Arame et Bougna sont les mères de migrants clandestins en route pour l’Europe et ses mirages. Sur leur petite île sénégalaise, elles avancent soudées, tant bien que mal, dans un quotidien fait de grands renoncements, de corvées sans cesse renouvelées et de minuscules victoires balayées par les lendemains. Fatou Diome se concentre sur celles qui restent au pays, et attendent d’être sauvées de leur vie précaire par leur fils, leur mari.
C’est la chronique sociale d’un village sénégalais, avec ses traditions, ses règles de bienséance, ses pratiques sociales et ses manoeuvres pour survivre au quotidien empesé par l’absence. On utilise son réseau de parentèle pour placer une bru qu’on a du mal à nourrir, on quémande au marché un morceau de savon pour la lessive, on rallonge son ardoise de dette chez l’épicier du village ou on part glaner des fruits de mer par marée basse pour agrémenter un repas de restes. Chacun déploie des trésors de stratégie pour améliorer chichement son existence, puis palabre dans les fêtes de village pour assoir sa réussite.
L’écriture de Fatou Diome est très appliquée, elle tisse des phrases-métaphores qui rendent compte précisément de la vie dans un village du Sénégal. Sans misérabilisme, avec beaucoup de tendresse pour chacun de ses personnages, elle donne à voir les jours qui passent, sans fard, plein de rudesse mais aussi d’une vitalité solaire. Elle met en lumière pudique la force de ces familles (et il faudrait en réalité plutôt dire la force de ces femmes) qui prennent à bras-le-corps leur destinée en main, pas de la plus adroite des façons, mais avec les armes qui leur reste : la force vitale de leurs fils, des stratégies d’alliances maritales prometteuses et des renoncements immenses qu’elles portent pour la vie.