Une Australienne qui raconte une histoire (vraie) en Islande ?
Il n'en fallait pas plus pour piquer notre curiosité car, tout de même il est difficile d'imaginer plus grand écart !
Quel lien entre ces deux îles aux antipodes l'une de l'autre ? Une petite et une gigantesque, l'une asséchée par le sable et l'autre gorgée d'eau, la chaleur ou la glace, ... ? Une où l'on sait que certains ont trouvé de quoi vivre et surfer à la cool au soleil et l'autre que l'on sait battue par les vents et les eaux et où Indridason nous a appris qu'il y fait très sombre ?
Mais Hannah Kent, jeune australienne d'Adelaide, rêvait de voir la neige et la longue nuit d'hiver : elle a été servie et est revenue de son séjour islandais la tête pleine d'images et de ces histoires que l'on se raconte au coin du feu.
À 27 ans, elle publie son premier roman À la grâce des hommes (Burial rites en VO) qui (chapeau !) est bien parti pour un grand succès.
Car Hannah Kent a trouvé ce qui relie les antipodes : ces deux îles, âpres et désertiques, sont toutes deux façonnées par des paysages grandioses à couper le souffle (et ce n'est pas qu'une figure de style). Des paysages qui, à leur tour, façonnent les destins, de la naissance à la mort.
'Landscape is destiny. The environment you grow up in has to have some kind of effect on how you perceive the world.' [Ron Rash]
C'est une phrase de Ron Rash (le parrainage n'est pas usurpé) que se plait à citer Hannah Kent et qui pourrait servir d'exergue à ce roman.
Au début du XIX° siècle (1829), un double meurtre ensanglante le nord de l'île : deux fermiers sont retrouvés sauvagement assassinés et carbonisés dans l'incendie de leur ferme de tourbe. Fridrik, Sigga et Agnes, un fils et deux filles de ferme sont arrêtés, jugés et condamnés à la décapitation.
Agnes Magnúsdóttir est l'une de ces deux filles. En attendant son exécution et faute de prison, elle est placée et accueillie de mauvaise grâce dans une ferme. C'est son histoire que nous raconte Hannah Kent.
Islande - 1829 : autant dire le moyen-âge ! et d'entrée, elle plante le décor.
Dans cette ferme, sous les regards réprobateurs de la famille contrainte de l'accueillir, Agnes attend sa dernière heure.
Pendant ces quelques jours qui la séparent de son exécution, Agnes va se confier au jeune pasteur Tóti .
D'où vient-elle ? Qu'a-t-elle vécu et subi avant de commettre l'irréparable ? Que s'est-il passé ? Qui était Natan, l'une des deux victimes, celui qu'on n'a pas osé appelé Satan et qui semble avoir été l'amant d'Agnes ? Est-elle seulement coupable ? Et les autres ?
En dépit des conditions misérables dans lesquelles (sur)vivent ces paysans d'un autre âge, Hannah Kent évite toute complaisance sordide et prend soin de faire parler ses personnages comme on a envie de les écouter aujourd'hui. On la remercie de ne pas avoir cédé à la facilité et si cette histoire repose effectivement sur une trame véridique et historique (soigneusement documentée et rendue), on se plait à lire un roman très contemporain.
Âpre et sévère comme les paysages islandais mais très actuel.
L'écriture d'Hannah Kent questionne notre intelligence et notre curiosité : on a du plaisir à découvrir les conditions de vie de cette époque, en ces lieux perdus bien loin de la couronne danoise, et on a du plaisir à dévorer ce presque polar, qui pourra prendre une place de choix au rayon des 'confessions de l'assassin'.
C'est aussi un très beau portrait de femme (de femmes pourrait-on dire, car il y en a plusieurs autour d'Agnes) tandis que les hommes semblent avoir perdu beaucoup de leur humanité. La faute aux paysages sans aucun doute.
Agnes Magnúsdóttir était manifestement trop vive et trop intelligente pour son époque et ses contemporains.
On est à deux doigts du coup de cœur pour ce roman découvert grâce à Babelio et aux Presses de la Cité.
Ce qui nous retiendra est peut-être l'absence d'un petit plus, d'un petit grain de folie (et pourtant il y en a déjà de la folie à vivre dans des endroits pareils à des époques pareilles !) et une seconde partie du récit (une fois la découverte passée) peut-être un petit trop académique, mais on pinaille pour faire sérieux.
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