Nombre de poèmes de ce recueil tourne autour de la question de l'identité humaine. Qui suis-je ?
"Mon âme est à ma recherche / Mais je suis en cavale,
Puisse-t-elle ne jamais / Me rencontrer !
Être un, c'est une prison. / Être moi, c'est ne pas être.
Je vivrai dans la fuite / Mais vivant pour de bon."
Fernando Pessoa se vit comme un être multiple, dont les personnalités successives l'égarent, au point de ne plus savoir qui il est.
"J'aurais aimé, réellement,
Sentir avec une âme unique,
Ne pas être à moi seul tant de gens.
Pour eux tous, je ressens de la pitié.
Ne pas avoir de foyer, soit ! Ne pas avoir
De repos ni d'attaches, c'est bon !
Mais moi, parce que je possède tant d'âmes,
Je ne parviens même pas à posséder la mienne."
Une conscience de soi excessive donne le sentiment d'une irréalité de soi-même et du monde.
Adulte, Pessoa a la nostalgie de son enfance et d'un lien direct avec la nature.
Plus grave, il se sent privé de son essence, ce qui le rend malheureux.
"Pourquoi faut-il, pour être heureux / Ne pas le savoir ?"
Les échecs de sa vie le talonnent, déchirent son âme : "Vivre, c'est ne pas réussir."
"Me voici dans le balancement / Où je berce ma vie-douleur."
Toujours, se pose la question : comment vivre ?
Comment continuer à vivre, malgré la lucidité, qui corrode à l'acide le cœur et l'âme ?
"Je ne suis rien, ne peux rien, ne poursuit rien.
J'emporte, pure illusion, mon être avec moi.
Comprendre m'est incompréhensible et je ne sais
Si je serai, n'étant rien, ce que je vais être."
L'insomnie fait de sa vie une hébétude :
"Toujours je me réveille avant le point du jour,
Et j'écris lourd de ce sommeil que j'ai perdu (...)
Quel mal à ne pas dormir ? Nous perdons
Ce que la mort nous donne en avant-goût."
"Y a-t-il une âme, un corps où j'existe ?
Vais-je dormir ou m'éveiller ?
Où suis-je donc si je n'ai pas d'être ?"