Lorsqu'Orwell écrit "1984", il a en tête une critique des univers totalitaires destructeurs du XXème siècle. Son année 1984 est loin de faire envie. La force du roman réside d'ailleurs dans cette dystopie merveilleusement réfléchie et juste dans laquelle le lecteur se sent aspiré, c'est du moins ce que j'ai ressenti.
Ce roman d'anticipation possède différents niveaux de lecture qui n'apparaissent pas forcément simultanément. Le premier réside dans l'histoire qu'Orwell construit autour d'un scénario haletant, plein des rebondissements. Il parvient également à provoquer de l'empathie pour le personnage principal et sa compagne d'un temps, du mystère autour de "Big Brother" et son ennemi... S'il s'en arrêtait simplement là, "1984" serait un bon divertissement mais sans plus. L'ingrédient supplémentaire c'est cette description du système totalitaire et la façon dont il peut s'insérer dans la vie quotidienne des gens jusqu'à en devenir d'une part normale, d'autre part incontestable pour la masse ; soit l'on adhère, soit l'on est rejeté. Il anticipe alors un monde dans lequel la population est aliénée par les procédés insidieux que sont la surveillance quotidienne, l'auto-censure, le contrôle des opinions publiques, le terrorisme continu, la menace intérieure perpétuelle, la suppression des concepts d'une langue. Ces deux niveaux de lecture s'entrecroisent et apparaissent assez évidemment pour le lecteur selon ses sensibilités politiques, son âge, sa culture personnelle. "1984" devient alors plus qu'un "bon divertissement", il devient un descripteur d'un système qui a réussi, au moins partiellement, à s'inscrire dans certaines sociétés à un moment donné. Pour ma part c'est surtout le 3ème niveau de lecture qui m'intéresse le plus.
Après avoir refermé le livre, j'avais un sentiment d'inconfort qui s'est installé. J'avais alors du mal à dire si celui-ci venait de "1984" ou du livre que je lisais alors en parallèle, "La stratégie du choc" de Naomi Klein que je ne saurai que trop recommander. En réalité je crois que c'est cette double lecture qui m'interpelle. Klein décrit le processus d'installation du néolibéralisme en partant des travaux de l'économiste américain Milton Friedman dans les années 1960. Dans son ouvrage, on découvre certains procédés que cherchent à mettre en place les tenants de ce néolibéralisme pour s'imposer aux populations : menace de terrorisme perpétuel, contrôle des pensées par les médias, novlangue politique et managériale... en somme ce dont Orwell nous parlait alors en 1949.
Finalement le génie de l'oeuvre d'Orwell n'est pas dans sa description du totalitarisme qui a touché le monde dans les années 1930, il est dans l'avertissement que ce dernier adresse à tous. Le message est universel, Orwell nous demande d'être vigilant pour garder nos conserver nos libertés fondamentales. Et lorsqu'on y réfléchit, la novlangue dont il nous explique les procédés n'est-elle pas déjà bien installée?
Pour conclure simplement, la lecture de "1984" constitue un point de référence dans ma perception du monde qui nous entoure en plus d'avoir été un agréable moment de littérature.