De l'art de vociférer avec parcimonie
En littérature, il y a deux types de vulgarité.
La bonne et la mauvaise.
La bonne, c’est celle des salopards comme Bukowski.
Les mecs de cette génération sont vulgaires. On ne peut le nier. Mais avec classe et distinction.
Toujours pertinentes et bien dosées, leurs douces injures et autres grossièretés tombent à pic pour appuyer un propos de la plus haute importance. Un argument de poids, noyé dans une vaste prose et ne se suffisant apparemment pas à lui-même, se voit instantanément propulsé au premier plan par un simple « putain » ou un banal « tout de même merde ».
Douces interjections de coordination, ces cris du cœur fluidifient le propos et maintiennent l’attention du lecteur aux instants les plus critiques.
La vulgarité de ces auteurs du XXIème siècle se veut également drôle. Apposée avec sagesse et de façon appropriée, elle peut se révéler le plus hilarant des calambours. « Enculé ».
Réalistes avant tout. Car le monde est vulgaire. Le vrai monde. Loin de la haute bourgeoisie et des élites bien-pensantes. Que celui qui n’a jamais qualifié un conducteur irrespectueux ou un chef de service prétentieux de « sale petit batard » jette la première pierre.
Cette vulgarité rapproche, humanise le récit. Elle est bienveillante.
La mauvaise, c’est celle des types comme San-Antonio.
Celui-là est vulgaire. Mais bêtement, gratuitement.
Il en fait même sa marque de fabrique, apposant un « salope » ou un « couille » au détour de chaque phrase.
Souvent hors de propos, cette vulgarité primaire plombe le récit et tire vers le bas un humour qui aurait pu être acceptable.
Malgré les qualités littéraires et la culture évidentes de l’auteur, on a l’impression d’assister à la purge d’un collégien à qui ses parents ont interdit l’emploi des « gros mots » à la maison. Bien heureux de s’être échappé du carcan familial, voilà notre adolescent qui déverse son flot ininterrompu de mots interdits.
L’exemple le plus flagrant est la manière qu’ont les auteurs d’aborder le sexe. Activité hautement appréciable et appréciée de la majorité des êtres humains.
Quand Bukowski parle d’amour physique, il le fait crument, avec force détails. Mais avec amour. Cet amour omniprésent apporte la douceur nécessaire et rend les plus sales de ces aventures belles. Tout est question de retenue et de dosage.
Quand San-Antonio évoque le sexe, on a envie de se faire moine. Le pauvre lecteur ressort de cette expérience triste et choqué, dégouté.
Cette mauvaise vulgarité crée une distance, effraie parfois, débecte souvent.
D’où l’inévitable question.
Si un livre ne propose aucune évasion, n’apporte aucun élément de rêve, se contente d’une sale accumulation de détails sordides, à quoi est-il bon ?