Une rencontre pour renouer le fil de l’existence. Un miracle délicat de la littérature.

Psychologue et romancière danoise, Anne Cathrine Bomann raconte avec délicatesse dans ce premier roman paru en 2017, et traduit du danois par Inès Jorgensen pour les éditions La Peuplade (2019), l’histoire du retour graduel vers l’existence de deux êtres, un psychanalyste vieillissant et l’une de ses patientes.


Le narrateur, un praticien contemplatif usé par l’âge et la pratique, sent que « le temps s’écoule en lui comme l’eau au travers d’un filtre rouillé que personne ne se décide à changer » ; il rêve de partir en retraite et calcule le nombre d’entretiens avec ses patients, fardeau fastidieux, qui lui reste à mener dans cette expectative. Et pourtant l’on pressent que sa retraite n’aura d’autre contenu que le vide, le corps qui déraille et l’angoisse de la mort qui approche.


« Vieillir, pensai-je, pendant que l’amertume se déversait, consistait surtout à observer comment la différence entre son moi et son corps grandissait et grandissait jusqu’à ce qu’un jour on soit complètement étranger à soi-même. Qu’y avait-il là de beau ou de naturel ? »


Il accepte à contrecœur de prendre en consultation une nouvelle patiente, Agathe, petit nuage qui se mue subtilement en un miracle intime.


« – Je suis venue, dit-elle alors avec son accent distinct et une application qui faisait nettement ressortir chaque syllabe, parce que j’ai de nouveau perdu l’envie de vivre. Je ne nourris aucune illusion d’aller bien, j’aimerais simplement pouvoir fonctionner. »


Jeune femme allemande, Agathe Zimmermann évolue sur la corde raide, risquant de chuter en dehors de la vie. Et pourtant sa volonté pour obtenir un rendez-vous avec le psychanalyste est inflexible, révélant une force intérieure qui contraste avec l'extrême pâleur de son teint et son incapacité à poursuivre son existence. Les séances avec Agathe entraînent des modifications infimes dans la vie du thérapeute, comme si le monde distant qui l’entourait reprenait vie tandis qu’Agathe parle, s’ouvre et laisse derrière elle un parfum de pommes.


Le roman se déroule en France dans les années 1940 mais sa portée est universelle. Anne Cathrine Bomann réussit par la voix du thérapeute à dire les changements minuscules qui sont l’essence de l’existence-même, à évoquer la question de la mort, des angoisses de deux êtres qui se côtoient et du tabou auquel le psychanalyste se retrouve confronté, sa préférence pour cette malade.


Tout avance doucement dans ce petit livre, poids léger de la littérature en apparence, et qui porte en lui avec tendresse les sujets les plus profonds, de la solitude, du désespoir, de la condition humaine et de la manière de renouer le fil de l’existence.


Retrouvez cette note de lecture et et beaucoup d'autres sur le blog de Charybde ici : https://charybde2.wordpress.com/2019/09/22/note-de-lecture-agathe-anne-cathrine-bomann/

MarianneL
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le 22 sept. 2019

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MarianneL

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