Découvert sur la table d’une librairie de Cayenne, je me suis ruée sur ce petit roman de Antonin Varenne dans l’espoir d’y trouver un peu de la vie guyanaise qui est maintenant la mienne.
Et je n’ai pas été déçue.
Ici, on ne fait pas dans la dentelle. L’action se déroule dans le fond de la forêt, l’enfer vert, là où les orpailleurs construisent des camps si grands qu’ils en deviennent des villages, inexistants sur les cartes, où en toute illégalité, ils extirpent l’or des rivières en saccageant tout sur leur passage.
Marc est mécanicien dieseliste, il a vécu en Guyane avec sa femme et ses enfants. Il en garde la douce nostalgie de ceux qui n’en connaissent pas les dangers. Aussi, quand dans la dèche, son ancien patron, Jules, lui propose une somme rondelette pour venir dépanner un monstre de ferraille, un Caterpillar 215, Marc n’hésite pas longtemps.
Jules est un type pas très fréquentable, pas fréquentable du tout, qui a entrepris de faire convoyer l’énorme machine sur un site d’orpaillage en se frayant un passage à travers la forêt impénétrable. Joseph, un ancien légionnaire qui a définitivement dégoupillé conduit l’engin, escorté par Alfonso, son larbin brésilien, qui chasse, pêche, prépare les repas et se fait copieusement insulter par le légionnaire qui le soupçonne de vouloir échapper à un passé plus que douteux. Comme tous les brésiliens…
L’or ne rapporte rien aux hommes qui remuent la boue du fleuve. La vie
sur place est chère, tout y est vendu hors de prix par les boss. Ceux
qui travaillent là-bas parviennent tout juste à économiser un peu
d’argent qu’ils envoient à leurs familles. Si je lui pose la question,
il me racontera la même histoire que tous les orpailleurs clandestins
: qu’il a trouvé un jour, en creusant, une pépite de trois ou quatre
cent grammes qu’il a réussi à cacher ; qu’il a payé avec une maison
pour sa mère ou acheté un beau terrain au bord d’une rivière dans son
village natal. Tous les chasseurs ont tué leur premier jaguar à treize
ans, tous les orpailleurs ont trouvé un caillou d’un kilo. Contre leur
destin pourri, les hommes qui travaillent dans la forêt n’ont que des
histoires fabuleuses à raconter.
Et le moteur de la bête rend l’âme. Plantée au milieu de nulle part. Joseph attend l’arrivée d’un dépanneur et du nouveau moteur. Il attend en sifflant bière sur bière et en se finissant au rhum, le doigt sur la gâchette.
Quand Marc arrivera sur place, après un périple en pirogue, en quad, à pied, il comprendra vite qu’il ne faut pas trainer trop longtemps dans le sillage de ce fou furieux.
Ce roman court mais dense, à l’écriture rugueuse, parle d’une réalité bien connue en Guyane. C’est une lutte sans fin, un désastre pour la nature et donc pour l’Homme, mais l’Homme, prêt à tout pour survivre, échoue dans l’enfer et creuse, prisonnier volontaire, esclave des temps modernes. Car au-delà du « prétexte » du roman, de cette foutue machine et de ces hommes sans foi ni loi, c’est de cette réalité dont il est question.
Une lutte sans fin. Tant qu’il y aura de l’or.