Dans une Finlande uchronique où tous les excitants sont interdits, où les femmes sont séparées en deux catégories : les Eloïs destinés à la gestion du foyer familial et de la reproduction et les morlocks, jugées impropres à la perpétuation de l’espèce car trop « masculines » ou trop intelligentes, Vanna est trafiquante de piment et « capsaïco », consommatrice de cette drogue interdite, la capsaïcine, substance active du piment. Mais elle est surtout à la recherche de sa sœur, Manna, disparue peu après son mariage.
Johanna Sinisalo aime décrire les travers de son pays par le biais de romans aux sujets provoquants. Dans Jamais avant le coucher du soleil, elle décrivait la relation étrange entre un journaliste et un troll, Le Sang des fleurs abordait l’écoterrorisme face au capitalisme cynique. Avec Joie et docilité va encore plus loin avec cette république eusistocratique de Finlande : ce pays imaginaire où toutes les sources de plaisirs sont interdits, où la sexualité n’a qu’un but reproductif, où l’eugénisme est au cœur de la société, nous rappelle que la vraie Finlande a longtemps pratiqué la stérilisation forcée des handicapés (près de 58000 cas entre 1955 et 1970) et que le pays a avant tout une image ennuyeuse voire déprimante (regardez Au loin s’en vont les nuages de Aki Kaurismaki si vous en doutez).
Mais Sinisalo est douée, très douée, et elle sait se servir de ce décor effroyable pour écrire un roman fort et drôle : fort par la multitude de thèmes utilisés : pouvoir autoritaire et patriarcal, manipulation de masse de la population et eugénisme, mais aussi chamanisme, synesthésie et agriculture alternative. Fort aussi par sa construction : le roman alterne scènes à la première personne, narration épistolaire, extraits de manuels gouvernementaux, textes pseudoscientifiques et paroles de chansons, tout cela à un rythme effréné. Drôle enfin : le premier chapitre et sa méthode de test de la puissance d’un piment est énorme, les descriptions de consommation de capsaïcine valent toutes les expériences d’utilisation de stupéfiants, et la situation de Vanna (Morlock s’étant faite passée pour une Eloïs) provoque régulièrement un comique de situation démontrant l’absurdité de l’organisation sociale de cette Finlande.
Tous ces composants font de Avec Joie et docilité une réussite complète, le meilleur roman de Sinisalo et sans aucun doute l’un des meilleurs romans de science-fiction que vous pourrez lire cette année, aussi bien par son fond extrêmement riche que par sa forme efficace et aboutie. A ne pas rater.
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