Voici une galerie de personnages que nous suivons durant une journée. Une journée de leur vie à tous. À tous plutôt qu’à chacun, car s’ils ne se rencontrent pas au cours de cette journée, ils se connaissent avant et tous sont liés par des relations, plus ou moins ténues, qui apparaissent peu à peu. Parfois aussi, des personnages secondaires se croisent tout en ignorant que quelque chose les unit. Le roman s’organise autour d’un homme, un père, posté derrière sa fenêtre, il observe le carrefour au pied de l’immeuble. Il est le seul à avoir un lien réel avec chacun des personnages.

On parlerait de roman choral si chaque personnage prenait à son tour la parole. Ici, c’est l’auteur qui revendique explicitement le rôle de narrateur dans une démarche très métaleptique (et bim !). Et l’auteur, sympa et didactique, nous donne les clés : « Parce que, oui, c’est bien ce qui va se passer ici, on va suivre sur une même journée ce que vivent au même moment plusieurs personnages, plus ou moins reliés entre eux ; mais ne vous inquiétez pas, ce sera tout doux, tout progressif, on ne va pas du tout se perdre, non, et je suis là pour aider. On ira de l’un à l’autre, comme ça, on slalomera fastoche, un coup de hanche par-ci, un coup de hanche par-là. On surfera, à l’aise Blaise, habiles et souples, hop, hop, et progressivement ce sera tout un petit monde qui se construira. » Ok, compris !

Montalbetti multiplie les digressions, les descriptions hyper détaillées, dans un vocabulaire extrêmement juste et précis, jusque dans les termes de métier. On sent la jouissance que fut la sienne à à recourir à ce lexique, souvent tombé en désuétude et auquel elle semble redonner une chance, Allez, un dernier tour de piste avant de tirer le rideau ! « …le mot savates : un mot qui frémit d’être encore convoqué, un mot qui se relève d’une brume ancienne et qui pointe son nez, surpris, interloqué et content. Un peu poussiéreux, la mine fatiguée, pas de la première jeunesse, non, et c’est d’autant plus une fête qu’on ait pensé à lui, que le père l’extirpe du réservoir des vieux mots dont il ne s’occupait plus, qu’il laissait dépérir dans un coin de sa mémoire, inutiles, usés, cabossés, et dont il pensait ne plus se resservir. Savates, ah, quelle douceur pour ce mot de faire encore un peu d’usage, de trouver sa place parmi des mots plus jeunots, plus fringants, plus énergiques. Savate reprend un peu de poil de la bête, et l’expression poil de la bête par la même occasion, un peu courbatue, se réveille en arborant un sourire : c’est comme une deuxième vie, pour savate et poil de la bête, comme deux petits vieux à qui on redonne du service. »

On pense à Diderot qui, dans Jacques le fataliste, nous indique parfois qu’il aurait pu écrire une autre histoire, faire prendre des chemins différents à ses personnages, mais que non, finalement, il préféré faire comme ça. Si vous êtes de ces lecteurs qui cherchent du palpitant, de l’action à chaque page, vous risquez de rester sur votre faim. Pour les autres, c’est sans doute aussi jouissif que ce dut l’être à l’écrire pour l’auteur ! Tout du long, notre imaginaire est sans cesse stimulé par des rapprochements parfois osés : la plage des touristes et celle où s’embarquent des candidats à l’exil ; ou bien les explosions et les éclairs d’un feu d’artifice et ceux des bombes s’abattant sur une ville en guerre.

Dans la cave des Montalbetti, voici une bonne année.

Brigou13
9
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le 30 avr. 2023

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Brigou13

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