L'art de la coupe
La photographie, le jeu des acteurs, oui, mais trop souvent les mérites du monteur sont oubliés (peut-être parce qu'ils ne sont pas aussi directement visibles). Rendons justice, rien que ça, en quelques exemples argumentés, au talent de ces réalisateurs qui sont montés au septième... art.
13 films
créée il y a environ 11 ans · modifiée il y a presque 11 ansLes Spéculateurs (1909)
A Corner in Wheat
14 min. Sortie : 13 décembre 1909 (États-Unis). Drame, Muet
Court-métrage de David Wark Griffith
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Le pionnier, le grammairien. Griffith invente la simultanéité - et par là même le hors champ. L'action est devant nos yeux (et ne l'est pas). Le temps s'étire. Aussi simple que génial.
Tempête sur l'Asie (1928)
Potomok Chingis-Khana
2 h 07 min. Sortie : 10 novembre 1928 (Union Soviétique). Drame, Guerre, Muet
Film de Vsevolod Poudovkine
bilouaustria a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Valable aussi pour Eisenstein ou Vertov. L'école russe envisage le montage souvent comme une intuition musicale. Eisenstein travaille notamment avec Prokofiev. On coupe suivant un rythme, ou l'on donne soi-même un rythme en forme de symphonie à la suite de ces images, comme autant de notes.
Furie (1936)
Fury
1 h 32 min. Sortie : 16 octobre 1936 (France). Policier, Drame, Thriller
Film de Fritz Lang
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
L'idée fantastique de Lang, c'est la transition sur le son, alors que le parlant fait son apparition. Deux scènes ne sont plus raccordées comme avant par une conséquence logique visuelle mais par un mot, une phrase qui se poursuit ailleurs, un bruit qui fait pont entre deux mondes. C'est une de ses grandes trouvailles dans "M".
Pickpocket (1959)
1 h 16 min. Sortie : 16 décembre 1959. Policier, Drame
Film de Robert Bresson
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
L'épure. Le cinéma dépouillé de ses artifices. Oui, mais n'oublions pas le montage (la plus grande des tromperies). Ici l'action est centrale, on filme les gestes, les mains surtout. Et les personnages sont définis par leurs actions (plus par leurs mots ou leurs pensées, un peu comme dans un roman de Duras). Le verbe n´a presque plus sa place. Le sentiment vertigineux que Bresson avance en soustrayant de la matière.
Psychose (1960)
Psycho
1 h 49 min. Sortie : 2 novembre 1960 (France). Thriller, Épouvante-Horreur
Film de Alfred Hitchcock
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
Exemple plus que célèbre mais. Pas de sang, pas de blessure directe. C'est l'imagination qui travaille. Les coupes extrêmement rapides alliées à la partition de Hermann donnent le sentiment que c'est la pellicule elle-même qui est endommagée par les coups de couteaux. Plus fort encore, si l'on considère qu'une coupe est un temps entre deux images, c'est pendant ce temps qui n'appartient pas au film, cet entre-deux, que Janet Leigh est assassinée.
Muriel ou le temps d'un retour (1963)
1 h 56 min. Sortie : 2 octobre 1963. Drame
Film de Alain Resnais
bilouaustria a mis 8/10.
Annotation :
De la construction en puzzle. Resnais a débuté comme monteur. Impossible de se tromper. Ses éclats de vie sont rassemblés avec une grande maîtrise, et il garde toujours assez d'intelligence dans ses scènes pour ne pas limiter l'entreprise à un vaste Cluedo un peu vain. Pas étonnant que "Nuit et brouillard" l´ait rendu celèbre, il monte en quelque sorte nos souvenirs, notre mémoire même !
Pierrot le Fou (1965)
1 h 50 min. Sortie : 5 novembre 1965. Policier, Drame, Romance
Film de Jean-Luc Godard
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
Perturber le récit. Dérouter, empêcher l'histoire de tourner en rond (sur sa bobine, sagement). Godard, c'est un peu le meilleur ami du faux-raccord. Les ciseaux en main, c'est un vrai carnage jouissif. Il coupe systématiquement là où Truffaut ne couperait pas. Le politiquement correct vole en éclats. Il y aurait donc plusieurs manières de faire du cinéma...
Histoire d'une prostituée (1965)
Shunpu Den
1 h 36 min. Sortie : 28 mars 2018 (France). Drame, Guerre
Film de Seijun Suzuki
bilouaustria a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Tellement en avance sur son temps que s'en est légèrement effrayant. Dans les cadres, l'utilisation de la couleur, les mouvements d'appareils. Le montage, plus encore, est son atout numéro 1. En mode cailloux dans la chaussure, toujours une seconde trop tôt ou trop tard, parfois très abruptement, on pense littéralement à une écriture (filmique), Suzuki forme des phrases et s'impose comme un immense styliste. Exigeant. Inimitable.
High School (1968)
1 h 15 min. Sortie : 13 novembre 1968 (États-Unis). Société
Documentaire de Frederick Wiseman
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Pas facile de malaxer la matière documentaire et d'avoir un vrai propos sans passer par la voix-off. Wiseman oriente, choisit, montre que chaque coupe impose une décision, qu'on procède aussi beaucoup par élimination. Qu'en mont(r)ant on dit déjà l'essentiel.
Le Point de non-retour (1967)
Point Blank
1 h 32 min. Sortie : 5 avril 1968 (France). Thriller, Drame, Film noir
Film de John Boorman
bilouaustria a mis 7/10.
Annotation :
Encore un montage furieux, tout le temps sur le qui-vive, davantage rythmé par le son que par l'image, tout en jump-cuts nerveux, en plus du fait bien sûr que la narration est déconstruite. La coupe alliée aux cadrages très recherchés fait merveille. Montage surprenant, jusque dans les champs contrechamps. Simple, efficace et novateur.
L'Incinérateur de cadavres (1969)
Spalovach mrtvol
1 h 40 min. Sortie : 21 juillet 1971 (France). Drame, Thriller, Épouvante-Horreur
Film de Juraj Herz
bilouaustria a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Herz travaille lui, en quelque sorte à contre-courant. Son projet étant de faire disparaître la coupe traditionnelle. En effet, c'est sur la transition qu'il opère, parvenant à faire vivre une autre scène dans un autre lieu, dans un autre temps surtout, par un seul mouvement de travelling ou en utilisant la profondeur de champ. Par ailleurs, en montage pur, l'introduction du film au zoo est une grande réussite, mêlant des valeurs de plans complètement opposées, hommes et animaux, dans un tout étrange et inquiétant.
Nous ne vieillirons pas ensemble (1972)
1 h 50 min. Sortie : 3 mai 1972. Drame
Film de Maurice Pialat
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
La grande affaire de Pialat, c'est le temps. Ou comment le faire disparaître, effacer ses traces. Chez lui, une coupe semble magnifiquement aléatoire. Plus encore, impossible de dire combien de temps s'est écoulé entre deux plans. 3 heures ? 2 jours ? 6 mois ? Il y a un certain talent littéraire à creuser de la sorte dans les ellipses pour donner plus de vie au récit, plus d'authenticité à l'ensemble (cette idée que l'histoire a, entre-temps, continué à vivre sans nous).
L'Impasse (1993)
Carlito's Way
2 h 24 min. Sortie : 23 mars 1994 (France). Gangster, Drame
Film de Brian De Palma
bilouaustria a mis 9/10.
Annotation :
De Palma a digéré les grands maîtres avant de les intellectualiser. Ses films sont des variations infinies sur Hitchcock, Antonioni, Eisenstein, ou comment re-monter des scènes déjà vues (pour les pousser plus loin, pour les re-découvrir, pour comprendre leur mystère). Ici toutes les possibilités du montage ou presque, de l´infiniment fragmenté au plan-séquence final - un monument. Chez De Palma le secret est dans la coupe, c'est là qu´il y a manipulation extérieure et si Al Pacino veut fuir, il doit y échapper, empêcher ce dernier soupir entre deux plans où il reste vulnérable. Le montage devient l'enjeu même du film !