À son retour dans sa ville natale de Mavrak, un trou ensablé du Far West où les conflits se règlent à coups de colts, Juan, l’intellectuel de la famille Ramírez, est pris dans la lutte ancestrale et sanglante entre sa famille et les Marlowe, une rivalité nourrie par les conflits territoriaux et les soupçons de son père sur le secret que les Marlowe dissimuleraient dans leur cave.
Brutes épaisses, saloon, vengeance, duel, prostituées, mère maquerelle influente et humour, tous les ingrédients d’un western spaghetti sont présents ici, et même un shérif, puisqu’à la suite du meurtre de Miguel Ramírez, le shérif Thornton, un incorruptible totalement sobre, est appelé à Mavrak pour rétablir l’ordre.
«Juan était allé étudier dans les grandes villes, dans les universités du Nord, le Nord qui prêchait la liberté pour les esclaves pendant la guerre. Cependant, d’obscurs désirs l’avaient ramené à la poussiéreuse Mavrak, la Mavrak inerte, tellement au sud, tellement loin des concepts audacieux de justice qu’on lui avait enseignés. Juan avait appris toutes les disciplines qui peuvent transformer un homme de cœur doué de sentiments en un homme de science doté de logique et de raison, mais il ne s’était pas laissé convaincre. Oubliant toute pensée cohérente, il s’était soumis à son intuition : son destin était de retourner dans sa ville natale, et sa famille, les Ramírez, avait besoin de lui. Et quand il avait recouvré la raison, il s’était rendu compte qu’il était monte sur son puissant cheval et avait fait route vers Mavrak, s’émerveillant de choses simples comme un coucher de soleil dans le désert, des squelettes de bœufs et d’autres animaux énormes enfouis sous la poussière.
Pendant son voyage de retour, Juan avait remarqué quelque chose d’alarmant : le sable devenait de plus en plus rugueux et rouge à mesure qu’il s’approchait de Mavrak et, bien qu’un tel fait n’ait aucune importance pour le reste des êtres humains, le changement de couleur et de texture des êtres humains, le changement de couleur et de texture du sable affectait directement les sentiments de Juan.»
Mais ce n’est pas tout : Antônio Xerxenesky est un authentique maverick, et ne se contente pas de se conformer aux codes du western. Changeant de genre narratif à chaque chapitre, l’intrigue de son roman caméléonesque, où l’horizon western spaghetti va être envahi par les zombies qui semblent sortis d’un film de série Z, est aussi perturbée les irruptions dans le récit du narrateur.
On comprend ainsi que cet homme vieillissant, qui ne sait pas grand chose de ses ancêtres, entreprend, entre deux verres de tequila et visites de son fils, d’écrire un livre sur eux en s’inspirant de Sergio Leone, de Sam Peckinpah et de George Romero. Avec ce narrateur hanté par sa relation à son fils, sa famille et ses propres fantômes, «Avaler du sable» forme aussi, l’air de rien, une réflexion sur les racines, le passage du temps et le pouvoir de renaissance de l’écriture.
«Car ce que je raconte, c’est l’histoire de mes ancêtres, des tensions qui se sont progressivement amplifies et qui ont culminé avec le retour des morts. Non. Je mens. J’écris sur une ville, la bourgade où mes ancêtres ont vécu, celle ou les Ramirez et les Marlowe ont existé et ont cessé d’exister. De cet endroit, il reste peu de chose. Cherchez sur une carte ou dans un atlas : vous ne trouverez rien.
Chaque fois que le soleil pénètre à travers les rideaux, annonçant la résurrection attendue du jour, je me lève et je regarde le monde se mettre en branle – voitures qui déchirent les avenues, travailleurs en retard qui courent. Je me dis que l’époque de mes ancêtres devait être pire. Je ressasse des passages de l’histoire dans ma tête. Nous vivons dans un monde meilleur. La mort, aujourd’hui, ne se trouve pas dans le moindre souffle d’air. Ni dans le moindre grain de sable.»
Querelle de famille dans le Far West mexicain et attaques de morts-vivants, ce premier roman du jeune écrivain Antônio Xerxenesky, paru en 2010 au Brésil, et traduit en 2015 par Mélanie Fusaro, s’inscrit dans la lignée des découvertes transgressives que l’on adore aux éditions Asphalte.
«Une personne chuchota à une autre que le nom de la ville avait bien été Maverick, environ deux cent ans auparavant, mais que quelques lettres sur l’enseigne avaient été mangées par le temps et un habitant, pour des questions de sonorité, avait ajouté la lettre « a » au milieu.»
Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/04/22/note-de-lecture-avaler-du-sable-antonio-xerxenesky/