Mes auteurs favoris
Voilà une liste des mes auteurs favoris et surtout pourquoi ils le sont. Désolé pour les longs textes mais j’avais envie de m’épancher, et c’est ma liste, donc je fais ce que je veux. Je la compléterai texte par texte et elle s’allongera au fil de mes rencontres littéraires.
12 livres
créée il y a presque 7 ans · modifiée il y a plus de 5 ansAu dieu inconnu (1933)
To a God Unknown
Sortie : 1951 (France). Roman
livre de John Steinbeck
-Alive- a mis 10/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
John Steinbeck
Ce qui est fou avec Steinbeck, c’est que je n’ai pas encore lu ses livres les plus réputés mais que j’ai l’impression pourtant de n’avoir lu que des grands livres. Steinbeck, c’est d’abord la vallée de Salinas, en Californie. Une région baignée de soleil, bordée par l’océan Pacifique, où vivent au rythme des saisons des paysans et des pêcheurs. Un décor aussi paisible aurait pu être le théâtre de romans paresseux mais c’est tout l’inverse que nous propose Steinbeck. À Salinas et dans la ville de Monterey, se jouent les histoires mouvementées et dramatiques d’une Amérique qui s’édifie seule. À vrai dire, je ne sais pas trop comment s’y prend Steinbeck pour écrire de si bons livres. Par quel bout il prend une histoire, il parvient toujours à la rendre immense, quand bien même ses romans ne parlent que de petites gens. Je crois que le secret d’une si grande plume n’est pas à chercher dans la plume justement, mais dans l’homme qui la tient. L’humilité de Steinbeck est si précieuse qu’elle contamine ses écrits et rend à ses personnages toute la noblesse que l’auteur leur reconnaît. Qu’ils soient des fermiers en quête d’une terre, des grévistes communistes, des vagabonds ou des nantis, Steinbeck les peint toujours subtiles et met en eux autant de doute que de grandeur d’âme. Autre tour de magie littéraire qui me laisse stupéfait chez lui : par je ne sais quelle alchimie, il parvient à faire vivre pleinement ses personnages sans jamais pénétrer leurs pensées, comme s’il se refusait cette intrusion. Tout dire par l’action et le dialogue, mais aussi laisser parler les silences pour ne pas juger, et pour laisser le lecteur forger son avis . Cet élan béhavioriste, cette recherche constante de la forme qui voudrait faire tenir toute une pensée dans les actions les plus brèves a mené Steinbeck à s’essayer au théâtre (sans succès) et à des récits de plus en plus élagués. Ce que certains jugeraient facile à écrire (car facile à lire) est en fait un vrai exercice d’équilibriste. Il en faut du talent pour contenir tant d’émotions dans si peu de mots.
Les Carnets du sous-sol (1864)
(traduction André Markowicz)
Zapiski iz podpol'ia
Sortie : 1992 (France). Roman
livre de Fiodor Dostoïevski
-Alive- a mis 10/10.
Annotation :
Fiodor Dostoïevski
Étrange homme que Dostoïevski dont on vante souvent la complexité des personnages. Ils sont complexes car Dosto fait habiter en eux autant de contradictions que pouvait en porter la Russie du 19ème, alors en plein changement et se dirigeant vers un élan réformiste inspiré de l’Occident, tout en accélérant le pas vers un nihilisme destructeur. La révolution Russe à laquelle la plupart des grands auteurs de l’époque n’assisteront pas est la preuve que Dosto avait raison : la Russie allait changer, mais pas pour le mieux. Chez Fédor, il y a deux carrières : avant et après le bagne. Avant, c’est un jeune auteur mi-romantique mi-moqueur, capable d’écrire des chefs d’œuvres de l’absurde comme le Double, ou des sommets du romantisme épistolaire comme Les Pauvres Gens, et dont la plume s’attache à moquer gentiment son pays, essentiellement à travers des nouvelles. Après le bagne, Dosto revient comme mort-vivant à St Petersbourg, il a frôlé la mort sur le peloton d’exécution (le sac sur la tête, il attendait la détonation, et fût sauvé in extremis) et cette expérience, plus celle du bagne, ont tout bouleversé en lui. Jusqu’à la fin de sa vie, il va alerter le monde de l’emprise des idées révolutionnaires. Ses personnages vont symboliser cette folie du monde, cette course à la réforme, mais aussi tout l’individualisme montant. Tout cela nous mènera bien plus tard vers deux guerres mondiales et des massacres sans précédent. C’est comme si les personnages de Dostoïevski portaient déjà tout ça en eux. Ce sont des hommes persécutés, misanthropes qui subissent leur entourage. Leur réputation en société leur est une souffrance. Par leurs yeux, Dosto accuse le petit monde des fonctionnaires où le prestige a plus de place que la bonté, et où tout l’honneur est d’être bien vu des hauts gradés. Triste Russie qui regarde vers l’Occident et qui veut imiter la France, l’Allemagne ou l’Italie en rejetant son orthodoxie et son Tsar. Ce que j’aime chez Dosto, ce sont ces scènes où un geste futile devient une montagne de honte ; parce qu’un personnage fait rouler son bouton de manchette devant son patron, son monde s’écroule et il n’a plus qu’à aller se pendre. J’aime aussi leurs contradictions : aussi détestables soient-ils, ils ont toujours un fond d’humanité et on ne peut complètement les comprendre. Ainsi est le peuple Russe, absurde et attachant, révolutionnaire et conservateur, honteux de sa condition mais fier de son pays.
L'exégèse
Volume 1
The Exegesis of Philip K. Dick
Sortie : 5 octobre 2016 (France). Essai
livre de Philip K. Dick
-Alive- l'a mis en envie.
Annotation :
Philip K.Dick
K.Dick n’est pas un excellent écrivain. Il a bien tenté de percer dans la littérature mainstream, avec pour idoles Stendhal ou Poe, mais sans succès. Un lecteur non averti trouvera dans ses personnages peu consistants un défaut majeur, peut-être rédhibitoire. Normal, puisqu’ils ne sont que des pions ballotés par des évènements qui les dépassent. En revanche, Dick est un homme si profondément obsédé qu’il a, comme un Kafka, su donner forme littéraire à l’inquiétante étrangeté théorisée par Freud : l’étranger se logeant dans le quotidien. Il a réussi à lui donner une nouvelle dimension en puisant dans la science-fiction. Ce que j’aime chez Dick, c’est cette façon de tout faire bouillonner ensemble, quitte à être bordélique. Chez lui, peuvent se mêler, en peu lignes et dans une frénésie incoercible : théologie, politique, spiritualisme, psychologie, philosophie, robotique, métaphysique. Il brasse tout, imagine d’étranges connexions entre le divin et la science, et tente de cartographier les strates de la réalité comme s’il en était un explorateur pionnier. Sous d’autres conditions, K.Dick aurait pu être un de ces (faux) prophètes beuglant dans la rue leur folle croyance. Chez lui, les drogués, paranoïaques et complotistes sont rois. Ce sont eux qui ont raison et leurs désagréables sensations mènent toujours vers une effroyable vérité. Le monde est factice, les extra-terrestres l’ont remplacé par un mirage ; notre corps est mécanique et nous ne sommes pas humains ; ceux qui nous gouvernent n’ont aucune réalité tangible ; ou pire : il n’y a pas plus de réalité que de vérité objective et tout peut disparaître d’un moment à l’autre. Dick excelle à décrire ces sensations proprement schizophréniques et sait les rendre effrayantes (probablement parce qu’il y croit). Le pire se manifeste toujours par l’anodin : un cordon de lampe qui disparait, une bourgade qu’on ne reconnait plus, une plante qui ne pousse pas, un verre de lait écaillé. De quoi devenir fou.
Les Particules élémentaires (1998)
Sortie : 15 octobre 1998. Roman
livre de Michel Houellebecq
-Alive- a mis 10/10.
Annotation :
Michel Houellebecq
Je peux tout à fait comprendre l’animosité ou le désintérêt que peut susciter Houellebecq chez certains lecteurs. C’est qu’il aime tendre le bâton le Michou, presque heureux d’être détesté pour ses pointes cyniques et ses personnages déshumanisés. Nombreux sont ceux qui s’arrêtent là, écœurés par les deux. Mon avis : d’une part Houellebecq offre bien plus que cela, et il faut vraiment être aveugle pour rater sa dimension sociale et philosophique, car tout est là, écrit noir sur blanc. D’autre part, ses détracteurs lui reprochent ce que, précisément, il accuse. S’il écrit des scènes de sexe tristes, des personnages désincarnés, des sociétés sans amour, ce n’est sûrement pas pour les défendre, mais pour les déplorer. Je comprendrais alors le lecteur ennuyé. Après tout, on peut ne pas être saisi par son style. Ce que j’admets moins, c’est qu’on puisse le pointer du doigt pour des choses qu’il n’écrit pas. C’est qu’on le lit mal, ou qu’on fait semblant de ne pas le comprendre. Soumission en est un bel exemple : le livre s’est vu accusé d’islamophobie alors qu’il raconte un Islam fort, intelligent, détenteur d’une noblesse perdue, et raconte aussi une société malade qui ne demande qu’à la retrouver, qui pendant des siècles a sacrifié sa religion et ses valeurs sur l’autel du libéralisme, du capitalisme et de l’individualisme. Y défend-t-il la religion ? Non. Pas plus qu’il ne la blâme. Il observe. Les personnages Houellebecquiens sont, à traits grossis, les victimes d’un système qui a évolué par la soustraction. Puisque tout a été rejeté, ils n’ont plus rien. Plus d’amour, plus de foi, plus d’espoir, plus d’ambition. Ils survivent, prennent ce qu’on veut bien leur laisser. Le sexe par exemple, et encore…même cela leur est enlevé. À force d’avoir sapé nos valeurs, nous avons construit des êtres solitaires, indécis éternels, et avons livrer l’amour au marché. Le cynisme de Houellebecq est dérangeant parce qu’il est le résultat d’un regard lucide. Houellebecq est au-dessus de nous, il survole sans égard nos ridicules considérations, nos polémiques étriquées. Il jauge l’évolution de l’Occident, retrace son parcours et anticipe son avenir. Sommes-nous sur le déclin ? Un retour du religieux est-il possible ? Pourquoi avoir si honte de nous ? Qu’avons-nous fait pour en arriver là ?
Jours tranquilles à Clichy (1956)
Quiet Days in Clichy
Sortie : 1956 (France). Roman
livre de Henry Miller
-Alive- a mis 8/10.
Annotation :
Henry Miller
Le grand paradoxe de Miller c’est d’avoir été essentiel en littérature en écrivant des banalités sur son compte. Sans lui, pas de Bukowski, pas de Fante, pas de Kerouac, pas de Beat Generation. Je ne dis pas qu’il a tout inventé, je dis seulement qu’il a été le premier à ouvrir les portes d’une littérature rebelle aux USA. Et pourtant il a fait ça naturellement, sans s’en rendre compte. Bien sûr, on le classera d’abord dans la littérature érotique puisque c’est là qu’il excelle. Rappelons que son œuvre a été censurée aux Etats-Unis jusque dans les années 60, et qu’il a commencé à écrire dans les années 30 – les années folles. Mais il serait regrettable de le cantonner à l’érotisme. Ses livres tiennent à la fois de la poésie, de la philosophie, du récit de formation, de l’introspection proustienne et du récit de souvenirs. Tout cela contenu dans cet énorme genre qu’est l’autobiographie. Miller n’écrit que sur lui, sur ses amis, sur son quotidien, sur ses voyages et sur ses rencontres. Il ne sait pas parler d’autre chose. Mais chez lui tout ce que la vie contient de misère gagne une légèreté qu’on aurait pas soupçonnée autrement que par le concours de sa plume. En termes plus simples : lire Miller rend heureux. Pourtant des déboires, il en rencontre (et en raconte). Mais s’en soucier semble être un effort qu’il préfère éviter, alors mieux vaut en jouir. On dirait que tout est facile avec lui, qu’on pourrait sortir de chez soi, rencontrer des inconnues, leur faire l’amour, vivre des idylles, multiplier les rencontres amoureuses et amicales, vivre sans heures, sans obligations, sans argent, sans peur du lendemain. Que tout se passe là, maintenant. Que la vie est trop courte pour se priver, prévoir, s’ennuyer, travailler. Seuls comptent le sexe et la littérature. Ah ça ! la littérature, elle occupe son esprit. Et donc on trouvera chez Miller une autre qualité : celle de nous ouvrir à d’autres auteurs. Il fait partie de ces écrivains qui donnent envie de lire. Tout cela, le sexe, la littérature, les amis, les rencontres, forme dans ses livres un joyeux bordel qu’il décrit d’une égale passion. En fin de compte, ce que les censeurs considéraient comme immoral n’est que plus pure représentation de la vie dans tout ce qu’elle a à offrir.
Le montage (1982)
Sortie : août 1992 (France). Roman
livre de Vladimir Volkoff
-Alive- a mis 10/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Vladimir Volkoff
Gouailleur et féroce, voilà ce qu’est Volkoff. Féroce mais sans être dans l’acharnement. Comme s’il avait compris que pour faire passer des idées à contre-courant, il fallait le dire en riant et jamais sans gravité. Volkoff aime les sujets politiques et historiques. Il est né en Russie et connaît son Histoire, a vécu en France, a fait la guerre d’Algérie, a vécu aux Etats-Unis, y est revenu avec l’envie d’en découdre et s’est ensuite attaqué à tous les sujets glissants : la dénazification de l’Allemagne, la Guerre d’Algérie, la Guerre Froide, le communisme etc. Il a prolongé le travail de Soljenitsyne en continuant à déblayer l’amoncellement de mensonges sous lequel nous nous enterrions petit à petit. Horrifiés par les vérités sur le soviétisme, les intellectuels communistes français ont essayé de sauver les meubles en se tournant vers des noms moins honteux que celui de Staline : Lénine, Trostky, Mao. Mais Volkoff leur a dit « non ». Les nouveaux philosophes, la gauche caviar, l’antiracisme naissant, les bien-pensants férocement anti-catho, l’américanisme aveuglé, tout cela a été la cible de Volkoff. Le peu de livres que j’ai lus de lui m’en ont convaincu, et c’est toujours avec ironie et érudition qu’il s’attaque à eux en leur rappelant les douloureuses épines de l’Histoire. Par exemple, la plus évidente d’entre elles mais volontairement oubliée et abjectement étouffée : les juifs ont une grande part de responsabilité dans la révolution russe, le plus grand massacre du siècle. Dire ça à l’époque où BHL fait la tournée des plateaux, revient à se tirer une balle dans le pied et à s’exposer aux condamnations pour antisémitisme, ce qu’il ne manquera pas d’être accusé. Mais il semblait s’en foutre royalement, et son ironie impitoyable, doublée de sa bonne sympathie auprès du monde lettré lui ont valu la reconnaissance du milieu. Bien qu’aujourd’hui peu de lecteurs le connaissent (d’ailleurs on ne le trouve pas facilement en librairie), il me semble avoir été l’un des auteurs importants de la fin du 20ème siècle ; apportant des idées politiques à travers tous les genres : essais, roman historique, roman d’espionnage, roman politique, biographie, nouvelles, et même livres jeunesse ! C’est un auteur qui m’a comblé dès ma première lecture. Je veux tout lire de lui.
D'autres vies que la mienne (2009)
Sortie : mars 2009. Récit
livre de Emmanuel Carrère
-Alive- a mis 10/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Emmanuel Carrère
Qu’on évacue de suite la chose : Oui Carrère est égocentrique. Beaucoup d’écrivains le sont, non ? Et depuis que l’autobiographie existe, on lit des auteurs qui trouvent dans leur propre sujet des choses intéressantes à dire. Mais n’allez pas croire que c’est un défaut comme « pas fait exprès ». Au contraire, c’est une signature, un confort d’écriture pour lui. Il suffit de se plonger dans ses tous premiers livres, pour comprendre qu’à partir de l’Adversaire (publié en 2000) Carrère a trouvé dans son auto centrisme une voie singulière pour aborder ses histoires. En ramenant ses récits à sa personne, il les ramène aussi à la nôtre. Qu’il parle de meurtres irrationnels, de vies abîmées, de personnalités psychotiques ou d’aventures hors normes, il trouve toujours le moyen de rappeler la normalité pour mieux faire résonner la dimension extraordinaire de ses histoires vraies. Conséquence d’une telle approche : on en apprend beaucoup sur le train-train de vie bourgeoise de Carrère. Mais on sent que son éducation bobo (Carrère est le parfait type du bourgeois de gauche) lui est presque un regret et qu’il aime regarder de l’autre côté. Il aime K.Dick, il aime les auteurs russes, il a été profondément chrétien et a écrit sur le sujet, a trouvé dans le personnage rouge-brun de Limonov une curiosité sincère. Au-delà de ces passions qui nous sont communes, je trouve que Carrère est un conteur hors pair qui se soucie toujours d’offrir des livres plaisants à lire. Alors oui, c’est peut-être tout ce qu’il est, un bon conteur. Et il n’y a rien de plus horripilant chez lui que ses fausses justifications du genre « j’écris sur mon voyage en Russie pour établir un lien entre mon passé et ma vie d’aujourd’hui ». N’importe quoi. Ou pire : « j’écris sur ce facho de Limonov, mais simplement parce que sa vie est aventureuse, ses idées je m’en fou ». Faux, il l’admire. Pour moi, c’est ça le vrai défaut de Carrère, il nuance ses inclinations face au monde lettré. Mais qu’il puisse donner à les lire suffit déjà à me combler. À l’heure où les prix récompensent chaque année des leçons de morales complaisantes, qu’un auteur puisse être populaire et reconnu par le canon littéraire avec des histoires de cathos et de fachos me fait doucement rire.
L'Équipée malaise (1986)
Sortie : 1986 (France). Roman
livre de Jean Echenoz
-Alive- a mis 9/10.
Annotation :
Jean Echenoz
Moi qui prône avant tout l’histoire et les idées, je suis bien embêté devant ma grande affection pour Echenoz qui ne propose ni l’un, ni l’autre. Echenoz est un écrivain de forme et tous ses romans sont d’abord des exercices de style. Enfin, entendons-nous bien, chez lui pas d’expérimentation brute comme on en trouvait dans le Nouveau Roman, mais simplement un jeu d’écriture constant dont l’unique but est de divertir son lecteur. On ne revient jamais à Echenoz pour ses histoires, ni pour ce qu’il a à dire – car il n’a rien à dire – mais pour le plaisir de retrouver son écriture ingénieuse. Bien sûr, on pourra essayer de trouver des similarités thématiques chez lui, mais c’est, je pense, passer à côté de son œuvre. Les personnages d’Echenoz ne sont rien et leur but est à peine plus. Echenoz se moque (parfois ouvertement) de ce qu’il nous raconte, et n’a pas peur de cimenter ses histoires de poncifs. En revanche, pour lui, tous les outils narratifs sont faits pour être détournés de leurs usages initiaux. Cela sert chez lui un amusement permanent. Et c’est peut-être la première chose que j’aurais dû dire : Echenoz est amusant à lire. Il déploie sans cesse des chausse-trapes et des pirouettes langagières, il maîtrise si bien la langue française qu’il s’autorise à se jouer d’elle, et cela sans jamais être verbeux ou démonstratif. Chez lui, la moindre tournure est un ressort littéraire fort qui peut cacher un tremplin ou un abîme. Et finalement, un lecteur qui cherchera une pensée ne pourra qu’être déçu en lisant Echenoz. Mais à mon sens, ce qu’il fait est tout aussi louable que d’écrire des romans à messages. En s’amusant, l’air de rien, des codes narratifs et de l’écriture, il redonne du prestige à la forme et s’inscrit sans difficulté dans le paysage littéraire français actuel.
Cinq matins de trop (1961)
Wake in fright
Sortie : 2006 (France). Roman
livre de Kenneth Cook
-Alive- a mis 8/10.
Annotation :
Kenneth Cook
Je ne sais pas grand-chose sur Kenneth Cook. On retrouve toujours les mêmes maigres informations hétéroclites sur internet : il a fondé un parti politique et a créé la première ferme de papillon dans son pays. Ces deux hauts faits a priori incompatibles aident pourtant à se faire une vague idée du bonhomme. Idée confortée parce que j’ai pu lire de lui. Cook est un écrivain australien. Mais son Australie à lui c’est celle de l’Outback désertique. Lieu de tous les dangers dans lequel on ne sait jamais qui est le plus à craindre des bêtes sauvages ou des hommes. Ce qu’il y a de singulier dans ses histoires, c’est que les péripéties de ses personnages tiennent toujours à la fois du cocasse et de l’horreur pure. Et que cette dualité sans cesse en confrontation dans ses romans contribue à instaurer un malaise qui, au pire grimpe en intensité au fil du roman, au mieux reste constant. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut jamais s’en dépêtrer. Wake in Fright est de ces romans, mais Le vin de la colère divine aussi. On y suit un soldat engagé au Vietnam qui décrit les horreurs de la guerre avec un étrange détachement. Dans les romans de Cook, les séquences de violence sont des moments inévitables. Les personnages y sont confrontés par la force des choses, et alors que l’écriture de Cook, ponctuée d’humour, semble désamorcer toute tension, les situations finissent toujours par prendre le dessus et exploser dans une gerbe de violence dérangeante, parfois choquante. C’est avec légèreté que Cook peut nous raconter, des hommes éclatés par des mines, des kangourous égorgés par des braconniers, des chiens éventrés par des sangliers, etc. Cette Australie-là n’est pas celle des cartes postales, mais on a quand même d’y revenir.
La faim du tigre (1966)
Sortie : 14 octobre 1976 (France). Essai
livre de René Barjavel
-Alive- a mis 10/10.
Annotation :
René Barjavel
Là où la plupart des jeunes de mon âge ont découvert la littérature avec Harry Potter, je l’ai découverte avec Barjavel. Alors certes, aujourd’hui j’ai un peu quitté cet auteur. Je le lis peut-être une fois tous les deux ans. Ce qui est dérisoire au vu de mon rythme de lecture. Mais ça ne signifie pas que je le renie. Il reste cher à mon cœur et le lire aujourd’hui m’enchante toujours autant. La science-fiction de Barjavel peut paraître bien légère face aux poids lourds américains, mais c’est précisément ce qui fait le charme de René : sa légèreté. Son écriture est douce, le regard de l’écrivain toujours poétique, il rend ses personnages affectueux et innocents. Sa science-fiction a beau aborder des thèmes durs qui traitent de technologie et de nucléaire, reste toujours, dans ses histoires, un onirisme qui n’appartient qu’à lui. Les lecteurs qui le boudent, le boudent essentiellement pour ça. Comme si un avertissement moral ne pouvait pas se parer d’un manteau de tendresse, comme si SF et naïveté étaient incompatibles. C’est qu’il ne faut pas chercher autre chose chez lui. Barjavel fait se confronter innocence humaine et science démesurée. À ses yeux, la technologie n’a pas d’âme, elle est cruelle. L’homme, lui, en a une, et il faut la préserver. Au-delà de cet aspect, on peut analyser Barjavel sur un plan politique. Ravage, son premier roman publié, parait dans une revue antisémite, en pleine guerre, tandis que lui travaille pour un éditeur collabo (Denoël). Je ne crois pas qu’il fût antisémite, ou fasciste d’aucune sorte. En revanche, sa haine de la technologie trouve un écho dans le Pétainisme de l’époque. Et c’est comme si, après la guerre, il avait voulu passer à autre chose et être, non plus l’écrivain pétainiste, mais l’écrivain de la jeunesse qui allait rebâtir ce monde. Tous ses livres d’après-guerre sonnent plus « humanistes », au sens de « mondialistes », et sont empreints d’une petite malice qui ressemblerait presque à un appel à la liberté sexuelle. Enfin, on lira chez lui beaucoup d’interrogations sur la question divine. Très présente dans son œuvre, elle a une place grandissante à la fin de sa carrière.
Nouvelles (1993)
Sortie : 8 décembre 1993 (France). Recueil de nouvelles
livre de Anton Tchékhov
-Alive- l'a mis en envie.
Annotation :
Anton Tchekhov
Vraiment difficile d’écrire un mot sur Tchekhov, car le bonhomme se dérobe à toute définition. J’ai lu un Tchekhov novelliste, paisible, écrivain de la nature. J’en ai lu un autre dramaturge, dialoguiste virtuose, où les répliquent fusent, bombardent le lecteur, maquillent les non-dits, couvrent les secrets. Et j’ai lu le Tchekhov romancier, qui utilise le matériau policier comme un outil pour décrire le drame de la vie slave. Maintenant je veux lire tous les autres Tchekhov. Pour mieux le comprendre alors, je suis allé écouter ce qu’on en disait. Markowicz, le célèbre traducteur d’Actes Sud dont le travail sur l’auteur confine à l’archéologie, dit de lui que ce qui fait sa force face aux autres écrivains russes de son temps, c’est de ne jamais orienter ses récits selon une idéologie. Tolstoï, Dostoeivski, Gorki étaient motivés par les idées, Tchekhov était le contraire d’un idéologue, il était motivé par les gens. Nata Minor dit qu’en décrivant l’être russe, Tchekhov décrivait avant tout la condition humaine. Ses personnages rêvent toujours d’un ailleurs, songent à leur passé, ressassent leurs regrets et par conséquent n’accomplissent rien dans le présent, ce sont « des ébauches de vies heureuses ». Enfin, Edmonde Charles Roux souligne l’autre talent de l’auteur, celui d’économiser les mots. «Il a l’art du raccourci, il pousse le raccourci jusqu’aux sous-entendu». Une écriture protéiforme. On pourra trouver chez lui de la tendresse, de l’ironie, de l’ingéniosité. On pourra lire des farces ou des drames, rêver ou s’indigner, lire des récits calmes ou des intrigues échafaudées pour nous piéger, mais on lira toujours des personnages que l’on ne pourra jamais oublier ensuite, et qu’on ne pourra pas non plus dissocier du climat dans lesquels l’auteur les a fait vivre. J’aimerais aussi pouvoir disserter sur ce qu’il a apporté au théâtre - le fameux fusil de Tchekhov, plus qu’un artifice dramaturgique, est une nouvelle façon de penser le genre. J’aimerais m’étendre sur bien des choses, mais il faudrait d’abord lire tout son œuvre, ce que je compte bien faire.
Articles et critiques
Sortie : décembre 2000 (France). Essai
livre de Dorothy Parker
-Alive- l'a mis en envie.
Annotation :
Dorothy Parker
Ironie du sort, Dorothy Parker meurt comme l’un de ses personnages : seule, dans une chambre d'hôtel de Manhattan, une bouteille d’alcool pour dernière compagnie. Tout ce qu’elle a écrit n’a fait pourtant que décrire le piège de la solitude, dans lequel elle a fini par tomber. C’est qu’elle est repartie de la scène littéraire, aussi brusquement qu’elle y est entrée. Elle a été révélée dans les années 20 par sa poésie piquante qui lui a ouvert les portes de grandes revues (Vanity Fair, The New Yorker) dans lesquelles elle a ensuite rédigé des chroniques et des nouvelles. La fin des années folles marquera la fin de sa littérature. Plus tard, elle deviendra scénariste pour Hollywood, subira la violence du maccarthysme, puis l’oubli. Mais revenons à sa littérature. Ce qu’on remarque d’abord, c’est la précision de son écriture. Un sens de l’observation, qui ne serait rien bien sûr sans talent de restitution. Le format court l’a-t-elle poussé vers cette écriture ? Ou, s’est-elle cantonnée aux écrits courts pour la cultiver ? En tout cas son style est fait pour la nouvelle. Elle excelle à isoler des moments, de petites scènes in medias res, et à faire comprendre leur risibilité en quelques mots. Même chose pour les personnages. Tout tient dans leurs gestes, dans leurs semblants de dialogues. Tout est là : leur caractère, leur situation, et le regard qu’elle porte sur eux. Bien souvent, elle se moque d’eux, parfois elle les déteste, d’autres fois elle leur pardonne. Par eux, elle raconte le cancer de la mondanité, le drame de l’ennui, le poids des convenances, la cruauté des coutumes. C’est toujours très fin, mais toujours très vrai, si vrai qu’on se dit « merde, j’ai déjà vu ça, et c’est vrai que c’est grotesque ». Il n’y a pas de grandiloquence dans ses histoires, seulement des petits bouts de vérités mis en lumière, dont l’aberrance nous saute alors aux yeux. Pour moi, elle précède les Carver et les Ellis dans sa façon de raconter l’ennui et de brosser le portrait d’une civilisation sans combat. Ce qu’elle raconte aussi, c’est l’inconfort d’être une femme dans l’Amérique des années 30. Soyez caustique et on vous prend pour une guignole. Soyez taciturne et vous devenez invisible. Osez protester contre ce dilemme et on vous met de côté.