En mai 2007, Nicolas Ducret part pour un voyage de 6 mois à cheval qui l'emmènera de Soldatovo au Kasakhstan à Kaboul en Afghanistan. Cavalier des Steppes est l'histoire de son parcours, de ses rencontres, de ses impressions de voyage.


J'avais hâte de lire ce récit de voyage, les autres livres que j'ai lus dans le cadre de la préparation à mon voyage en Mongolie étant sympathiques mais plutôt superficiels. Sur près de 400 pages de texte, j'avais plus de chance de trouver mon bonheur. Ce fût le cas, même si reste la légère frustration que l'"action" ne se situe pas en Mongolie.


"- Peut-on trouver de l'herbe dans la vallée de Bartang ? lui demandé-je pour me rattraper.
- Ah, je ne sais pas. Je ne fume pas, répond-il.
- Non, de l'herbe pour mes chevaux."


Ça reste l'Asie Centrale, certes, mais les pays traversés par Nicolas Ducret lors de son périple ont tous été sous domination soviétique. Cette domination a changé la culture de ces pays. C'est très effrayant. J'ai l'impression, mais je peux me tromper n'ayant encore rien lu sur le sujet, que la Mongolie, en conservant son indépendance malgré le fait qu'elle ait été un pays communiste, a davantage su préserver son authenticité*. Il est très dur de voir un peuple littéralement partir en déliquescence. C'est ce qui m'a le plus marqué dans cette lecture.


"Quel spectacle accablant que la chute libre d'un peuple dans une sous-culture étrangère qui lui va si mal !"


C'est là qu'on voit aussi que les choses sont rarement toutes noires ou toutes blanches : les gens qui regrettent le régime soviétique dans ces pays-là ne sont pas rares. Parce qu'en ce temps-là, tout le monde avait du travail et à manger. Maintenant les gens survivent péniblement de l'élevage de moutons et font une consommation excessive de vodka que les Soviètes se sont gardés de reprendre avec eux quand ils sont partis. Dans certaines régions, le cheval a quasi complètement déserté les lieux : trop coûteux à l'entretien, il a été remplacé par l'âne.


"A l'épicerie du village, Kanat, le plus jeune des deux Kazakhs venus avec nous, achète un pain, une saucisse et une cinquantaine de bouteilles de vodka. "C'est pour la route!""


Du côté du relationnel avec les gens du coin, cela va d'un extrême à l'autre : l'hospitalité des peuples d'Asie Centrale est légendaire et c'est vrai : Nicolas Ducret a bénéficié de l'aide de nombreuses personnes qui lui donné un toit pour dormir et du foin pour ses chevaux, la plupart du temps sur simple base d'un contact commun. C'est assez extraordinaire. D'un autre côté, il a été plusieurs fois confrontés à des gens malintentionnés, ou tout au moins fort louches. Il a aussi vécu dans la peur de se faire voler ses chevaux quand il dormait à la belle étoile dans la steppe. Le passage des différentes douanes est aussi assez épique. On se plaint de l'administration de chez nous, eh bien là-bas c'est pire, d'autant plus que les douaniers n'en font souvent qu'à leur tête, exigeant des documents qui n'ont pas lieu d'être, étant parfois à la limite de la torture psychologique, tout ça dans le seul but d'extorquer le maximum d'argent aux étrangers de passage.


""Vous savez pourquoi tous les réverbères sont éteints ? demande Alexander .
- Non.
- C'est parce que les gens les démontent pour en revendre les pièces d'aluminium aux Chinois. Ils font pareil avec les plaques d'égouts. Ils les prennent et les monnaient au prix du métal. A cause de ce trafic, on marche sur des trottoirs troués, plongés dans la pénombre."


La relation que l'auteur a noué avec ses chevaux est très belle. Six mois passés ensemble, forcément ça crée des liens. Ce relationnel est décrit de façon réaliste : le cheval reste un cheval. Il n'empêche qu'on s'attache à ces animaux, on s'inquiète quand ils sont malades, on pense à leur bien-être avant le sien. Dès la première page lue du livre, la question de la séparation à la fin du voyage n'a pas quitté mon esprit. Pour m'être déjà attachée très fortement à un cheval que j'ai monté pendant 5 petits jours, je me demandais comment on faisait pour se séparer d'animaux que l'on a côtoyé quotidiennement pendant 6 mois et qui certains jours étaient les seuls êtres vivants à qui parler. Ben ça se fait et c'est tout. C'est la vie. Après restent les souvenirs.


"Mes chevaux rejoignent ceux de Rahili, un tchopendoz** de Kaboul. Ému, j'échange avec eux un dernier regard. Tsigane hennit doucement. A-t-il senti lui aussi que plus rien désormais ne sera comme ces longs mois vécus ensemble ? J'en suis convaincu. Une nouvelle vie nous attend. Demain je rentre en France. "


En conclusion, voilà un livre qui va au fond des choses, qui n'essaie pas de donner une image idyllique du voyage à cheval dans des contrées qui peuvent s'avérer parfois inhospitalières. C'est dur et triste mais c'est beau. Le genre de voyage dont on ne revient pas indemne.



  • En fait, il s'avère que ma vision de la Mongolie était complètement idéalisée lors de ma lecture de cet ouvrage. Entre temps, j'en ai lu un autre, que je chroniquerai prochainement, qui dresse un constat assez sombre également : si la Mongolie a conservé son indépendance, elle a bel et bien été frappée de plein fouet par le communisme et en subit encore les conséquences, ainsi que du capitalisme actuel.


** un tchopendoz est un cavalier qui joue au bouzkachi, un jeu équestre collectif dont le but consiste à se disputer le cadavre sans tête d'une chèvre pour l'amener dans le "Cercle de Justice". Avec le pato argentin, le bouzkachi a inspiré la création du horse-ball.


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le 21 nov. 2014

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