Dans notre monde merveilleux, où il n'y a qu'une lune, et que nous partageons - ou du moins en apparence - avec Murakami, le second livre de "1Q84" est encore meilleur que le premier, et qui sommes-nous pour nous plaindre que la vie nous accorde ce genre de faveurs ? J'ai bien vu qu'il y a, ci et là, des gens qui traitent Murakami d'écrivaillon de gare, mais j'ai pris le parti d'en rire : à notre époque, il est malvenu pour un grand écrivain d'être immensément populaire (a-t-on oublié que Balzac, au hasard, était un feuilletoniste adulé ?). Mais franchement, au sortir des 500 pages envoûtantes, trépidantes, enchanteresses, de "1Q84 volume 2", je me moque complètement de ce que quiconque puisse penser de Murakami. Pour moi, ça a été une fois encore - mais à un degré plus élevé que d'habitude - un "trip" total, entre délire SF parfaitement excitant, histoire d'amour sublime, thriller angoissant, mais surtout, surtout, comme c'est apparemment le cas avec les plus grands artistes japonais - encore une fois, j'ai senti Murakami plus proche de Miyazaki par exemple, que d'un Antonioni auquel sa distanciation, sa froideur apparente et son génie de la dissolution l'apparentait naguère -, une réflexion intense sur notre propre relation à nous-mêmes et au monde. Un auteur qui peut inventer des métaphores comme la Ville des Chats (très Studio Ghibli, non ?) ou comme la libération des souris emprisonnées dans le bois, tout en filant sa toile de récit Phil.K.Dickien, est forcément, dans mon monde à moi, un auteur capital. Murakami serait-il méconnu qu'on lui aurait sans doute déjà attribué un Nobel de Littérature, mais nous, nous sommes heureux d'être contemporains d'une œuvre comme "1Q84", qui, si elle ne transforme pas le monde comme "la Chrysalide de l'Air", nous affecte au moins aussi profondément.
[Critique écrite en 2014]