de cet ouvrage de Claude Lévi-Strauss (suivi de "L'oeuvre de Claude Levi-Strauss", par Claude Pouillon, beaucoup moins intéressant et plus ampoulé). Une partie du discours a beaucoup vieilli, en l'espace d'un gros demi-siècle et avec les avancées normatives récentes du discours raciste qui ont transformé des évidences indiscutables d'hier en tristes sujets de débats aujourd'hui. "Race et histoire" s'attachait en 1952 à renverser nombre d'idées reçues autour de l'illusion ethnocentrique qui conduit à ne considérer comme humanité normale et acceptable que ce qui s'arrête à la frontière de notre propre culture. Une illusion partagée par tous les peuples, et on pourrait d'ailleurs étendre cette réflexion bien au-delà dans notre société contemporaine hyper segmentée et divisée par les âges, les cultures, et toutes sortes de particularités rarement unificatrices. Pas besoin d'aller chercher des peuplades éloignées, malheureusement, même si ce sentiment de supériorité n'a clairement pas désenflé depuis.
Il insiste sur la croyance naïve en un progrès général de l'humanité, décidé par une partie de cette dernière qui identifie selon des critères qui lui sont propres es sociétés primitives (et inférieures, cela va de soi). Ainsi on juge de l'avance ou du retard de certaines sur les autres, sur la base de critères qui semblent évidents pour beaucoup alors qu'ils sont empêtrés dans une relativité débordante. L'humanité selon l'ethnologue n'existe qu'en tant que coexistence de diversités entre les peuples qui les distinguent, et interagissent entre elles — un discours de relativisme qui bien sûr ferait mourir de rire ou de honte, au choix, un grand nombre à l'époque moderne. C'est d'ailleurs une particularité du livre, puisqu'il ne s'attarde que très peu sur le racisme ethnique ou biologique, pour se focaliser essentiellement sur le racisme culturel — anticipant en ce sens une partie du discours xénophobe de ces dernières années, loin de celui du début des années 2010. Quelques conceptions intéressantes : le faux évolutionnisme, la notion d'histoire cumulative et d'histoire stationnaire, et autant de perspectives polluées par nos propres biais culturels.
Et aussi : isolement, proximité et besoin de distinction, observation morcelée, part du hasard. Seule la place de la civilisation occidentale fait l’objet d’un jugement erroné (dont on perçoit le biais avec le recul).
Viande à brûler (1935)
journal d'un chômeur
Sortie : 1 mars 2014 (France). Roman
livre de César Fauxbras
Morrinson a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
J'ai retrouvé dans le style de César Fauxbras une sorte de Céline, avec un argot semblable et une description de la crasse et de la misère étonnamment proche, dans un cadre historique qui n'est pas si différent de celui de "Voyage au bout de la nuit". "Viande à brûler" est un roman âpre, rugueux, qui prend pour référence les conséquences de la crise de 1929, quelques années après, entre 1934 et 1935, avec l'apparition du chômage de masse. Je ne sais pas quel est le taux de biographique là-dedans, mais visiblement Fauxbras a côtoyé directement ou indirectement des gens ayant vécu ces événements car la tonalité de journal est brûlante, journal d'un chômeur noyé dans la masse, acculé dans cette condition détestable et misérable. Toute l'oppression du système de contrôle arrive avec une force écrasante pour décrire une ambiance urbaine très pauvre, dans un monde dénué d'illusions.
La description des conditions de vie est sidérante, immersive, rempli de sarcasmes et de douleurs, je n'avais jamais lu quelque chose de semblable. C'est la chronique d'une lutte pour la survie au quotidien, dans l'entre-deux guerre, avec toutes les obligations en matière de pointage et de vagabondage. Beaucoup de contraintes et de soumission pour obtenir une maigre pitance, d'un côté presque dérisoire mais de l'autre suffisamment nécessaire pour maintenir un climat de domination totale, car c'est le seul revenu sur lequel on peut se baser pour acheter de quoi manger pour survivre. La peur de rater le pointage, parce qu'on s'est fait coffrer, parce qu'on a un accident, plane absolument partout. Peur de la radiation donc (ah les méthodes de l'ANPE et de Pôle emploi...), mais aussi de la maladie, et tout ce qui conduit éventuellement au suicide. La montée en tragique de la fin du récit est à ce titre phénoménale.
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Une vie à brûler (1997)
Burning the Days
Sortie : 1999 (France). Récit
livre de James Salter
Annotation :
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De l'autre côté, il y a un mépris incroyable affiché par la bourgeoisie, par l'administration, histoire de faire peser encore un peu plus le poids de la culpabilité sur ces misérables. Dans ces conditions, on en arrive à mettre en compétition les plus malheureux et on n'est pas à l'abri d'une dénonciation aux conséquences dramatiques. Chronique des premiers phénomènes du chômage de masse, donc, avec cette horde de "bras inutiles", cette toute dernière classe sociale dont la machine cherche à se débarrasser comme de la marchandise excédentaire. Fauxbras raconte ainsi une chute fatale, un océan d'injustices, avec quelques moments de solidarité tout de même, en rêvant à des jours oisifs et heureux.
Ce livre touche à une humiliation vraiment bouleversante, structuré autour d’un immeuble peuplé de miséreux divers, enchaînant les galères et les catastrophes. Le point de vue de Thévenin est très lucide quant à l’hypocrisie et au ridicule de la situation, renforçant le côté inhumain et absurde de la situation. Un récit corrosif, avec beaucoup d’humour noir, au moins autant de désespoir. Fauxbras avait des projets d'adaptation cinématographique mais malheureusement rien n’a abouti — On imagine bien Gabin dans le rôle-titre.
La Porte condamnée (1956)
et autres nouvelles fantastiques
Sortie : août 2009 (France). Roman, Recueil de nouvelles
livre de Julio Cortazar
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Mon premier contact avec Julio Cortázar est pour le moins décevant. Sur les quatre nouvelles que contient ce recueil, il n'y en a qu'une voire deux qui suscitent un semblant de quelque chose, et pas de bol, la meilleure est à la fin donc on a largement eu le temps de s'ennuyer avant. Je n'apprécie pas du tout le style (du moins celui de la traduction), beaucoup de descriptif soporifique et insignifiant, beaucoup de sujets inintéressants. "Les poisons" est un récit enfantin vraiment trop anodin sur la jalousie, "La porte condamnée" est sans originalité aucune, "Les ménades" est largement anecdotique, et enfin "La nuit face au ciel", éventuellement, parvient à susciter un début d'intérêt, mais c'est quand même peine perdue. Il y a dans l'ensemble pas mal de style "tranche de vie" qui reste globalement peu satisfaisant (tout particulièrement dans le format de la nouvelle, c'est assez vain), car pas suffisamment étonnant, bizarre, élégant, ou que sais-je. Je ne m’arrêterai pas à ce petit bout d'exploration du côté de l'auteur argentin Julio Cotázar, mais pour l'instant on ne peut pas dire que sa marque de fabrique, à la lisière du rêve et de la réalité, cette tentative de glissement vers le fantastique, me convainque. Rien d'intrigant, rien qui titille ma curiosité, rien d'enrichissant.
Le Pouvoir rhétorique (2021)
Apprendre à convaincre et à décrypter les discours
Sortie : 14 octobre 2021. Essai, Politique & économie
livre de Clément Viktorovitch
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Le genre de livre dont on connaît parfaitement les limites avant de l'avoir lu, m'enfin... Je ne lis pas souvent ce genre d'ouvrage de supermarché donc je ne saurais pas bien le positionner dans ce référentiel-là, mais peu importe : tout est dans le titre et dans le sous-titre : "Le Pouvoir rhétorique - Apprendre à convaincre et à décrypter les discours". Je ne connais pas bien Clément Viktorovitch mais en tous cas sa production est assommante autant dans le style que dans son contenu : il manie un langage affreusement formaté, celui des journalistes de plateaux télé (avec option enseignant à Sciences Po ici), en abusant de formules ampoulées qui rendent la lecture particulièrement pénible. La vanité du discours emprisonne manifestement le tout dans ce prêt à penser de grande surface, et franchement je suis partagé dans mon affliction entre la bêtise niaise d'une sorte de livre de développement personnel (apprenez à manier le verbe, apprenez à détecter les sophismes, youhou !) et l'inanité d'une partie du projet qui vise à énumérer toutes les formes d'argumentation et les figures de style, avec des illustrations vaseuses régulières sous la forme de diptyques étude de cas / décryptage... De toute façon tout est dit à chaque début de chapitre, avec des introductions effroyables de généralité et de maniement de poncifs. L'introduction première est particulièrement révélatrice : "La rhétorique a mauvaise réputation. [...] un savoir effrayant, l'art sombre de la manipulation, le secret damné des avocaots et des politiciens" Franchement... On se croirait dans une très très mauvaise émission de télévision de deuxième partie de soirée. Avec des faux cas de conscience boiteux, sur le thème "Transmettre cet art, est-ce bien raisonnable ? Ne risque-t-il pas de tomber entre les mains d'individus malveillants ?" (véridique). Plus de 400 pages de ces fadaises pour terminer sur le fait qu'on se rêverait alchimistes des arguments alors qu'il faudrait se voir plutôt comme d'honnêtes jardiniers, mais que tout compte fait on serait peut-être bien alchimistes aussi... Difficile de départager la bêtise sincère de la vacuité fière, avec tant de superficialité avancée comme autant de recettes argumentatives miracles, enveloppée dans une quantité vomitive de phrases toutes faites.