Cover Ostinato littéraire 2024

Liste de

9 livres

créee il y a 8 mois · modifiée il y a environ 2 mois

Crime et Châtiment
8.5

Crime et Châtiment (1867)

(traduction André Markowicz)

Pryestupleyniye i nakazaniye

Sortie : 1998 (France). Roman

livre de Fiodor Dostoïevski

Kavarma a mis 9/10.

Annotation :

Commencer l’année avec un classique qu’il est honteux de n’avoir pas encore lu, ça fait du bien.

Que dire de neuf sur ce grand roman ? Après les Carnets du sous-sol, je suis content de voir mes intuitions confirmées. L’épopée de souffrance de Raskolnikov rappelle celle du narrateur desdits Carnets, en pénétrant plus loin dans la psyché cependant. La souffrance de se croire un grand homme, d’accomplir le meurtre bienfaiteur que ce statut autoriserait et de ne pouvoir en assumer les conséquences morales vis-à-vis de soi-même. Penser est toujours plus facile que faire, Dostoïevski semble railler les utopistes et autres socialistes radicaux de son époque, en montrant jusqu’où va la pensée rationaliste niant les lois divines et humaines au profit de la Science, qui, appliquée à l’homme, lui retire toutes ses limites. En pratique, qu’est-ce qui empêcherait un homme intelligent comme Raskolnikov de tuer une vieille et méchante usurière et faire le bien autour de soi grâce à l’argent volé ? Selon la raison, rien du tout, ce serait même un acte bénéfique. Mais seul un homme exceptionnel en aurait le droit, selon les théories de Raskolnikov (la figure de Napoléon est souvent mentionnée), pour qui les lois, bien que nécessaires, ne doivent cependant s’appliquer qu’aux hommes ordinaires. Seulement voilà, Porphyre Petrovitch a raison : qui décide de cela ? Dans le dedans de soi-même, chacun croit un peu être extraordinaire, n’est-ce pas ? Il est ironique de constater que, en effet, Napoléon et d’autres grands hommes ont versé le sang pour un bien supérieur. Mais ils n’en ont eu le « droit » qu’a posteriori, parce que leurs entreprises ont réussi, et surtout parce qu’ils ne se sont pas posé la question. L’erreur de Raskolnikov est d’en avoir fait une théorie, et donc un système que l’on peut reproduire selon certains critères. Or, l’exceptionnel ne répond à aucun critère, il ne se définit pas, ou alors seulement en négatif. Et in fine, soit on l’est soit on ne l’est pas. Raskolnikov recherche la rédemption, a soif de se racheter. Il n’était qu’un homme ordinaire.

NB : c'est à ça que devrait ressembler un polar. Dosto est un maître de la décortication psychologique.

Le Père Goriot
7

Le Père Goriot (1835)

Sortie : 1835 (France). Roman

livre de Honoré de Balzac

Kavarma a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Rattrapages de classiques #2.

J’enchaîne avec ce Balzac parce qu’apparemment Rastignac aurait été, dans ce roman, l’inspiration pour le personnage de Raskolnikov. L’ambition, la volonté de parvenir d’un jeune provincial sans le sou est en effet le trait d’union des deux personnages mais Eugène de Rastignac résiste à la tentation du crime salvateur... qui se fera quand même, malgré lui, parce que Vautrin met tout le stratagème en place. Il ne peut donc l’empêcher le soir venu, parce que l’ivresse, parce que le monde est comme il est. Rastignac, comme un défi à cette fatalité, prend volontairement un chemin de traverse et au lieu d’épouser la petite Taillefer maintenant bien dotée, il file s’envoyer la baronne de Nucingen, fille du père Goriot.

Balzac est peintre de types sociaux, on a l’arriviste encore innocent avec Eugène, on a aussi le père poule avec Goriot, cet homme qui a donné l’entièreté du travail de sa vie à ses deux filles, dotées de plusieurs centaines de milliers de francs chacune, et mourant dans la misère sans pouvoir se payer son propre linceul. Le type du père qui chérit ses filles jusqu’à l’absurde, s’aplatissant devant leurs désirs comme un amant épris des débuts... et de fait, sa relation avec elles prend parfois des tournures ambiguës, tant l’amour qu’il leur voue est extraordinaire. Un Christ de la Paternité, finissant trahi, d’une certaine manière, par le comportement de filles pourries gâtées. Rastignac sera le seul personnage à s’émouvoir de Goriot, et le seul à rester sur sa tombe, lançant à la fin du roman le cri de « A nous deux maintenant ! » du haut du Père-Lachaise, face au panorama parisien. La pureté de son âme de jeune homme est définitivement enterrée avec la pureté de Goriot, et l’ascension sans scrupules de l’édifice social peut commencer.

L'Interdiction
7.4

L'Interdiction (1836)

Sortie : 1836 (France). Roman

livre de Honoré de Balzac

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

J’ai décidé de suivre un petit peu Rastignac, ne serait-ce que pour prolonger le temps d’un texte le plaisir du style balzacien avec un fil conducteur. Bon c’est plus un figurant ici, accompagné de son ami et néanmoins docteur Bianchon, rencontré à la pension Vauquer.

L’aventure est plutôt une affaire judiciaire, celle du juge Popinot chargé de traiter la requête d’interdiction (mise sous tutelle) du marquis d’Espard par sa femme.
On s’attarde donc sur ce déroutant juge, dont le portrait en révèle le caractère perspicace, modeste, dénué de toute ambition, et donc incorruptible. L’intrigue devient à la limite du polar, le juge interroge, observe, soupèse toute parole et tout regard, tout élément de décor et tout habit. Balzac fournit une somme de descriptions sociales, géographiques et humaines considérable pour offrir un tableau complet à son récit, qui emprunte d’ailleurs beaucoup à la mise en scène théâtrale (tout comme le Père Goriot).
Mais pas de place en ce monde pour l’intégrité…

Au bonheur des dames
7.4

Au bonheur des dames (1883)

Sortie : 1883 (France). Roman

livre de Émile Zola

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

C’est la suite directe de Pot-bouille ; quelques années séparent la fin du dernier d’Au Bonheur des dames, mais on suit l’actif et délicat Octave Mouret, déjà plein d’idées commerciales ambitieuses lorsque le Bonheur appartenait à Mme Hédouin dans le précédent tome, de qui il fut l’employé, puis le mari, après que jeunesse s’était faite dans les lits de l’immeuble bourgeois.

Entre temps, Mme Hédouin est morte pour les besoins de l’intrigue à venir, et Octave a mis en place ses idées. Il se trouve maître de Paris, à la tête de son plus gros magasin. Il attire la femme en masse par ses techniques révolutionnaires : vente à perte de marchandises non écoulées, bas prix, profusion du choix des tissus d’abord puis d’un tas d’autres marchandises différentes, système de rendu d’un achat… Toutes ces choses qui ont fait le nouveau commerce et qui est toujours le système actuel. Mais pour Octave, et les contemporains de Zola dont il s’inspire, il fallait être visionnaire, sentir l’air de son temps mais aussi connaître parfaitement la femme et sa psychologie. Pour la séduire, et malgré le dédain, il faut l’aimer au moins un peu, et Octave aime, sent la femme autant qu’il la manipule, a fait de son magasin un temple à son désir et sa beauté. Contrairement à celles des Halles dans le Ventre de Paris, les descriptions érotiques ne sont ici que parfums, soieries, chatoyance, n’ayant de légère brutalité que celle du sexe lui-même.

Denise Baudu débarque de la province, orpheline et "mère" de ses deux frères. L’oncle Baudu qui l’accueille figure le monde qui s’écroule : vieux marchand de drap qui se fait manger par le nouveau commerce. On a tout au long du roman le contraste entre la magnificence du grand œuvre entrepreneurial et la misère qu’il provoque autour de lui. De fait le regard de Zola est ambigu : même s’il montre en avance les méfaits de ce qui deviendra la société de consommation, il garde une admiration certaine pour ces hommes très actifs, ambitieux, « plein de vitalité », qui sentent l’air ambiant et changent le vieux monde moribond. Temple à la femme, le magasin est tour à tour comparé à un ogre, une machine, régurgitant ce qu’il a mangé. Denise, figure de femme pure et sainte, sortira victorieuse de son chemin dans cette jungle des appétits, passant de petite employée à premiere vendeuse, par l’inflexibilité même de sa droiture, par l’absence totale de calcul ! Très beau personnage, qui couche le colosse en refusant ses armes, et sans même le vouloir.

La Joie de vivre
7.6

La Joie de vivre (1883)

Sortie : 1883 (France). Roman

livre de Émile Zola

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

Bonneville, Normandie, à flanc de falaise, la mer mange le village au fur et à mesure des tempêtes. Voilà le cadre de ce 12e tableau des Rougon-Macquart, composé sous le double patronage de Schopenhauer et des angoisses personnelles de Zola sur la mort. Lazare Chanteau en est le produit mélangé, jeune étudiant plein d’idées, plein de projets, d’abord de composition musicale, puis littéraire, étudie la médecine, la science des algues, se lance dans leur exploitation puis dans les compagnies d’assurance. Mais il avorte tout ce qu’il touche, ravagé par l’angoisse du plus jamais qui le ronge, qui l’empêche de s’accomplir. Il a lu Schopenhauer et ne l’a sans doute pas compris.

Pauline Quenu, fille de Lisa Macquart, qu’on a vu dans la charcuterie de sa mère dans le Ventre de Paris, est adoptée par le père et la mère Chanteau, cousins éloignés, avec un fonds de 180 mille francs. Elle porte sa joie de vivre solaire dans ce triste ménage et apporte son argent pour s’occuper du foyer ainsi que des entreprises de Lazare, avant de tout donner aux pauvres enfants du coin. Pauline est une sorte de sainte, l’avarice atavique des Macquart est combattue plus ou moins consciemment par elle jusqu’à l’extrême inverse, jusqu’à dilapider son héritage pour les autres, et à s’enterrer dans ce village pour ne pas abandonner le père Chanteau, paralysé par la goutte. Tout en elle est don de soi, jusqu’à son cœur amoureux, qui donne Lazare à Louise dans l’espoir de faire leur bonheur.
Elle combat l’angoisse autour d’elle en y opposant la vitalité, la santé solide, le don, le rire, le travail pour soi et les autres ; le personnage tranche assez avec les précédents du cycle, le style aussi d’ailleurs qui est simple et beau.

Quand un suicide survient à la fin, le père Chanteau, souffrant depuis des années, la goutte l’ayant déformé et cloué à son fauteuil, faisant son bonheur des moments de plus en plus rares où il ne souffre pas, s’exclame : « Faut-il être bête pour se tuer ! » Lui n’a pas lu Schopenhauer, mais il semble l’avoir mieux compris.

Les Complaintes
7.3

Les Complaintes (1885)

Sortie : 1885 (France). Poésie

livre de Jules Laforgue

Kavarma a mis 8/10 et a écrit une critique.

Annotation :

A la lecture de certains poèmes, la voix de Gainsbourg m’est venue bizarrement en tête, je ne sais pourquoi.
Ça doit être la liberté dont Laforgue fait preuve, dans le ton, les sonorités, la versification même, les thèmes souvent liés aux femmes aimées sur un mode symboliste. La forme joue sur les airs populaires, sur le pastiche d’autres poètes, sur la métrique, les césures et les rimes non traditionnelles, sur les références aux doctrines de Schopenhauer mélangées aux influences des religions orientales typiques de cette fin de siècle, ce qui est heureux et, je l’avoue, voulu, puisque j’ai ouvert ce recueil pour faire une pause dans ma (longue) lecture de Schopenhauer.

Une certaine adolescence se dégage des complaintes, le poète se lamente des scènes de la vie, sur laquelle il appose aussi son rire un peu moqueur, plutôt comme un sourire en coin. Ce sont des poèmes assez musicaux quoiqu’ayant un je ne sais quoi de saccadé dans le rythme, comme des chansons qui tournent sur l’orgue de Barbarie, tant aimé par Laforgue d’ailleurs. Et sur le pavé des villes, la lune lui donne une lumière falote qui en galbe les reliefs.

NB - Une fois n’est pas coutume (mais pourrait le devenir), j’ai tenté une composition poétique à la place d’une critique.

Les Souffrances du jeune Werther
7.2

Les Souffrances du jeune Werther (1776)

Die Leiden des jungen Werthers

Sortie : 29 septembre 1774 (Allemagne). Roman

livre de Johann Wolfgang von Goethe

Kavarma a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Rattrapage de classique #3.

Deuxième pause avec cette fois un auteur qu’il admire particulièrement - quitte à interrompre, autant rester proche.

Matrice du romantisme allemand, Werther c’est aussi l’explosion des grands sentiments. Personnage passionnel, son statut de bourgeois lettré lui permet l’existence oisive seule à même de lui faire goûter sa propre perméabilité au monde dans ce qu’elle a de plus individuelle et sensible. On sort des romans d’aventures ou moraux, et on plonge dans la psyché même de l’individu. Épistolaire, dans la tradition européenne du temps, le roman suit tous les états d’âme de Werther (qui en a une, au moins), les hésitations, atermoiements, réflexions et amours développés, ou non, selon le besoin du moment du personnage. L’interlocuteur est Wilhelm, mais c’est aussi nous, lecteurs à qui reviennent au souvenir des impressions du romantisme pastoral antique. Werther souffre comme un Christ, et sa passion d’amour exacerbe tout rapport à la beauté de la nature, humaine et des paysages, avant de s’annihiler tragiquement. Les mots allemands de Lied (chant) et Leiden (passions, souffrances) me font envisager ces lettres comme autant de chants lyriques, élégiaques ou tragiques.

« comment est-il possible que je disparaisse ? que tu disparaisses ? Puisque nous existons ! - Disparaître ! - Qu’est ce que cela signifie ? C’est encore un mot, un son vide que mon cœur ne comprend pas. »

René
6.5

René (1802)

Sortie : 1802 (France). Roman

livre de François-René de Chateaubriand

Kavarma a mis 7/10.

Annotation :

Lorsque Chateaubriand rentre en France de son exil anglais, au tout début du XIXe siècle, il n’emporte avec lui que quelques manuscrits, des fragments d’une œuvre plus vaste. Parmi ces textes, il y a René, d’abord un épisode de la saga des Natchez, mais publié à part en 1802, très heureusement pour lui, eu égard à sa grande postérité littéraire.

René est une sorte de figure française du Werther de Goethe, et malgré l’aspect tragique de celui-ci, je n’hésite pas à qualifier celui-là de plus sombre. Le personnage est plus sombre, plus tourmenté, plus déraciné également, car le roman est en fait le long récit par René de ses voyages en Europe, puis en Amérique, à la recherche d’on ne sait quoi, d’il ne sait quoi lui-même, dans une grande fuite en avant qui préfigure grandement les romantismes à venir. Le but de cette recherche est une sorte d’absolu vague qu’on ne parvient jamais à définir, teinté de la spiritualité chrétienne qui apparemment est seule à même de satisfaire la soif de René.

Comme Werther, le parcours de René est possible par l’oisiveté que lui permet sa situation : cette fois-ci, comme l’auteur, de noble désœuvré. Le récit des voyages est conté à Chactas, le vieux Sachem aveugle qui l’a adopté comme fils, et au père Souël, missionnaire jésuite. Et ce dernier, quoique compatissant au fond, lui oppose le discours anti-romantique ultime, en lui reprochant la fuite de ses responsabilités en tant que citoyen, ou sujet, vis-à-vis de l’Etat. Un texte assez ambivalent, Chateaubriand semble y questionner et confronter ses deux pentes naturelles : l’oisif mélancolique et voyageur sentant bien au fond de lui qu’il doit rencontrer son destin, faits de devoirs certes, mais menant à la postérité. On y lit une sorte de mal du siècle en avance, que je n’ai pas retrouvé chez Goethe avec autant de présence profonde.

Atala
6.7

Atala (1801)

ou les Amours de deux sauvages dans le désert

Sortie : 1801 (France). Roman

livre de François-René de Chateaubriand

Kavarma a mis 8/10.

Annotation :

L’autre manuscrit emporté et publié à part, également un épisode isolé des Natchez, est Atala. Miroir narratif du précédent, ce texte met en scène Chactas l’Indien racontant sa jeunesse à René.

Ces deux textes sont mon premier vrai contact avec Chateaubriand, et il est très concluant. C’est magnifiquement écrit, et ce récit en particulier abonde en descriptions des luxuriances de l’Amérique sauvage, où les forêts sont immenses et pleines de vie, où les cimes des arbres construisent leurs ponts naturels, où les vastes paysages se déploient aux regards des voyageurs qui ont pris de la hauteur dans leur fuite.

Chactas jeune, fait prisonnier par une tribu adverse, est libéré par Atala la chrétienne, fille de leur chef. Elle est le premier contact de Chactas au christianisme, et elle est extrêmement belle, pour ne rien gâcher. Ces deux données feront évoluer la pensée de l’Indien tout au long de sa vie, et sa conversion arrivera au seuil de la mort, alors vieilli et devenu le sage de sa tribu. L’irruption de la conversion arrivant à ce moment-là n’est pas anodine : l’idée du Christ a fermenté dans son esprit toute sa vie et se révèle à la fin ; nourri par le martyre d’Atala et les manifestations de la grâce, Chactas accueille en sauvage le Dieu de la civilisation au moment où la possibilité de retrouver Atala dans l’autre monde vient enfin, Atala apparue elle-même dans sa vie tel un miracle, qui a sauvé sa vie par deux fois (la scène de nuit où un des gardiens prend Atala pour une apparition démoniaque indienne appuie l’aspect miraculeux). Chateaubriand, qui a écrit cette histoire « sous les huttes mêmes des Sauvages », cherchait à réconcilier le christianisme avec ses manifestations poétiques primitives, à révéler sa poésie dans la jungle américaine, c’est-à-dire à appliquer, d’une certaine manière, l’universalité de sa grâce. Oui oui, j’ai bien aimé ces récits spirituels, qui seront d’ailleurs publiés d’abord en tant qu’anecdotes de voyage dans le Génie du christianisme.

Kavarma

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