Happée par la jaquette de couverture de l’édition grand format de Flammarion, je retourne ce roman et tombe sur un résumé encore plus intrigant.
De genre contemporain, ce récit ne fait pas partie de mes habitudes de lecture. C’est ce qui m’a attirée. De temps en temps, bien que je sois fan des romans s’inscrivant dans la lignée de l’imaginaire, j’aime couper dans mes lectures avec des romans sans magie, où la puissance des mots résonne surtout dans diverses figures de style, une plume atypique et un scénario banal aux premiers abords. Ce que j’ai apprécié, dans Balles perdues, c’est que nous sommes partis en Floride, à l’intérieur d’une voiture où vivent Pearl et sa mère ; c'est dépaysant. La narratrice n’est autre que Pearl, et son regard de pré-adolescente va nous emmener dans sa drôle de vie, ses pensées à la fois sucrées et amères. Parce que Pearl a conscience de beaucoup de choses, elle est intelligente, pleine de ressources et fidèle à elle-même.
Le style poétique de Jennifer Clement nous embarque dans un canot de sauvetage malmené par les flots. Autour de cette mère et de cette fille gravitent des dangers parfois trop subtils, tant pour l’une que pour l’autre. Elles ne se rendent pas compte du côté malsain de leur vie, ne voyant que l’aspect positif, lumineux, sucré. Et c’est par une plume douce et harmonieuse que Jennifer Clement en avant des aspects poisseux, recouverts de sang de crocodiles, de cendres de cigarettes et d’une désagréable odeur de soufre. Je trouve sa plume simple mais riche, chargée de figures de style riches, réfléchies, percutantes. Beaucoup de passages m’ont marquée par la façon dont ils avaient été écrits. L’autrice met des éléments en avant qui nous poussent à nous focaliser sur certaines problématiques exploitées dans ce récit. Elle parvient d’une main de maîtresse à aborder des thèmes durs en les enroulant dans la candeur de l’innocence avant de les renvoyer aux lecteurs, laissant un petit goût doux-amer. Nous, lecteurs impuissants, sommes spectateurs d’une situation que nous légitimons ou non, ainsi que de la chute douloureuse des personnages qui glissent entre les pages pour s’écraser.
Voici quelques courts extraits du roman pour illustrer mes propos :
— « Eli se disait que deux filles qui vivent seules dans une voiture, c'est tout ce dont rêve une arme. »
— « Rose disait que chaque blessé de guerre était un vrai livre d’histoire. »
— « Si vous habitez dans une voiture, ça veut dire que vous faites juste semblant de ne pas être une SDF qui vit sous un pont. Les gens croient toujours que le fait d'être sans domicile est contagieux. »
— « C'était une femme seule. Cet homme, il est arrivé, il est entré en elle sans frapper et il s'est assis. »
Ce roman parle d’un pan de la société, celui des plus démunis, celui de ceux qui voyagent, celui de ceux qui vivent dans des caravanes, presque dans un autre monde. Le shérif des lieux fait la loi, chacun est libre à son échelle ; on suit une communauté ancrée dans ses habitudes, ses connaissances, ses visions de la vie. Je n’y connais rien en Floride mais j’ai senti que je me trouvais ailleurs que chez moi, absorbée par cette histoire chaude, sèche, tranchante. Dès que j’ai repris ma lecture, à proximité du premier tiers du roman, je n’ai pas pu m’empêcher de dévorer la suite en trois traites. Si au début j’étais simplement intriguée, la suite m’a totalement ensorcelée, et ce qui m’empêche de considérer un coup de cœur sur ce roman m’échappe. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais il m’a manqué quelque chose. Et puis, j’avoue que la fin me laisse sceptique. Je ne sais pas vraiment me situer la concernant, encore moins me prononcer sur ma position quant à ce qui s’y passe. Tout ce que je peux dire, c’est que je me suis beaucoup attachée à Pearl et j’espère que le reste de sa vie, que nous ne connaîtrons jamais, l’épanouira et lui permettra d’atteindre le bonheur, le vrai.
Bien qu’intriguée au début de ma lecture, je ne m’attendais pas à un tel déroulement et à ce que l’autrice nous laisse avec une boucle bouclée. Tout n’est cependant pas réglé à la fin du récit – et heureusement, ça le rend d’autant plus réaliste –, ce qui offre un sentiment de finalité inachevée. Je me pose des questions sur les personnages rencontrés, leur avenir, jusqu’où peuvent aller les thèmes abordés par Jennifer Clement dans la vraie vie, si l’histoire n’est que fictive ou si elle se base sur des tranches de notre réalité, etc. Je recommande ce roman poudreux aux lecteurs désireux de voyager. D’autant plus si vous recherchez une plume à la fois simple et lyrique qui vous poussera à réfléchir autour du quotidien d’un SDF abordé sous un autre angle, du trafic d’armes, de différentes visions de l’amour et d’un tas d’autres thématiques intéressantes…