On the row (2014)
Cette année-là, sur ma table de chevet...
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110 livres
créée il y a presque 11 ans · modifiée il y a environ 2 moisEté
Summer
Sortie : 1917 (France). Roman
livre de Edith Wharton
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Warton a eu la chance d’être l’amie de James, mais voilà un privilège qu’elle paie – en tout cas en ce qui me concerne – au prix fort, car je ne peux m’empêcher de comparer ses romans à ceux du maître, et forcément, c’est pas cool pour elle ! Été par exemple se déroule dans un petit village perdu en Nouvelle Angleterre, aux habitudes aussi ancestrales qu’étriquées, qui aurait pu servir de décor à l’ami Henry. Ici, même si l’auteure semble attachée à ses personnages et à un certain réalisme psychologique, reste que c’est surtout l’intrigue qui passe au premier plan, donnant au roman un coté un peu téléfilm, oh mais un téléfilm soigné : jolis costumes et bons comédiens. On pense aussi, en passant, à ce qu’auraient fait de cette situation D.H. Lawrence ou Thomas Hardy, un feu dévorant là où Edith se contente de quelques braises sur lesquelles elle souffle de tout son coeur mais qui n’allument pas de grands incendies.
Les morts ont tous la même peau (1947)
Sortie : 1947 (France). Roman
livre de Boris Vian
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Deuxième opus de Vernon Sullivan, après le ras de marée de J’irai cracher sur vos tombes, best seller 1947. Comme Vian l’explique dans sa savoureuse postface ( « il n’est pas mauvais de, de temps en temps, discuter le bout de gras avec le lecteur pour lui montrer qu’on pense à lui »), ces polars de la main gauche étaient plus des blagues destinées à mettre un peu de beurre dans les épinards qu’autre chose, mais démontraient malheureusement en passant – vu l’insuccès de ses livres « sérieux » – que les romans vites écrits vites lus auront toujours plus de succès que les bons livres. Ici donc, il est impossible de retrouver la patte Vian, même si ce vrai-faux polar new-yorkais reste amusant à lire : liberté de ton, idée de départ plutôt intéressante (finalement assez proche de La Tache de Roth, cinquante ans avant), et récit nerveux comme un morceau de Hard Bop, Boris est bon prince, plutôt que des épluchures moisies, il donne de fausses perles aux cochons.
La Jeune Fille verte (1920)
Sortie : 1920 (France). Roman
livre de Paul-Jean Toulet
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Encore un titre un peu raté (je n’ai pas compris d’ailleurs qui était cette jeune fille verte dans l’histoire) pour un roman très joliment troussé. Une « comédie de caractères » qui se déroule en plein Béarn, avec curés, notaires, adultères et garden parties, mais relevée par une écriture admirablement forgée : arabesques, volutes et tourbillons Belle Époque, Toulet est dans la place, et il sait y faire ! Période bénie pour la prose française, derniers feux d’artifices qui disparaîtront bientôt dans les décombres de la seconde guerre mondiale.
Gens de Dublin (1914)
Dubliners
Sortie : 1974 (France). Recueil de nouvelles
livre de James Joyce
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Un peu déconcertant au début, le recueil prend petit à petit son essor, et plus on chemine auprès de ces personnages, plus le charme agit. Maitrisant avec dextérité la technique du « coïtus interrompus » littéraire dont se souviendra l’éditeur de Carver, Joyce comme au coin du feu tricote ses tranches de vie avec l’air de ne pas y toucher, mais ce n’est, sacré loup, que pour mieux nous manger, grâce à l’estocade finale, sobrement intitulée « Les Morts ».
Le Moulin de Pologne (1952)
Sortie : 1952 (France). Roman
livre de Jean Giono
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
A part le titre catastrophique, tout est réussi avec grâce dans cette aventure au romantisme aussi échevelé qu’ironique. Est-ce la concomitance avec Savarus ? toujours est-il que Giono m’a paru bien balzacien soudain : la province qui s’ennuie, les malédictions qui s’enchainent, l’étranger mystérieux qui s’impose… Il y a dans le récit - et avant tout dans le ton adopté - une sorte d’évidence qui agit sur le lecteur comme un charme. On redevient enfant, et on écoute l’histoire, le souffle un peu court de savoir que l’on va à l’abîme, l’âme reconnaissante au conteur d’y aller d’un tel train.
Albert Savarus (1842)
Sortie : 1842 (France). Roman
livre de Honoré de Balzac
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Il suffit de balancer Balzac dans la province la plus endormie en apparence— ici Besançon — pour qu’il vous concocte une histoire rocambolesque avec amours secrètes, complots et coups de théâtre à foison. Avec un sadisme qui n’a d’égal que le masochisme de son lecteur ébaubi par tant de dextérité amusée.
Michael Kohlhaas (1810)
D'après une ancienne chronique
Michael Kohlhaas : Aus einer alten Chronik
Sortie : 1811 (France). Roman
livre de Heinrich von Kleist
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Diable, de quoi parle donc ce livre ? Récit historique d’un fait divers du XVIe, radioscopie d’une folie, traité de la vengeance, analyse politique de la barbarie absolutiste, conte sur le pouvoir de la volonté ? Le lecteur est balloté entre toutes ces possibilités sans que jamais Kleist ne vienne éclairer ses intentions : son compte-rendu est froid et sans passion, frisant parfois le procès verbal si cher à Stendhal (pas évident de suivre les manigances de tous ces nobles dont on a du mal à comprendre l’organisation, tant est touffue la situation germanique de l’époque). Mais à l’arrivée, ce faisceau de questions rend le texte fascinant et paradoxalement brûlant, tellement est impossible pour le lecteur de décider où passe la ligne entre devoir citoyen et obstination morbide.
Hotel Savoy (1924)
Hotel Savoy - Ein Roman
Sortie : 1924 (France). Roman
livre de Joseph Roth
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Hotel Savoy fait partie de la première période de Roth, assez différente de ce que deviendront ses romans après 1930. Plus personnel, plus intime même, il relate le séjour dans une petite ville germanophone (probablement autrichienne, mais tout est flou dans cette histoire) que fait le narrateur sur le chemin du retour, après 4 années de guerre et autant d’errance après sa fuite de Russie. Dans un univers qui a perdu tout repère, Gabriel lui aussi erre. Il pose son maigre bagage dans le luxueux hôtel Savoy, dont les derniers étages sont habités par des pauvres en rupture de ban (même si Anderson semble mettre son Grand Budapest Hotel sous l’égide de Zweig, moi je trouve que le palace de Roth offre beaucoup plus de similitudes). La nuit, la pluie, le brouillard, et des personnages fantomatiques, on est parfois chez Kafka dans ce roman d’une vie qui ne vaut plus grand chose, entre deux catastrophes.
La Promenade (1917)
Der Spaziergang
Sortie : 1987 (France). Roman
livre de Robert Walser
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
"La promenade pour moi n’est pas seulement saine, mais profitable, et pas seulement agréable, mais aussi utile. Une promenade me sert professionnellement, mais en même temps elle me réjouit personnellement ; elle me réconforte, me ravit, me requinque, elle est une jouissance, mais qui en même temps a le don de m’aiguillonner et de m’inciter à poursuivre mon travail, en m’offrant de nombreux objets plus ou moins significatifs qu’ensuite, rentré chez moi, j’élaborerai avec zèle. Chaque promenade abonde de phénomènes qui méritent d’être vus et d’être ressentis. Formes diverses, poèmes vivants, choses attrayantes, beautés de la nature : tout cela fourmille, la plupart du temps, littéralement au cours de jolies promenades, si petites soient-elles. Les sciences de la nature et de la terre se révèlent avec grâce et charme aux yeux du promeneur attentif, qui bien entendu ne doit pas se promener les yeux baissés, mais les yeux grands ouverts et le regard limpide, si du moins il désire que se manifeste à lui la belle signification, la grande et noble idée de la promenade."
Mademoiselle Irnois, suivi de Adélaïde (1877)
Sortie : 1877 (France). Recueil de nouvelles
livre de Arthur de Gobineau
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Si Adelaïde est un très joli petit texte sur un Trouple façon XIXe (un lâche entre la mère et la fille), regardé par l’oeil ironique et sans concession de Gobineau, la vraie merveille du recueil est cette Mademoiselle Irnois, dont le sujet (que je me sentirais coupable de déflorer) est d’une audace dont je connais peu ou pas d’exemple pour l’époque. Gobineau y prouve une nouvelle fois que le malentendu qui entache toujours son nom est des plus ridicule : il y fait preuve d’une tendresse et d’une absence de préjugés proprement incroyables. Qui à part lui aura osé un tel tour de force que de prendre pour héroïne… non non, chut, pas un mot. Mais chapeau bas, d’ailleurs quel plaisir de voir que Paul Morand, qui signe la préface de mon exemplaire au Livre de Poche, ne s’y est pas trompé.
"Les gens comme Rothbanner sont comme les vélocipèdes : ils ne roulent que sur les trottoirs. Hors des trottoirs ça tombe. Moi, j'aime mieux les gens qui sont gênés sur les trottoirs, mais qui peuvent très bien marcher dans les bois"
Les Mots sans les choses
Sortie : 22 août 2014 (France). Essai
livre de Eric Chauvier
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Rapide analyse de quelques exemples assez parlants du marasme dans lequel une société s’enfonce vite quand elle ne fait plus attention à la déconnexion entre ce qu'elle vit et ce qu'elle en dit. Nettement moins fouillé qu’un Baudrillard (Chauvier lui se repose plutôt sur Wittgenstein, et c’est louable), ça reste néanmoins assez bien vu. Le point de vue de départ est celui d’un anthropologue (d’ailleurs Levi Strauss en prend pour son grade) mais déborde vite sur la politique - attaque en règle des jargons en tout genre et des think tank aux pensées creuses. Bref, un petit pense-bête pour essayer de remettre un peu de sens dans notre univers déboussolé, qui à force de se cacher derrière les mots convenus a perdu tout accès à son propre ressenti des choses.
La Vierge et le Gitan (1930)
The Virgin and the Gipsy
Sortie : 1934 (France). Roman
livre de D. H. Lawrence
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Quel ingrat ! au cours de la lecture de ce texte trop court pour un roman, trop long pour une nouvelle, j’avoue avoir pensé qu’il faisait un peu pâle figure auprès des chefs-d’œuvre de maitre Lawrence. Pourtant, il n’y a pas grand chose à reprocher à cette histoire de désir inassouvi et d’incandescence tue, plantée au coeur de la campagne anglaise, si on oublie à quels sommets a pu monter l’écrivain. Non, tout y est maîtrisé, les portraits sont fouillés et frappants, l’intrigue bien menée, le style merveilleusement délié, et la tension monte jusqu’à un climax bien trouvé. Après tout, c’est déjà beaucoup, mais me taraudait quand même une légère impression de paresse, enfin de retenue. Jusqu’à la phrase concluant le livre. Qui m’a fait comprendre qu’un auteur peut écrire deux cent pages juste pour les douze derniers mots.
Hécate et ses chiens (1954)
Sortie : 1954. Roman
livre de Paul Morand
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Tout n’était donc pas dit, puisque 30 ans après Morand revient sur le lieu du crime, les années folles, dont il s’était plu à l’époque à décrire l’insouciance et la pétillance. Voilà le revers de la médaille, comme un caillou dans la chaussure qu’il faut expier. Passés les premiers chapitres, délices de formules parfaites dont Paulo a le secret, le récit devient fiévreux, maladif, au rythme de phrases courtes, comme à bout de souffle. Histoire d’un couple en rupture de ban, dans la chaleur marocaine, il s’agit là d’un curieux conte des 1001 nuits où l’imagination maladive d’un trop jeune homme le pousse à sombrer dans le vice. Morand funambule sur la corde du cauchemar, voilà qui est rare…
Les Exploits d'un jeune Don Juan (1911)
Sortie : 1911 (France). Roman, Érotisme
livre de Guillaume Apollinaire
Chaiev a mis 5/10.
Annotation :
En guise d’exploits, on a surtout le droit au baisage en règle de tout un château par un jeune fils de famille éblouit par sa sexualité naissante. Ça tombe bien, la demeure étant remplie de femmes en rut, et à part sa mère, pas une de toutes ces créatures en jupes, de la chambrière à sa tante en passant par ses soeurs, n’échappe à ses assauts. Le curé a eu chaud ! Bref, heureusement que c’est court, parce que c’est répétitif et à la longue diablement ennuyeux.
Les Trois matières
Sortie : 1960 (France). Essai, Philosophie
livre de Stéphane Lupasco
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Ca m’est toujours un plaisir sans nom de voir partir de fiers croisés contre l’effroyable principe de non-contradiction si cher au duo comique Platon&Aristote, une blague qui nous aura pourtant planté profond sur plus de deux mille ans. Tout un courant de pensée issu de la révolution quantique (à moins que ce ne soit l’inverse, et que la révolution quantique ait été rendue possible par ce courant souterrain déjà à l’oeuvre depuis Héraclite et Epicure ?) est représenté dans cet étrange opuscule de Lupasco, électron libre (ah ah) de la philosophie scientifique dans années 30/50. Etrange parce que s’y déploie un inhabituel mélange de passion et d’objectivité, de réflexion et de naïveté sentimentale. Même si les conclusions auxquelles arrive Lupasco semblent parfois un peu outrées (bon, mais aussi c’est un texte-pamphlet contre la vieille garde newtonienne), reste que la démarche logique est époustouflante, esthétiquement parlant. Sa vision de la « réalité » comme système de systèmes mû par le principe d’antagonisme est d’une construction aussi belle que le Parthénon ou la pyramide de Gizeh : pour lui, tout se joue dans la lutte : 1/ d'une actualisation homogénéisante vs une potentialisation hétérogénéisante (matière physique) 2/ d'une actualisation hétérogénéisante vs une potentialisation homogénéisante (matière biologique) et 3/ des deux pôles sans que l'un ne gagne sur l'autre (matière microphysique du monde quantique). Trois sortes de système, trois matières donc, avec comme idée fondamentale le principe que tout événement est une question d’énergie (donc de contradiction), et comme cheval de bataille la volonté que ces nouvelles données découvertes par la physique quantique entrainent un ras de marée dans les habitudes de logique scientifique (voire humaine). Les retombées selon lui sont d'ailleurs d'ordre à bouleverser la psychologie des profondeurs, puisque son dada est de rattacher tout le long du livre le psychisme à la matière n°3, avec des arguments un peu contestables, peut-être, mais tellement poétiques !
Le Paradis des célibataires (1855)
The Paradise of Bachelors and the Tartarus of Maids
Sortie : 2002 (France). Recueil de nouvelles
livre de Herman Melville
Chaiev a mis 9/10 et a écrit une critique.
L'Expérience intérieure (1943)
Sortie : 1943 (France). Essai, Philosophie
livre de Georges Bataille
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Vague reflet dans un miroir sans tain, ce texte polymorphe et antitextuel au possible a quelque chose du rêve : il exprime avec des mots qui signifient autre chose, un absolu que Bataille sent mais ne veut pas dire, et son (non) sens s’introduit en nous comme une drogue dans le sang, laissant au réveil une étrange sensation à son tour inexprimable. Je suis trop imperméable à ce genre d’exercice (cf Thomas l’obscur, qui partage beaucoup de choses avec ce texte, dont l’écriture doit beaucoup à quelques conversations avec Blanchot) pour adhérer pleinement, mais pas pour me laisser séduire, par ci par là, par l’insinueuse langue de Bataille. Et puis ses analyses de Proust, de Hegel et de Nietzsche restent passionnantes, même noyées dans ces longues phrases qui (s’)épuisent de ne pas vouloir dire ni se taire.
Le Valet de Sade
Latours Katalog
Sortie : 3 novembre 1998 (France). Roman
livre de Nikolaj Frobenius
Chaiev a mis 5/10.
Annotation :
c’est peut-être la méthode norvégienne qui m’a un peu égaré (suis pas un spécialiste de la littérature du coin) mais j’ai trouvé le côté narratif très erratique. Pas vraiment compris où le gars voulait en venir, pour moi c’est très brouillon et pas du tout convaincant, ce collage d’idées, de situations, sans réel point de vue ou visée directrice. La rencontre de ce tueur en série et du divin marquis aurait pu cristalliser quelque chose, mais en l’état je trouve que tout le boulot reste à faire, comme si Frobenius avait bâclé l’affaire, ou manquait lui-même d’idées un peu claires sur le sujet. C’est dommage, les thèmes étaient passionnants, mais il y a carrément des fois où ça flirte avec « Le Parfum » de Suskind !
Petersbourg
Sortie : 1916 (France). Roman
livre de Andrei Biély
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Digne émule de Gogol et Dostoievski, Biely compose un tourbillon grotesque et hurlant, un long cauchemar dans la nuit hivernale de Saint Petersbourg, aussi effrayante et inhumaine que son pendant estival où le soleil ne se couche pas. Ses personnages, perdus dans les remugles de la première révolution, errent, se cognent, délirent, tous obnubilés par une bombe qu’on se repasse et qui va bientôt exploser, comme risque à chaque seconde d’exploser le roman à force d’être tendu et malaxé de tout côté. Biely étant un authentique hystérique, pétri de thésophisme et d’anthroposophie, son long soliloque a la force de la conviction, mais du coup semble un peu collé aux délires qui y sont exposés. C’est époustouflant, mais glaçant, spectacle hagard de la folie vue de l'intérieur, qui finit par lasser un peu, là où Gogol fascine, et Dostoievski éblouit…
Conte de la 1002e nuit (1939)
Die Geschichte von der 1002. Nacht
Sortie : 1973 (France). Roman
livre de Joseph Roth
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Ecrit dans les dernières années de sa vie, ce roman de Roth a tout de l’oeuvre crépusculaire, et si effectivement elle fait d’abord mine d’avoir la légèreté d’un conte oriental, c’est pour très vite s’attacher à raconter l’étrange errance de quelques viennois « qui se sont fourvoyés dans cette vie » comme le résume un personnage à la fin de l’histoire. Une histoire dérisoire mais tragique, futile mais délicate, où Roth fait le pari de se mettre à la place de personnages qui ne comprennent rien à ce qui se passe autour d’eux. Un monde s’effondre, tout doucement, sans faire de bruit, recouvert déjà par la neige et les cendres.
Aline et Valcour (1793)
Sortie : 1793 (France). Roman
livre de Marquis de Sade
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Amateurs de partouses, vous pouvez passer votre chemin, sur ce plan là Aline et Valcour est aussi sage (enfin, presque) qu’un roman de la comtesse de Ségur. Le divin marquis, spécialiste des recensions les plus détaillées de tout ce qu’on peut faire avec des bites, des vagins, des bouches, des culs et autres éléments corporels, savait aussi trousser des romans d’aventures picaresques, se déroulant (sur près de 1000 pages) aux quatre coins de la planète. Mélangeant une intrigue particulièrement touffue entre bébés échangés, et voyages en utopies africaines, Sade enfermé dans sa prison s’en donne à coeur joie, et en profite pour régler ses comptes avec la société européenne d’Ancien Régime, vérolée par la concussion et le droit du plus fort. Outre une imagination débridée, son grand talent est de parvenir à mêler tous les points de vue moraux sans toujours trancher entre les différentes options philosophiques qui traversent le texte, selon un principe qu’il énonce dans une des nombreuses notes en bas de page : « ainsi, au lieu de s’attacher à démêler des contradictions ou des redites, choses inévitables dans une pareille collection, il faut que le lecteur, plus sage, s’amuse ou s’occupe des différents systèmes présentés pour ou contre, et qu’il adopte ceux qui favorisent le mieux, ou ses idées, ou ses penchants ».
De la brièveté de la vie (49)
suivi d'un commentaire de Denis Diderot
De Brevitate vitæ
Sortie : juin 2016 (France). Essai, Philosophie
livre de Sénèque
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Concevant la philosophie comme une pratique plus que comme une réflexion abstraite, Sénèque goutait tout naturellement la forme dialogique, quelle soit entre deux interlocuteurs en présence, ou sous forme épistolaire : comme s’il nous laissait entrer dans le cabinet d’un médecin en train de conseiller son malade. D’où également la force de son style, cherchant à convaincre l’interlocuteur/lecteur du bienfondé de son argumentaire. Les écrits de Sénèque sont des exhortations, frappées au coin du bon sens, mais un bon sens qui se heurte au manque de logique des hommes, aveugles devant l’évidence. Ici, notre bon docteur hallucine sur l’aveuglement de ses concitoyens face à la vie qui passe selon eux trop vite : absolument pas, dit il en haussant les épaules, c’est juste que vous employez mal votre existence, à vouloir garder vos biens (ce que vous avez) sans vous rendre compte que vous gaspillez votre véritable avoir (ce que vous êtes). Dès lors la recette est évidente, et pourtant personne ne semble l’appliquer : ne pas se disperser en réunions inutiles, mais utiliser son temps avec parcimonie pour s’appliquer aux sagesses anciennes, toujours conscient que la vie peut s’arrêter demain. Basique, peut-être, mais salutaire.
La Treizième Nuit (1894)
Jūsanya (十三夜)
Sortie : 1894. Recueil de nouvelles
livre de Ichiyô Higuchi
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Bon, même si chez nous son nom ne dit pas grand chose, au Japon Higuchi est encore révérée comme la première écrivaine moderne, et a la chance (!) d’avoir son effigie sur le billet de 5000¥. Pour une jeune fille fragile morte à 24 ans, laissant derrière elles des poèmes et moins de 20 nouvelles, c’est épatant. A lire les cinq récits ici réunis, on se plait à imaginer tout ce qui peut plaire à ses concitoyens dans la prose délicate d’Ichiyo (largement dénaturée par le passage en langue étrangère, je crois comprendre, tant le demoiselle était subtile dans le choix de ses images et analogies lexicales) : ce mélange de raffinement et de prosaïsme, ces sentiments élevés en plein quartiers miséreux, ce sens plein de tact pour observer le désespoir de tous et de chacun - oui parce qu’autant le dire, c’est loin d’être joyeux la vie chez Higuchi. Pour preuve l’ultime nouvelle du recueil, la plus longue et la plus poignante peut-être, qui joue avec beaucoup de finesse sur les tempos narratifs et les différentes formes de discours. Ici, tous souffrent d’amour, et presque tous en meurent…
Les Fruits d'or (1963)
Sortie : 24 avril 1963 (France). Roman
livre de Nathalie Sarraute
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Bah non, je n’y arrive pas… C’est pas que je trouve ça franchement mauvais, mais 150 pages à ressasser la même idée (qu’il est absurde de donner un avis tranché et définitif sur une œuvre d’art ?) moi ça me tombe un peu des mains. La satire est bien faite, mais est-elle vraiment utile ? Tout ce qui est étalé là, délayé même ai-je envie de dire, 1/ on le sait et 2/ je m’en fiche un peu en fait. Je ne doute pas de l’œil acérée de cette chère Nathalie, mais je préfèrerais qu’elle l’applique à d’autres sujets. Évidemment disant cela je ressemble aux personnages du livre, et c’est le piège qui se referme sur moi. Mouais…
Les Ecarts amoureux (1974)
Sortie : 1974 (France). Recueil de nouvelles
livre de Paul Morand
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Morand ne voyage pas que dans l’espace, mais aussi dans le temps. Au programme : les derniers jours de Sénèque, quelques souvenirs des Saint-Simonien au Caire, et deux naines de Vénétie nées dans la même famille à 400 ans d’écarts. Trois variations discrètement nostalgiques sur l’art de passer à côté.
L'Échange impossible (1999)
Sortie : 23 septembre 1999. Essai
livre de Jean Baudrillard
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Presque dix ans après la Transparence du Mal, Baudrillard revient sur les lieux du crime pour constater que rien n’a changé. L’humain encore et toujours cherche à faire disparaitre l’Inhumain - sa part maudite - du paysage, et la technologie continue à être des plus utiles pour cette tâche mortifère, censée éradiquer le Mal, le Vide et l’Insensé de nos vies post modernes. Rosset l’a dit : le monde n’a pas de double, pas d’extra-territorialité depuis laquelle le comparer, l’évaluer : eh bien qu’à cela ne tienne, il n’y a qu’à créer un monde virtuel, parallèle, ou la mort n’aura plus droit de cité.
Comme d’habitude, Baudrillard pose plus de questions qu’il n’offre de réponses, mais dans le rôle du caillou dans la chaussure, il fait florès ! C’est probable qu’il ne convaincra jamais les ennemis qu’il combat, mais après tout en valent-ils même la peine ? Il préfère offrir à ceux qui comme lui ont fait le choix de l’indécidabilité du Monde des outils, des points de vue, des déplacements hautement roboratifs quand il s’agit de nager à contre-courant. Pour preuve ces trois théorèmes conclusifs :
"- Le monde nous a été donné comme énigmatique et inintelligible, et la tâche de la pensée est de le rendre, si possible, encore plus énigmatique et inintelligible
- Puisque le monde évolue vers un état de choses délirant, il faut prendre sur lui un point de vue délirant
- Le joueur ne doit jamais être plus grand que le jeu lui-même, ni le théoricien plus grand que la théorie, ni la théorie plus grande que le monde lui-même."
Le Marin rejeté par la mer (1963)
Gogo no eiko
Sortie : 1968 (France). Roman
livre de Yukio Mishima
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Précis et rapide comme un rasoir sur une gorge offerte ! Mishima marche sur la corde raide comme personne, et compose une rapsodie très maitrisée sur un sujet casse gueule, la violence de l’enfance. En poussant à l’extrême la froideur des sentiments et des logiques, mais avec une langue riche et sensuelle, il parvient à un sans faute. Dans un monde exaspéré de solitude et de néant, ses personnages avancent tout droit vers une tragédie implacable, mais le pathos est transfiguré. On sait que Mishima était un grand amateur de Racine, et on retrouve ici la leçon du maître : à l’os, sans fioritures inutiles.
Karpathia
Sortie : 21 août 2014 (France). Roman
livre de Mathias Menegoz
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Passées les 150 premières pages où l’on s’interroge sur la bizarre idée d’écrire aujourd’hui un pavé à ce point là inactuel et pétri par les canons romanciers du XIXe siècle (on croirait presque un pastiche tant le style est sage et plaqué sur les modèles russes et germanophones), on se laisse très facilement happer par le talent narratif de Ménegoz. Si Karpathia n’apporte rien en terme littéraire (on n’est pas chez Pynchon, ici la distance temporelle n’est pas vraiment destinée à produire un objet artistique à proprement parler), c’est néanmoins un roman d’aventure extrêmement bien troussé, une plongée sans temps morts dans des régions sauvages qui réserve son lot de rebondissements et de tensions. Dans la catégorie « page turner » c’est même un must, car il est tout de même bien plaisant de parcourir à cheval ces forêts profondes, remplies de séditieux retors, de bandits sanguinaires, et de châtelains nobles et conquérants. Ménégoz ne fascine pas par sa langue, très sage donc, mais par un souffle certain qu’on ne peut pas ne pas lui reconnaitre. Un très chouette divertissement à conseiller en cas de chagrin d’amour, de long voyage en train, ou d’après-midi pluvieuses à la campagne.
Sénèque
Une introduction
Sortie : avril 2007 (France). Essai, Histoire
livre de Paul Veyne
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Un portrait détaillé et plein d’allant du stoïque précepteur de Néron, grand intellectuel de l’époque, qui allia indépendance d’esprit et conformisme d’Etat. Paul Veyne est un merveilleux conteur, qui connait son Empire romain sur le bout des doigts : aussi malicieux que savant, il retrace la vie et la doctrine d’un drôle d’oiseau, sans oublier aucune zone d’ombre, aucune contradiction. Soucieux d’éviter tout contresens et tout anachronisme, il replace la théorie stoïcienne dans son temps, pour en faire comprendre les tenants et les aboutissants. Ça se lit comme un roman, c’est drôle et passionnant de bout en bout, et remet les pendules à l’heure : le stoïcisme est avant tout intellectualiste avant d’être volontariste, c’est une philosophie active avant d’être spéculative, une médecine destinée à assurer à ses disciples le bonheur de la sécurité et la sécurité du bonheur.
L'Éclipse
Sortie : février 2001 (France). Roman
livre de Keiichiro Hirano
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
En lisant la quatrième de couverture, je me suis rendu compte d’une évidence qui m’avait jusque là échappé : je n’ai jamais lu de livre japonais qui ne traite pas de Japonais au Japon. C’est dire comme soudain cette histoire d’un moine dominicain traversant le sud de la France à la fin du XVe entre hérésie et alchimie m’a paru comme un ovni qu’il me fallait à tout prix découvrir. Bon, ovni, ça l’est du début à la fin, tellement parait incongrue cette histoire complexe qui tourne autour de problèmes théologiques ardus, que l’auteur de 23 ans (!) aborde avec le sérieux d’un spécialiste blanchi sous le harnais. Un peu trop sérieux, peut-être, malgré les sorcières et autres hallucinations collectives s’abattant finalement sur le village visité par le héros, qui essaye de démêler, au sein de sa foi, les ambiguïtés provoquées par une séparation forcée entre corps et esprit. Cette maitrise, qui impressionne, finit par étouffer un peu et le propos, et le lecteur.