A l’occasion de la réédition de Chat sauvage en chute libre, je ressors de la naphtaline cette ancienne chronique. Avis aux amateurs.
Fan de Kenneth Cook, mon choix s’est naturellement porté vers un auteur australien. De Mudrooroo, on dira juste qu’il a publié ce premier roman en 1965 sous le nom de Colin Johnson, identité délaissée pour un pseudo plus en accord avec ses convictions et ses origines aborigènes. Des origines prêtant à controverse en Australie, le bonhomme étant tout sauf paisible.
Chat sauvage en chute libre comporte une bonne part autobiographique. Les maisons de redressement, la prison, la fréquentation des milieux bohèmes, c’est un peu toute la jeunesse de Mudrooroo. Il alimente le roman avec son expérience personnelle, inoculant juste ce qu’il faut de fiction pour éviter le documentaire.
Quid de l’histoire ? L’intrigue brille par sa simplicité et sa concision. On suit l’errance d’un jeune délinquant à peine sorti de prison où il vient de purger une longue peine. Retournera-t-il à l’ombre ? Le découpage du texte ne laisse planer aucun doute. Ce n’est pas le plus important, seul importe le cheminement intime et extérieur. Dans l’intervalle, le jeune homme s’interroge sur son avenir. Il est tenté de retrouver son ancienne bande de bodgies (les blousons noirs de l’époque), accoudé au comptoir du milk bar où il avait ses habitudes, alignant les bières et échafaudant des combines minables.
Mais une rencontre fortuite sur la plage lui offre l’opportunité de fréquenter les étudiants blancs. Loin d’être complètement abruti, il a mis à profit ses années de prison pour accumuler des connaissances et réfléchir sur sa condition. De cette analyse, il tire une philosophie de vie qui s’inspire en grande partie de l’existentialisme, de Camus, de Beckett et du jazz.
« Toutes les choses sont éloignées de moi. Je suis rejeté et par
essence parfaitement seul. Rien n’est moi ni ne m’appartient, et je
n’ai pas ma place dans ce monde ni dans le suivant. »
Roman nerveux et sans concession, Chat sauvage en chute libre impressionne par son style et son rythme. Porté par une narration fluide, on est immergé sans préambule dans le vécu d’un jeune désaxé. Mudrooroo se garde bien d’entrer dans les détails, préférant nous livrer les informations sur son passé au compte-goutte, sous forme de réminiscences. Une image, une parole, une situation suscitant un souvenir, ou un flash-back. Le procédé très cinématographique s’intègre parfaitement à la narration, entrant en résonance avec le propos.
Roman de combat, Chat sauvage en chute libre exprime aussi l’âme noire d’un peuple enraciné dans sa terre au point de faire corps avec elle. Une volonté d’émancipation, une volonté d’être tout simplement imprègne chaque page. Mudrooroo dénonce tous les poncifs, il vilipende le désir mou de reconnaissance de la culture aborigène qui commence à tarauder les blancs radicaux à cette époque. Près de quarante-cinq ans plus tard, son propos reste plus que jamais d’actualité. Bien au contraire, il n’a pas pris une ride.
Après Kenneth Cook, Mudrooroo rejoint illico mon best-of de la littérature des antipodes. M’est avis que je ne vais pas tarder à lire son autre roman paru en France.
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