Arthur Dreyfus doit être l'équivalent, en littérature, de Xavier Dolan. Jeune prodigue, promis à tous les honneurs dès son premier roman, et tout à la fois, scénariste, journaliste, critique de cinéma et ... magicien. Il agite le milieu littéraire, non pas comme Sagan à son époque, mais par un côté agaçant tout autre.

Sa première publication, la nouvelle "Il déserte", promettait de belles choses. Son premier roman, "La Synthèse du Camphre", n'est que confirmation des attentes et espoirs. Le titre est mystérieux, ce qui est déjà un bon point. Aussi mystérieux, au moins, que les deux histoires qui se croisent vaguement, toujours, dans le creux d'un seul et même ouvrage.

Arthur Dreyfus nous fait suivre le destin de Félix, jeune apprenti chimiste, d'origine juive, et de sa famille, dans les heures les plus sombres de notre Histoire, pendant l'Occupation. Les dés sont jetés, le décor est posé. Mais ce serait sans doute trop simple, et le jeune talent ne s'arrête pas là. Le récit est coupé, à longueur de pages, par la correspondance (électronique) entre Ernest, jeune homosexuel français, et son "amoureux" canadien, "[email protected]". Mais une histoire de maladie grave vient bouleverser cette romance virtuelle pleine de charmes et riche en émotions.

Deux époques, deux schémas narratifs, deux façons de dire les choses, deux sujets abordés, et des émotions qui s'entrecroisent.

Par sa jeunesse, on peut aisément lui reprocher de tomber dans une certaine facilité, parfois naïve, mais il aborde les tourments de l'Occupation de façon assez extraordinaire, faisant preuve d'une connaissance exemplaire du sujet, presque habité qu'il est par l'histoire de Félix, intimement liée à la grande Histoire, celle des hommes. Et les rebondissements - à la fois dans le récit de Félix et dans la correspondance - sont parfois surprenants, souvent bien émouvants, et riches en enseignements. La révélation finale est sans doute l'une des plus surprenantes, des plus belles, des plus déstabilisantes qu'on ait pu voir dans la littérature française depuis bien bien longtemps !

La progression avec laquelle on parvient à lier les deux histoires est une réussite. Par divers procédés littéraires et rhétoriques, Arthur Dreyfus nous amène à comprendre les liens, les forces, les croisements entre chacune des deux "vies". La frontière - qui est en fait le sujet du roman - est cassée par l'auteur, qui s'interroge sur son sens et sa diversité. L'ampleur du roman - qui pouvait se faire attendre - ne peut qu'être soulignée au moment où l'interrogation se fait jour. La conclusion du roman est sublime, émouvante au possible et digne de grands auteurs français.

Arthur Dreyfus a également ceci de remarquable d'avoir un style génial pour sa génération, pour une époque où la littérature n'est guère plus que nullités et ennuies. Ses phrases son percutantes, et rythmées, avec un bon emploi du "tu" (pour une fois !) de façon à rendre le récit de Félix, sa description des camps notamment, riche en émotions.

Il y a de la poésie chez ce jeune homme, qui parvient à mêler son époque (celle du virtuel, des amours masculines avouées...) à l'époque trouble, tourmentée, de l'Occupation qu'il n'a connue que par les récits et la mémoire de personnes plus âgées. Le rapport entre les deux rend le roman explosif et brillant.
Byayaba
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le 13 août 2012

Modifiée

le 13 août 2012

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