Irrationnelle.
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le 26 mai 2021
Adieu ma honte, Ouissem Belgacem avec Eleonore Gurrey, Fayard
Voilà le récit autobiographique d'un inconnu. Son propos ? Ses rêves d'enfant brisés. Ces rêves d'enfant ? Il en avait deux : devenir un grand joueur de foot et hétérosexuel.
Car très jeune, quoique viril et un peu bagarreur dans un quartier déshérité d'Aix-en-Provence où il est élevé par une mère seule, abandonnée par un mari alcoolique et violent, entouré de trois sœurs, Ouissem pressent très tôt qu'il n'est pas tout à fait comme ses petits camarades. Son récit est celui de la traversée de ces deux rêves. Une parole sincère, sensible, intelligente, et parfois décapante, sans faux-semblants sur les faux-semblants.
Recruté très jeune par le centre du Football club de Toulouse, suivant sa scolarité en internat, Ouissem croît toucher à son rêve de professionnalisation (il est un arrière latéral rugueux, le chouchou de ses entraîneurs, recruté par l'équipe nationale de Tunisie) quand l'autre s'avère hors de portée en dépit de ses efforts : beau gosse, les filles le regardent, ça lui permet de donner le change ; il s'envoie de faux textos, signés d'un prénom féminin, sur son portable qu'il laisse alors en évidence pour éloigner tout soupçon ; achète des revues porno hétéro qu'il glisse sous son matelas quand sa mère commence à lui demander pourquoi il ne parle jamais de ses copines ( « C'était vraiment la honte pour un petit musulman, mais je préférais ça à ma vraie honte à moi ») ; va voir des psy et en sort désespéré quand il lui est conseillé de s'assumer, ou des imams en espérant que la religion pourra le guérir. Et va jusqu'à participer à une « ratonnade » anti-gay avec ses camarades footeux dans des parcs de drague pour ne pas paraître....
Ce livre est l'histoire d'une honte qui ronge, peut-être plus encore dans le monde du foot. Ouissem, brillant, ambitieux, la tête bien faite, parviendra néanmoins à en sortir : stage aux USA, études supérieures à Londres, embauche rapide dans une société du Cac 40, il décide à 25 ans de se lancer en affaires pour son propre compte sans plus rien dissimuler de cette part d'identité, dont il nous dit qu'elle est encore incompatible, de nos jours, avec la passion du foot.
C'est là peut-être la réserve qu'inspire le puissant récit d'une vie arrachée à la honte. L'auteur et l'éditeur présentent ce livre comme une dénonciation de l'homophobie dans le football. Quel dommage ! Ce livre est beaucoup plus que cela et même peut-être autre chose que cela. Le sentiment d'oppression face à l'hétérosexualité ambiante dans tel ou tel milieu, comme si seule celle-là était naturelle et toute autre orientation sexuelle déviante, n'est peut-être pas le propre du foot. D'ailleurs, l'auteur, dans des pages d'une grande sincérité, nous laisse entendre ce qu'il en est dans certains quartiers ou au sein de familles musulmanes.
Le sentiment ressenti par l'un signe-t-il l'homophobie de l'autre ? L'oppression vécue comme une asphyxie par celui qui se sait différent est-elle l'avers d'un « privilège hétérosexuel », comme les discriminations liées à l'origine le seraient d'un « privilège blanc ». Ce sont des débats du temps. Essentiels . Mais aux réponses qui devraient appeler à la nuance. Il y a, bien sûr, le regard des autres. Mais il y a aussi les attentes ou les craintes que le regardé projette dans le regard d'autrui. Méfiance et défiance sont quelquefois comme la poule et de l'oeuf.
D'ailleurs, quand Ouissem Belgacem, condamné au coming out pour ne pas crever de soi, se résout, comme on se libère, à avouer la chose à ses sœurs et à ses amis, dont certains font la prière cinq fois par jour, il est souvent heureusement surpris par leur réaction neutre ou bienveillante. Une de ses sœurs, venant d'apprendre l'homosexualité de son frère, lui dit « Ah, j'ai eu peur, j'ai cru que tu t'étais mis à fumer ». Et ses amis, quoique d'abord étonnés ou interdits, n'hésitent pas à l'accompagner dans des boîtes spécialisées où ils ne boivent que du jus d'orange ! Reste évidemment la mère, qui, à jauger les silences de son fils, redoute qu'il ne soit devenu un terroriste islamiste. Mais quand elle sait enfin, son «Pas de ça chez nous ! » sera le point final (?) d'une tentative de dialogue aussitôt interrompue.
On sort ému ou bouleversé de ce livre, et de ce parcours de souffrance et de libération, qui brasse bien d'autres thèmes que celui qu'affiche son bandeau promotionnel : la vie dans les quartiers, le ressort d'un jeune qui souhaite se sortir de sa condition, la passion du foot (les pages sur le monde du foot et les vicissitudes de la formation des jeunes en France sont vraiment passionnantes y compris pour les non-spécialistes), la différence entre la vie en France et la vie à Londres (« Dans cette ville, pour la première fois de ma vie, je marche libre de toute étiquette et de toute catégorisation. Je ne suis plus la racaille de cité, je ne suis plus suivi par un vigile quand je fais mes courses, je vais d'un endroit à un autre sans que rien ne me fasse penser à ma couleur de peau, à mon orientation sexuelle, à ma religion. Quel gain d'énergie »), la place de la religion dans la cité et dans la vie personnelle, le poids ou les affranchissements de la vie intime.
Oui, c'est cela, ce livre : le livre d'un affranchi qui, en nous ouvrant son cœur, nous ouvre les yeux et l'esprit. Vraiment passionnant. Et d'un courage qui force le respect.
Créée
le 30 mai 2021
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