Pourquoi j'ai aimé "A feu et à sang", apologue politique contemporain, fresque lucide d'une campagne
Les doutes et les interrogations, Roselyne Bachelot les a eus tout au long de la campagne : le 21 décembre 2011, lors du dernier conseil des ministres de l'année, "le plus sinistre du quinquennat", à l'ambiance mortifère, elle comprend que le combat sera complexe et qu'il est sans doute déjà perdu.
Elle analyse finement la situation sur six mois. Tout y est mêlé : échanges avec des ministres et le Président, conseils des ministres, déplacements en province... Elle évoque ses souvenirs, aussi, tout en nous livrant, au gré des évènements, son regard sur la chose publique et la vie politique dans son ensemble. C'est donc ici le bilan d'une campagne qu'elle nous livre, avec une sincérité certaine, dans lequel apparaît une sorte de bilan personnel.
Avant même les élections législatives (auxquelles elle ne participe pas en tant que candidate), elle se lance à sa façon, et avec une justesse évidente, dans la refondation de son parti politique, l'UMP. Sa démarche, qu'elle justifie longuement, est claire : l'UMP doit faire l'inventaire du sarkozysme, y lire ses échecs, souligner les réussites et affirmer des valeurs. En bref, tirer les leçons d'une expérience, qui fut tout sauf une parenthèse de la vie politique française.
Au début de ma lecture, ma satisfaction fut immense : belle plume, très vive et passionnante ; regard juste, sincère et apparaissant comme largement dépassionné. Sans doute suis-je plus réservé sur la fin : au fur et à mesure de l'avancée de la campagne, et donc au fil des pages, Roselyne Bachelot affirme de plus en plus sa ligne idéologique, parfois quitte à taper, avec une mauvaise foi normale, sur le Parti Socialiste et la Gauche (une sorte de réflexe ?). Mais après tout, c'est compréhensible et peu choquant : la campagne elle-même s'intensifiait au fil des jours, des semaines, avec son lot de violences exponentielles. Et sans doute est-ce pour cela que j'ai aussi aimé le livre, jusqu'à son propos : il m'a permis de confirmer mon avis sur Nicolas Sarkozy, sur la politique française et sur mon propre engagement politique.
Elle en veut au Président-candidat à qui elle reproche de ne pas avoir défendu son bilan (et finalement, d'être tombé dans le piège tendu, facilement, par ses opposants). Le bilan social n'est pas noir et c'est ce qu'elle tient à marteler : elle attaque donc tous ceux, dans son propre camp, qui "ont préféré assumer l'expulsion des Roms plutôt que le plan Alzheimer", ou encore ceux qui, comme son ancien collègue, Laurent Wauquiez, se sont amusés à "brandir des thèses choquantes sur le système social français". Elle n'a pas digéré la "droitisation" de la campagne, voulue et poussée par les "conseillers", la "bête à trois têtes" (Claude Guéant - Emmanuelle Mignon - Patrick Buisson). Elle va même jusqu'à faire une métaphore (intéressante) entre Nicolas Sarkozy, ces "conseillers" et l'autisme : ils allaient dans un mur mais refusaient de le voir et surtout de l'entendre. On peut ici lui reprocher de n'avoir pas pris la parole, avec d'autres comme Alain Juppé ou Bruno Lemaire, pour dénoncer cette tournure, en plus de l'absence d'organisation précise dans la campagne. Mais passons...
On sent la liberté du ton - ce qui est presque naturel chez Roselyne Bachelot. Le jugement est corrosif, parfois drôle, quelque fois très émouvant, mais d'une lucidité assez remarquable. Elle pose clairement le débat sur les valeurs de son mouvement politique, sur la droitisation, alors que d'autres cherchent à faire croire que la présidentielle n'a été perdue qu'à peu de choses et que tout peut rester à l'identique, sans remise en question. Elle participe ainsi, à sa façon, au "post-sarkozysme" et à la "relance" de son parti : on suppose alors qu'il ne s'agit ici que d'une première pierre à l'édifice.
Politiquement, c'est également un ouvrage excellent dans le sens où elle crie à la fois son amour pour la politique et sa haine des vices qui la composent. Elle exècre la communication à outrance, et affirme l'impérieuse nécessité du renouvellement permanent.
Dans mon coeur socialiste, il est des éléments que je retiens volontiers. Je promets de m'intéresser notamment à l'autisme et aux solutions qui existent (dans leur diversité), car ces pages m'ont particulièrement touché. Je vais essayer de tout faire, personnellement, pour ne jamais tomber dans une "opposition" stérile et de refuser tout consensus par pure idéologie (parce que c'est aussi sur cela qu'elle "tape"). Je vais tâcher de méditer et de faire mienne cette théorie de "l'ascèse de l'adieu". Et retenir une phrase de Nicolas Sarkozy (ce qui pourrait faire tiquer...) : "Ne soyez pas tristes, ne nourrissez pas d'amertume. On n'a pas le droit au ressentiment, mais on a un devoir de reconnaissance vis-à-vis des Français. On a des baux à durée limitée, c'est comme la vie. Il faut aimer la politique, car ce qui donne le sel de la vie c'est de savoir qu'on va mourir, et ce qui donne le sel de la politique, c'est de savoir qu'on doit partir. Dans le succès on voit la lumière, mais dans la défaite, on voit les personnes."
Un récit de campagne, certes, de leçons, qui finit toujours par vous donner des leçons à vous-mêmes. Bel apologue, donc.
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