Avant tout, "L'incinérateur de cadavres" inspire une fascination toute formelle, et ce dès les premières images. Le brillant prologue au zoo montre déjà le travail derrière la caméra de Stanislav Milota (combien de chefs op' brillants en Tchéquie à cette période, c'est dingue !?). Suit le générique non moins génial. Si l'on y décèle une inspiration tout droit sortie de Svankmajer, c'est parce que Herz a suivi le grand Svankmajer à la trace durant sa (courte) carrière : en étudiant l'art des marionnettes comme lui puis en travaillant à ses côtés au théâtre du Semafor à Prague. Herz a même joué dans le premier film de Svankmajer, fin de la parenthèse.
Tout ça pour situer un peu les influences, les obsessions esthétiques, les idées (noires) de Juraj Herz. Comme l'ont remarqué les frères Quay (dignes héritiers de ce film), ce qui frappe ensuite le plus dans "L'incinérateur de cadavres" c'est l'art de la transition, cette manière de nous manipuler tout en douceur, vous vous croyez ici, dans cette scène, et nous voilà là, le son est resté le même, les acteurs n'ont pas esquissé la moindre surprise... Et de penser que tout cela n'est peut-être qu'un étrange songe. Un cauchemar, oui. Dans lequel nous plongeons la tête la première, bercés par la composition obsédante de Zdenek Liska. Au côté d'Herz, Jiri Menzel apporte son savoir faire à la réalisation. Tous ces noms, connus ou non, représentent la fine fleur de l'avant-garde Tchèque des années 1960 qui sont sûrement les plus productives du pays !
(comment un film rassemblant autant de talents a pu disparaître pendant des années et être seulement redécouvert au début des années 2000 bon sang de bonsoir !!??)
Après, si l'on met de côté l'incroyable savoir-faire et l'art du montage, la plus belle trouvaille du film est ce monolithe à tête de Bouddha, le visage très perturbant du déroutant Hrusinsky. Mais le film a un peu le défaut de se limiter à un film de genre - sans toutefois être si facilement étiquetable. On ne parlera pas tout à fait de film d'horreur, de film de guerre encore moins, de comédie noire à la rigueur mais son outrance morbide, son attirance pour le glauque baroque le tirent vers "Les valeurs de famille Adams" là où le film avait de quoi être bien plus. La fable politique (inspirée du roman de Ladislav Fuks) est assez médiocrement rendue, on sent déjà tout sans bien comprendre quoi que ce soit. Alors le scénario déroule tout un programme inévitable devant nos yeux (ébahis il est vrai) sans que l'on ait eu le temps et le plaisir de saisir les quelconques enjeux du film.
Probablement parce que les enjeux, à vrai dire, ne sont que visuels. Et en ce sens Herz remplit plus que le contrat. Le film dérange, fascine, et certains plans restent gravés dans la rétine, n'ayons pas peur des clichés. On regrettera donc ce plaisir d'écoeurer, cette complaisance dans la noirceur, qui, puisqu'on n'est pas né de la dernière pluie, ne choque, n'effraie ni ne fait vraiment sourire. Elle lasse simplement, puisqu'il n'y a rien de plus prévisible, aussi réussit soit-il, qu'un énième épisode des "Idées noires" de Franquin.