Fragments littéraires épars
De la beauté des mots et de la littérature.
43 livres
créée il y a presque 5 ans · modifiée il y a environ 1 moisVoyage au bout de la nuit (1932)
Sortie : 15 octobre 1932 (France). Roman
livre de Louis-Ferdinand Céline
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"On a beau dire et prétendre, le monde nous quitte bien avant qu'on s'en aille pour de bon. Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous décidez un beau jour à en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s'y mettre. On en a bien marre de s'écouter toujours causer... On abrège... On renonce... Ça dure depuis trente ans qu'on cause... On ne tient plus à avoir raison."
"Etre seul, c'est s'entraîner à la mort."
"Je l'avais bien senti, bien des fois, l'amour en réserve. Y'en a énormément. On peut pas dire le contraire. Seulement c'est malheureux qu'ils demeurent si vaches avec tant d'amour en réserve, les gens. Ca ne sort pas, voilà tout. C'est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert à rien. Ils en crèvent en dedans, d'amour."
"De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c'est de mots.
[...] J'étais un enfant alors, elle me faisait peur la prison. C'est que je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu'ils disent, à ce qu'ils pensent. C'est des hommes et d'eux seulement qu'il faut avoir peur, toujours."
"De loin, le remorqueur a sifflé ; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l’écluse, un autre pont, loin, plus loin… Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu’il emmenait, la Seine aussi, tout, qu’on n’en parle plus."
"C’est triste des gens qui se couchent, on voit bien qu’ils se foutent que les choses aillent comme elles veulent, on voit bien qu’ils ne cherchent pas à comprendre eux, le pourquoi qu’on est là. Ça leur est bien égal. Ils dorment n’importe comment, c’est des gonflés, des huîtres, des pas susceptibles, Américains ou non. Ils ont toujours la conscience tranquille.
J’en avais trop vu moi des choses pas claires pour être content. J’en savais de trop et j’en savais pas assez. Faut sortir, que je me dis, sortir encore. Peut-être que tu le rencontreras Robinson. C’était une idée idiote évidemment mais que je me donnais pour avoir un prétexte à sortir à nouveau, d’autant plus que j’avais beau me retourner et me retourner encore sur le petit plumard je ne pouvais accrocher le plus petit bout de sommeil. Même à se masturber dans ces cas-là on n’éprouve ni réconfort, ni distraction. Alors c’est le vrai désespoir.
Ce qui est pire c’est qu’on se demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer à faire ce qu’on a fait la veille et depuis déjà tellement trop lon
Les Cerfs-volants (1980)
Sortie : 1980 (France). Roman
livre de Romain Gary / Émile Ajar
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
- Combien de temps encore, Ludo ?
- Je ne sais pas. Il y a toujours cette vieille expression "on vit d'espoir", mais je commence à croire que c'est surtout l'espoir qui vit de nous.
"Il y a longtemps que toute trace de haine pour les Allemands m'a quitté. Et si le nazisme n'était pas une monstruosité inhumaine ? S'il était humain ? S'il était un aveu, une vérité cachée, refoulée, camouflée, niée, tapie au fond de nous-mêmes, mais qui finit toujours par resurgir ? Les Allemands, bien sûr, oui, les Allemands... C'est leur tour, dans l'histoire, et voilà tout. On verra bien, après la guerre, une fois l'Allemagne vaincue, et le nazisme enfui ou enfoui, si d'autres peuples, en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, ne viendront pas prendre la relève. Un camarade venu de Londres, nous avait apporté une plaquette de poèmes d'un diplomate français, Louis Roché. Il parlait de l'après-guerre. Deux vers sont restés à jamais dans ma mémoire :
Il y aura de grands massacres
C'est ta mère qui te le dit.
J'allume ma torche. Les cerfs-volants sont toujours là, mais l'interdiction de les faire voler demeure. A hauteur d'homme, pas plus, dit le règlement. L'autorité craint ces signes dans le ciel, elle craint un code, des messages échangés, des points de repère ou des signaux aux résistants. Les enfants ont tout juste le droit de les tirer au bout d'une ficelle. Interdiction de s'élever. Il est pénible de voir notre Jean-Jacques ou notre Montaigne se traîner au ras du sol, il est dur de les voir ramper. Un jour, ils seront libres de monter à nouveau très haut dans le ciel et de partir à la poursuite du bleu. Ils pourront à nouveau nous rassurer sur nous-mêmes, recommencer à donner le change. Peut-être les cerfs-volants n'ont-ils d'autre vraie raison d'exister que celle-là : faire les beaux."
"Plus tard, lorsque je pus penser, ce qui demeura, au-delà de l'horreur, ce fut le souvenir de tous ces visages familiers que je connaissais depuis mon enfance : ce n'étaient pas des monstres. Et c'était bien cela qui était monstrueux."
L'Attrape-Cœurs (1951)
(traduction Annie Saumont)
The Catcher in the Rye
Sortie : 1986 (France). Roman
livre de J. D. Salinger
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
“I hope to hell that when I do die somebody has the sense to just dump me in the river or something. Anything except sticking me in a goddam cemetary. People coming and putting a bunch of flowers on your stomach on Sunday, and all that crap. Who wants flowers when you’re dead? Nobody.”
“What really knocks me out is a book that, when you're all done reading it, you wish the author that wrote it was a terrific friend of yours and you could call him up on the phone whenever you felt like it. That doesn't happen much, though.”
“Among other things, you'll find that you're not the first person who was ever confused and frightened and even sickened by human behavior. You're by no means alone on that score, you'll be excited and stimulated to know. Many, many men have been just as troubled morally and spiritually as you are right now. Happily, some of them kept records of their troubles. You'll learn from them—if you want to. Just as someday, if you have something to offer, someone will learn something from you. It's a beautiful reciprocal arrangement. And it isn't education. It's history. It's poetry.”
"I'm quite illiterate but I read a lot."
La Chute (1956)
Sortie : 1956 (France). Roman
livre de Albert Camus
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule, qui met chaque objet en valeur."
"Nous ne pouvons affirmer l'innocence de personne, tandis que nous pouvons affirmer à coup sûr la culpabilité de tous. Chaque homme témoigne du crime de tous les autres, voilà ma foi et mon espérance."
"Je vais vous dire un grand secret [...]. N'attendez pas le Jugement dernier. Il a lieu tous les jours."
Mémoires d'Hadrien (1951)
Sortie : 1951 (France). Roman
livre de Marguerite Yourcenar
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Ce qui nous rassure du sommeil, c'est qu'on en sort, et qu'on en sort inchangé, puisqu'une interdiction bizarre nous empêche de rapporter avec nous l'exact résidu de nos songes."
"Qu'est notre insomnie, sinon l'obstination maniaque de notre intelligence à manufacturer des pensées, des suites de raisonnements, des syllogismes et des définitions bien à elle, son refus d'abdiquer en faveur de la divine stupidité des yeux clos ou de la sage folie des songes ? L'homme qui ne dort pas [...] se refuse plus ou moins consciemment à faire confiance au flot des choses."
« Vers la fin du printemps, je m’embarquai pour l’Italie sur un vaisseau de haut bord de la flotte ; j’emmenais avec moi Céler, devenu indispensable, et Diotime de Gadara, jeune Grec de naissance servile, rencontré à Sidon, et qui était beau. La route du retour traversait l’Archipel ; pour la dernière fois sans doute de ma vie, j’assistais aux bonds des dauphins dans l’eau bleue ; j’observais, sans songer désormais à en tirer des présages, le long vol régulier des oiseaux migrateurs, qui parfois, pour se reposer, s’abattent amicalement sur le pont du navire ; je goûtais cette odeur de sel et de soleil sur la peau humaine, ce parfum de lentisque et de térébinthe des îles où l’on voudrait vivre, et où l’on sait d’avance qu’on ne s’arrêtera pas. Diotime a reçu cette parfaite instruction littéraire qu’on donne souvent, pour accroître encore leur valeur, aux jeunes esclaves doués des grâces du corps ; au crépuscule, couché à l’arrière, sous un tendelet de pourpre, je l’écoutais me lire des poètes de son pays, jusqu’à ce que la nuit effaçât également les lignes qui décrivent l’incertitude tragique de la vie humaine, et celles qui parlent de colombes, de couronnes de roses, et de bouches baisées. Une haleine humide s’exhalait de la mer ; les étoiles montaient une à une à leur place assignée ; le navire penché par le vent filait vers l’Occident où s’éraillait encore une dernière bande rouge ; un sillage phosphorescent s’étirait derrière nous, bientôt recouvert par les masses noires des vagues. Je me disais que seules deux affaires importantes m’attendaient à Rome ; l’une était le choix de mon successeur, qui intéressait tout l’empire ; l’autre était ma mort, et ne concernait que moi. »
Caligula (1944)
Sortie : 1944 (France). Théâtre
livre de Albert Camus
Albiche a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Ah ! tu ne sais pas que seul, on ne l'est jamais ! Et que partout le même poids d'avenir et de passé nous accompagne !"
Ainsi parlait Zarathoustra (1885)
(traduction Georges-Arthur Goldschmidt)
Also sprach Zarathustra : Ein Buch für Alle und Keinen
Sortie : 1885. Essai, Philosophie, Poésie
livre de Friedrich Nietzsche
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Ce qui est grand dans l'homme c'est qu'il est un pont et non un but : ce que l'on peut aimer dans l'homme, c'est qu'il est une transition et qu'il est un déclin."
"Celui qu'entoure la flamme de la jalousie, celui-là en fin de compte, pareil au scorpion, tourne contre lui-même son dard empoisonné."
"Vous ne vous étiez pas encore cherchés : alors vous m'avez trouvé. C'est ce que font tous les croyants ; c'est pourquoi toute foi compte si peu."
"Ce que je préférerai, - c'est ce dont s'abuse l'esprit abusé -, c'est d'aimer la terre comme l'aime la lune et de n'effleurer sa beauté que des yeux."
"C'est entre ce qui est le plus semblable que l'apparence fait les plus beaux mensonges ; car c'est par-dessus le plus petit abîme qu'il est le plus difficile de tendre un pont."
Fragments d'un discours amoureux (1977)
Sortie : 1977 (France). Essai
livre de Roland Barthes
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Suis-je amoureux? - Oui, puisque j'attends." L'autre, lui, n'attend jamais. Parfois, je veux jouer à celui qui n'attend pas; j'essaye de m'occuper ailleurs, d'arriver en retard; mais, à ce jeu, je perds toujours: quoi que je fasse, je me retrouve désoeuvré, exact, voire en avance. L'identité fatale de l'amoureux n'est rien d'autre que: je suis celui qui attend."
"JE T’AIME est sans nuances. Il supprime les explications, les aménagements, les degrés, les scrupules."
Extension du domaine de la lutte (1994)
Sortie : 1994 (France). Roman
livre de Michel Houellebecq
Albiche a mis 9/10.
Annotation :
"J'ai si peu vécu que j'ai tendance à m'imaginer que je ne vais pas mourir ; il paraît invraisemblable qu'une vie humaine se réduise à si peu de chose ; on s'imagine malgré soi que quelque chose va, tôt ou tard, advenir. Profonde erreur. Une vie peut fort bien être à la fois vide et brève. Les journées s'écoulent pauvrement, sans laisser de trace ni de souvenir ; et puis, d'un seul coup, elles s'arrêtent."
Le Rouge et le Noir (1830)
Sortie : 1830 (France). Roman
livre de Stendhal
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Une fille ordinaire, se disait-elle, eût cherché l'homme qu'elle préfère, parmi ces jeunes gens qui attirent tous les regards dans un salon mais un des caractères du génie est de ne pas traîner sa pensée dans l'ornière tracée par le vulgaire."
"Voilà l'effet des vaines pompes du monde vous êtes accoutumé apparemment à des visages riants, véritables théâtres de mensonge. La vérité est austère, Monsieur. Mais notre tâche ici-bas n'est-elle pas austère aussi ?"
"Un chemin est-il moins beau parce qu'il y a des épines dans les haies qui le bordent ?"
Martin Eden (1909)
(traduction Francis Kerline)
Sortie : 2010 (France). Roman
livre de Jack London
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Sur les rayons des bibliothèques je vis un monde surgir de l'horizon."
"Tout peut s'en aller à vau-l'eau dans ce monde, sauf l'amour. L'amour ne peut pas faiblir. S'il trébuche en chemin et s'effondre comme une chiffe, c'est que ce n'était pas de l'amour."
La Passante du Sans-Souci (1936)
Sortie : 1936 (France). Roman
livre de Joseph Kessel
Albiche a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"J'avais trop traîné à travers la vie et le peuple nocturnes, aux heures où tout se dénoue, se défait, se dissout, pour ne pas savoir à quelles promiscuités monstrueuses pouvaient mener à la misère, l'étroitesse des logis, l'atonie de la sensibilité, l'alcool, le stupre. Elsa était si faible si friable."
"Quand un être se détruit pour une grande idée ou pour un grand amour, j'ai toujours pensé qu'il a choisi un domaine dont il n'appartient à personne de vouloir le ramener."
La Promesse de l'aube (1960)
Sortie : 26 avril 1973 (France). Autobiographie & mémoires, Roman
livre de Romain Gary / Émile Ajar
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Ce que je veux dire, c'est qu'elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis."
"Je reste là, au soleil, le cœur apaisé, en regardant les choses et les hommes d'un œil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu'on aime avec un abandon total de soi."
En attendant Godot (1952)
Sortie : 1952 (France). Théâtre
livre de Samuel Beckett
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Ce qui est certain, c'est que le temps est long, dans ces conditions, et nous pousse à le meubler d'agissements qui, comment dire, qui peuvent à première vue paraître raisonnables, mais dont nous avons l'habitude. Tu me diras que c'est pour empêcher notre raison de sombrer. C'est une affaire entendue. Mais n'erre-t-elle pas déjà dans la nuit permanente des grands fonds, voilà ce que je me demande parfois."
"Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent."
Demande à la poussière (1939)
Ask the Dust
Sortie : 1986 (France). Roman
livre de John Fante
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"We talked, she and I. She asked about my work and it was a pretense, she was not interested in my work. And when I answered, it was a pretense. I was not interested in my work either. There was only one thing that interested us, and she knew it. She had made it plain by her coming."
"You are nobody, and I might have been somebody, and the road to each of us is love."
L'Étranger (1942)
Sortie : 19 mai 1942. Roman
livre de Albert Camus
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenir pour ne pas s'ennuyer."
"Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. A ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d'une vie elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin. J'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine."
Du côté de chez Swann (1913)
À la recherche du temps perdu / 1
Sortie : 14 novembre 1913. Roman
livre de Marcel Proust
Albiche a mis 8/10.
Annotation :
"Je revois encore, au-dessus de sa cravate mauve, soyeuse et gonflée, le doux étonnement de ses yeux auxquels elle avait ajouté sans oser le destiner à personne mais pour que tous pussent en prendre leur part un sourire un peu timide de suzeraine qui a l’air de s’excuser auprès de ses vassaux et de les aimer. Ce sourire tomba sur moi qui ne la quittais pas des yeux. Alors me rappelant ce regard qu’elle avait laissé s’arrêter sur moi, pendant la messe, bleu comme un rayon de soleil qui aurait traversé le vitrail de Gilbert le Mauvais, je me dis : « Mais sans doute elle fait attention à moi. » Je crus que je lui plaisais, qu’elle penserait encore à moi quand elle aurait quitté le soir à Guermantes. Et aussitôt je l’aimai, car s’il peut quelquefois suffire pour que nous aimions une femme qu’elle nous regarde avec mépris comme j’avais cru qu’avait fait Mlle Swann et que nous pensions qu’elle ne pourra jamais nous appartenir, quelquefois aussi il peut suffire qu’elle nous regarde avec bonté comme faisait Mme de Guermantes et que nous pensions qu’elle pourra nous appartenir. Ses yeux bleuissaient comme une pervenche impossible à cueillir et que pourtant elle m’eût dédiée – et le soleil menacé par un nuage, mais dardant encore de toute sa force sur la place et dans la sacristie, donnait une carnation de géranium aux tapis rouges qu’on y avait étendus par terre pour la solennité et sur lesquels s’avançait en souriant Mme de Guermantes, et ajoutait à leur lainage un velouté rose, un épiderme de lumière, cette sorte de tendresse, de sérieuse douceur dans la pompe et dans la joie qui caractérisent certaines pages de Lohengrin, certaines peintures de Carpaccio, et qui font comprendre que Baudelaire ait pu appliquer au son de la trompette l’épithète de délicieux. "
À la recherche du temps perdu (1927)
Sortie : 1927 (France). Roman
livre de Marcel Proust
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Extrait de Du côté de chez Swann (tome 1) (suite) :
"Certes quand approchait le matin, il y avait bien longtemps qu’était dissipée la brève incertitude de mon réveil. Je savais dans quelle chambre je me trouvais effectivement, je l’avais reconstruite autour de moi dans l’obscurité, et – soit en m’orientant par la seule mémoire, soit en m’aidant, comme indication d’une faible lueur aperçue, au pied de laquelle je plaçais les rideaux de la croisée – je l’avais reconstruite toute entière et meublée comme un architecte et un tapissier qui gardent leur ouverture primitive aux fenêtres et aux port"es, j’avais reposé les glaces et remis la commode à sa place habituelle. Mais à peine le jour – et non plus le reflet d’une dernière braise sur une tringle de cuivre que j’avais pris pour lui – traçait-il dans l’obscurité, et comme à la craie, sa première raie blanche et rectificative, que la fenêtre avec ses rideaux, quittait le cadre de la porte où je l’avais située par erreur, tandis que pour lui faire place, le bureau que ma mémoire avait maladroitement installé là se sauvait à toute vitesse, poussant devant lui la cheminée et écartant le mur mitoyen du couloir ; une courette régnait à l’endroit où il y a un instant encore s’étendait le cabinet de toilette, et la demeure que j’avais rebâtie dans les ténèbres était allée rejoindre les demeures entrevues dans le tourbillon du réveil, mise en fuite par ce pâle signe qu’avait tracé au-dessus des rideaux le doigt levé du jour."
À l'ombre des jeunes filles en fleurs (1919)
À la recherche du temps perdu / 2
Sortie : 1919 (France). Roman
livre de Marcel Proust
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Enfin elle, je l'aimais et ne pouvais par conséquent la voir sans ce trouble, sans ce désir de quelque chose de plus, qui ôte, auprès de l'être qu'on aime, la sensation d'aimer."
"Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique ; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent, et l'habitude le remplit."
"Empourpré des reflets du matin, son visage était plus rose que le ciel. Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur. Nous oublions toujours qu’ils sont individuels et, leur substituant dans notre esprit un type de convention que nous formons en faisant une sorte de moyenne entre les différents visages qui nous ont plu, entre les plaisirs que nous avons connus, nous n’avons que des images abstraites qui sont languissantes et fades parce qu’il leur manque précisément ce caractère d’une chose nouvelle, différente de ce que nous avons connu, ce caractère qui est propre à la beauté et au bonheur. Et nous portons sur la vie un jugement pessimiste et que nous supposons juste, car nous avons cru y faire entrer en ligne de compte le bonheur et la beauté, quand nous les avons omis et remplacés par des synthèses où d’eux il n’y a pas un seul atome. C’est ainsi que bâille d’avance d’ennui un lettré à qui on parle d’un nouveau « beau livre », parce qu’il imagine une sorte de composé de tous les beaux livres qu’il a lus, tandis qu’un beau livre est particulier, imprévisible, et n’est pas fait de la somme de tous les chefs d’œuvre précédents mais de quelque chose que s’être parfaitement assimilé cette somme ne suffit nullement à faire trouver, car c’est justement en dehors d’elle. Dès qu’il a eu connaissance de cette nouvelle œuvre, le lettré, tout à l’heure blasé, se sent de l’intérêt pour la réalité qu’elle dépeint. Telle, étrangère aux modèles de beauté que dessinait ma pensée quand je me trouvais seul, la belle fille me donna aussitôt le goût d’un certain bonheur."
"Pour n'avoir pu aimer qu'en des temps successifs tout ce que m'apportait cette sonate, je ne la possédai jamais tout entière : elle ressemblait à la vie."
Le Marin de Gibraltar (1952)
Sortie : juin 1994 (France). Roman
livre de Marguerite Duras
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Quelquefois, on se saoulait. Il me disait : "Je t'emmènerai à Hong Kong, à Sydney. On s'en ira tous les deux sur un bateau." Et moi, quelquefois, je le croyais, je croyais que c'était possible, que peut-être il était possible que l'on ne se quitte plus. Je n'avais jamais pensé que j'aurais pu avoir un jour ce qu'il est convenu d'appeler une existence et ça m'effrayait un peu, mais je le laissais dire. Je le laissais croire sur lui-même des choses que je savais fausses, je l'aimais jusque dans ses erreurs, ses illusions, sa bêtise".
Le Côté de Guermantes (1921)
À la recherche du temps perdu / 3
Sortie : 1921 (France). Roman
livre de Marcel Proust
Albiche a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
"Il n'avait osé insister mais m'avait regardé de ce même air d'interrogation timide, intéressée et suppliante que je venais d'admirer chez l'historien de la Fronde. Certes ces deux hommes ne se connaissaient pas et ne se ressemblaient guère, mais les lois psychologiques ont comme les lois physiques une certaine généralité. Et, si les conditions nécessaires sont les mêmes, un même regard éclaire des animaux humains différents, comme un même ciel matinal des lieux de la terre situés bien loin de l'autre et qui ne se sont jamais vus."
"La médecine étant un compendium des erreurs successives et contradictoires des médecins, en appelant à soi les meilleurs d’entre eux on a grande chance d’implorer une vérité qui sera reconnue fausse quelques années plus tard. De sorte que croire à la médecine serait la suprême folie, si n’y pas croire n’en était pas une plus grande car de cet amoncellement d’erreurs se sont dégagées à la longue quelques vérités."
La Ferme des animaux (1945)
(traduction Jean Queval)
Animal Farm
Sortie : 1981 (France). Roman
livre de George Orwell
Albiche a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"L'Homme est la seule créature qui consomme sans produire. Il ne donne pas de lait, il ne pond pas d'oeufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pout attraper un lapin. Pourtant le voici suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches entre eux, mais ne leur donne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui les surplus. Qui laboure le sol ? Nous ! Qui le féconde ? Notre fumier ! Et pourtant pas un parmi nous qui n'ait que sa peau pour tout bien."
"Dehors, les yeux des animaux allaient du cochon à l'homme et de l'homme au cochon, et de nouveau du cochon à l'homme; mais déjà il était impossible de distinguer l'un de l'autre."
Pensées à moi-même (180)
(traduction Cyril Morana)
Ta eis heauton
Sortie : 7 septembre 2005 (France). Aphorismes & pensées, Philosophie
livre de Marc-Aurèle
Annotation :
"Dusses-tu vivre trois fois mille ans, et même autant de fois dix mille, souviens-toi toujours que personne ne perd d'autre existence que celle qu'il vit et qu'on ne vit pas celle qu'on perd. Le présent est égal pour tous et ce qu'on perd est donc égal aussi et ce qu'on perd apparaît de la sorte infinitésimal. On ne saurait perdre, en effet, ni le passé ni l'avenir, car ce que nous n'avons pas, comment pourrait-on nous le ravir ? Souviens-toi donc toujours de ces deux choses : d'abord, que tout, de toute Eternité, est d'aspect identique et repasse par les mêmes cycles, et qu'il n'importe qu'on assiste au même spectacle pendant cent ou deux cents ans ou toute l'Eternité ; ensuite, que l'homme le plus chargé d'années et celui qui mourra le plus tôt font la même perte, car c'est du moment présent seul qu'on doit être privé, puisque c'est le seul qu'on possède, et qu'on ne peut perdre ce qu'on n'a pas."
Humain, trop humain (1878)
Un livre pour esprits libres
Menschliches, Allzumenschliches. Ein Buch für freie Geister
Sortie : 1878. Essai, Philosophie
livre de Friedrich Nietzsche
Albiche a mis 8/10.
Annotation :
« Nous ne nous plaignons pas de la Nature comme d’un être immoral, quand elle nous envoie un orage et nous mouille : pourquoi nommons-nous immoral l’homme qui nuit ? Parce que nous admettons ici une volonté libre s’exerçant arbitrairement, là une nécessité. Mais cette distinction est une erreur. Or, il est des circonstances où nous n’appelons pas immoral même celui qui nuit intentionnellement ; on n’a pas de scrupule, par exemple, à tuer intentionnellement une mouche, simplement parce que son chant nous déplaît, on punit intentionnellement le criminel et on le fait souffrir, pour nous protéger, nous et la Société. Dans le premier cas, c’est l’individu qui, pour se conserver ou même pour ne point prendre de déplaisir, fait souffrir intentionnellement ; dans le second, c’est l’État. Toute morale admet le mal fait intentionnellement dans le cas de légitime défense : c’est à dire quand il s’agit de l’instinct de conservation ! Mais ces deux points de vue suffisent à expliquer toutes les mauvaises actions faites par des hommes contre des hommes : on veut se procurer du plaisir ou s’éviter de la peine ; dans l’un comme dans l’autre sens, il s’agit toujours de l’instinct de conservation. Socrate et Platon ont raison : quoi que l’homme fasse, il fait toujours le bien, c’est-à-dire : ce qui lui semble bon (utile), selon son degré d’intelligence, selon le niveau actuel de sa rationalité. »
"Croyance à l’inspiration. — Les artistes ont un intérêt à ce qu’on croie aux intuitions soudaines, aux soi-disant inspirations ; comme si l’idée de l’œuvre d’art, du poème, la pensée fondamentale d’une philosophie, tombait du ciel comme un rayon de la grâce. En réalité, l’imagination du bon artiste ou penseur produit constamment du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé, exercé, rejette, choisit, combine ; ainsi, l’on se rend compte aujourd’hui d’après les carnets de Beethoven qu’il a composé peu à peu ses plus magnifiques mélodies et les a en quelque sorte triées d’ébauches multiples. Celui qui discerne moins sévèrement et s’abandonne volontiers à la mémoire reproductrice pourra, dans certaines conditions, devenir un grand improvisateur ; mais l’improvisation artistique est à un niveau fort bas en comparaison des idées d’art choisies sérieusement et avec peine. Tous les grands hommes sont de grands travailleurs, infatigables non seulement à inventer, mais encore à rejeter, passer au crible, modifier, arranger."
Le Désert des Tartares (1940)
Il Deserto dei Tartari
Sortie : 1949 (France). Roman
livre de Dino Buzzati
Albiche a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
"Une nuit, presque deux ans plus tard, Giovanni Drogo dormait dans sa chambre du fort. Vingt-deux mois avaient passé sans rien apporter de neuf et il était resté ferme dans son attente, comme si la vie eût dû avoir pour lui une indulgence particulière. Et pourtant, c’est long vingt-deux mois, et bien des choses peuvent arriver : vingt-deux mois suffisent pour fonder de nouvelles familles, pour que naissent des enfants et qu’ils commencent même à parler, pour que s’élève une grande maison là où il n’y avait que de l’herbe, pour qu’une jolie femme vieillisse et ne soit plus désirée par personne, pour qu’une maladie, même l’une des plus longues, se prépare (et, pendant ce temps, l’homme continue de vivre, sans soucis), consume lentement le corps, se retire, laissant croire pendant un temps bref à la guérison, reprenne plus profondément, rognant les derniers espoirs, et il reste encore du temps pour que le mort soit enseveli et oublié, pour que son fils soit de nouveau capable de rire et, le soir, se promène par les avenues avec des jeunes filles ingénues le long des grilles du cimetière."
Le Monde d'hier (1942)
(traduction Serge Niemetz)
Die Welt von Gestern. Erinnerungen eines Europäers
Sortie : 1942. Autobiographie & mémoires
livre de Stefan Zweig
Albiche a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Le soleil brillait, vif et plein. Comme je m’en retournais, je remarquai soudain mon ombre devant moi, comme j’avais vu l’ombre de l’autre guerre derrière la guerre actuelle. Elle ne m’a plus quitté depuis lors, cette ombre de la guerre, elle a voilé de deuil chacune de mes pensées, de jour et de nuit ; peut-être sa sombre silhouette apparaît-elle aussi dans bien des pages de ce livre. Mais toute ombre, en dernier lieu, est pourtant aussi fille de la lumière et seul celui qui a connu la clarté des ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence, a vraiment vécu."
La Prisonnière (1923)
À la recherche du temps perdu / 5
Sortie : 1923 (France). Roman
livre de Marcel Proust
Albiche a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Par instants, dans les yeux d’Albertine, dans la brusque inflammation de son teint, je sentais comme un éclair de chaleur passer furtivement dans des régions plus inaccessibles pour moi que le ciel et où évoluaient les souvenirs, à moi inconnus, d’Albertine. Alors cette beauté qu’en pensant aux années successives où j’avais connu Albertine, soit sur la plage de Balbec, soit à Paris, je lui avais trouvée depuis peu, et qui consistait en ce que mon amie se développait sur tant de plans et contenait tant de jours écoulés, cette beauté prenait pour moi quelque chose de déchirant. Alors sous ce visage rosissant je sentais se réserver comme un gouffre l’inexhaustible espace des soirs où je n’avais pas connu Albertine. Je pouvais bien prendre Albertine sur mes genoux, tenir sa tête dans mes mains, je pouvais la caresser, passer longuement mes mains sur elle, mais, comme si j’eusse manié une pierre qui enferme la salure des océans immémoriaux ou le rayon d’une étoile, je sentais que je touchais seulement
l’enveloppe close d’un être qui par l’intérieur accédait à l’infini. Combien je souffrais de cette position où nous a réduits l’oubli de la nature qui, en instituant la division des corps, n’a pas songé à rendre possible l’interpénétration des âmes ! Et je me rendais compte qu’Albertine n’était pas même pour moi (car si son corps était au pouvoir du mien, sa pensée échappait aux prises de ma pensée) la merveilleuse captive dont j’avais cru enrichir ma demeure, tout en y cachant aussi parfaitement sa présence, même à ceux qui venaient me voir et qui ne la soupçonnaient pas au bout du couloir dans la chambre voisine, que ce personnage dont tout le monde ignorait qu’il tenait enfermée dans une bouteille la princesse de la Chine ; m’invitant sous une forme pressante, cruelle et sans issue, à la recherche du passé, elle était plutôt comme une grande déesse du Temps. Et s’il a fallu que je perdisse pour elle des années, ma fortune, et pourvu que je puisse me dire, ce qui n’est pas sûr, hélas, qu’elle n’y a, elle, pas perdu, je n’ai rien à regretter. Sans doute la solitude eût mieux valu, plus féconde, moins douloureuse. "
Comme un empire dans un empire (2020)
Sortie : 19 août 2020. Roman
livre de Alice Zeniter
Albiche a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Et puis Gerda Taro meurt, écrasée par un tank, lors de la bataille de Brunete. Ce n'est même pas un tank ennemi, c'est un de leurs blindés à eux. Le conducteur a perdu le contrôle et il écrase Gerda Taro qui est toute proche, avec sa caméra. "Si la photo n'est pas bonne, c'est que tu n'es pas assez près, avait dit Capa." Quand Antoine s'arrête sur cette phrase, dont il avait imaginé qu'elle ferait une conclusion magnifique au livre, il se dit que ça y est, il a raconté cette histoire. C'est drôle d'avoir pensé qu'elle pourrait tenir sur deux ou trois cents pages alors qu'elle était faite pour ça, pour être racontée en dix minutes devant un feu.
Ils commencent à danser. C'est la dernière image sans l'être. Il y aura, chronologiquement, des images qui viendront après, le matin difficile, dans l'herbe, des traces de tiges sur les joues, il y aura le moment des départs, celui d'Antoine, celui de L, et quand ils seront partis, en réalité, il y aura toujours des images de la Vieille Ferme mais ils ne seront plus là pour les voir, ce seront les images de Xavier, de Kedriss, ou des autres. Ce n'est donc pas vraiment la dernière image mais pour l'instant ils dansent, sans ironie, sans afficher qu'ils dansent, sans que leur visage commente le fait qu'ils dansent, le rouge leur monte aux joues, les tempes perlées de sueur brillent dans la lumière, la grange ne cesse de s'emplir autour d'eux, corps pressés, corps confondus, et ils dansent au milieu de la foule, parfois jusqu'au déséquilibre, ils dansent comme s'ils voulaient tomber, avant de se rattraper à une épaule ou à la musique et d'éclater de rire."
Chavirer (2020)
Sortie : 19 août 2020 (France). Roman
livre de Lola Lafon
Albiche a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Ce n’est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche ; ces hontes minuscules de consentir à renforcer ce qu’on dénonce : j’achète des objets dont je n’ignore pas qu’ils sont fabriqués par des esclaves, je me rends en vacances dans une dictature aux belles plages ensoleillées. Je vais à l’anniversaire d’un harceleur qui me produit. Nous sommes traversés de ces hontes, un tourbillon qui, peu à peu, nous creuse et nous vide. N’avoir rien dit, rien fait. Avoir dit oui parce qu’on ne savait pas dire non."
Albertine disparue (1925)
À la recherche du temps perdu / 6
Sortie : 1925 (France). Roman
livre de Marcel Proust
Albiche a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
"Mais alors je songeai : je tenais à Albertine plus qu'à moi-même ; je ne tiens plus à elle maintenant parce que pendant un certain temps j'ai cessé de la voir. Mon désir de ne pas être séparé de moi-même par la mort, de ressusciter après la mort, ce désir-là n'était pas comme le désir de ne jamais être séparé d'Albertine, il durait toujours. Mais cela tenait-il à ce que je me croyais plus précieux qu'elle, à ce que, quand je l'aimais, je m'aimais davantage ? Non cela tenait à ce que cessant de la voir, j'avais cessé de l'aimer, et que je n'avais pas cessé de m'aimer parce que mes liens quotidiens avec moi-même n'avaient pas été rompus comme l'avaient été ceux avec Albertine. Mais si ceux avec mon corps, avec moi-même l'étaient aussi... ? Certes il en serait de même. Notre amour de la vie n'est qu'une vieille liaison dont nous ne savons pas nous débarrasser. Sa force est dans sa permanence. Mais la mort qui la rompt nous guérira du désir de l'immortalité."