Kimie (diminutif de Kimiko) est une jeune femme de vingt ans, venue à Tokyo depuis sa campagne alors qu’elle n’avait que dix-sept ans. Elle travaille (présent narratif) comme serveuse dans un bar et vit seule. L’époque n’est pas située de façon précise, mais Kafū évoque la fin de l’ère Edo, au début du XXe, alors que la parution de ce court roman date de 1931.
La position de Kimie reste un peu ambigüe selon mon ressenti, car depuis son arrivée à Tokyo, elle n’a pas toujours été barmaid. Il semble difficile de la considérer comme une ancienne geisha, puisqu’elle n’en a jamais suivi les étapes de formation. Sa famille n’est pas en lien avec son arrivée à Tokyo, puisqu'elle s'est échappée de la demeure familiale, à la campagne. De plus, si elle avait été geisha, elle aurait dû se faire racheter par quelqu’un. Or, visiblement, elle se comporte en femme libre, peut-être à l’occasion prostituée (elle a cohabité avec l’une d’elles, qu’elle considère comme une amie) suffisamment maligne pour échapper à tout contrôle, ce dont Kafū profite pour dresser un portrait qui flirte étonnamment avec une mentalité moderne. Ceci dit, Kafū laisse entendre négligemment qu’elle manque bien souvent de lucidité et de perspicacité, hormis les situations où elle cherche à orchestrer ses multiples rendez-vous avec des hommes, allant jusqu’à en gérer plusieurs au même moment. Kimie se comporte donc en femme indépendante qui aime les hommes au point de ne pouvoir résister dès que l’un d’eux se montre entreprenant sensuellement.
Au tout début, elle découvre que l’une de ses caractéristiques physiques intimes figure dans une publication accessible à tout un chacun. Quand le lecteur se demande ce que bien faire ce genre de détail dans une publication, Kimie se demande elle comment et pourquoi ce détail se retrouve dans la sphère publique. Sa naïveté apparaît quand on constate qu’elle ne trouve pas mieux que d’aller consulter un voyant pour tenter d’en apprendre davantage. Or, on devine aisément qu’il s’agit d’un charlatan.
Le roman s’intéresse à Kimie sur plusieurs chapitres, pour la quitter brusquement en mettant d’autres personnages au premier plan. On comprend assez rapidement que ce faisant, Kimie se retrouve alors au second plan. Cela permet à Kafū de compléter son portrait tout en complétant ce qui l’intéresse lui, à savoir la description des mœurs de l’époque à Tokyo, ville dont il fait en quelque sorte un protagoniste à part entière. L’ensemble est assez fin mais laisse un goût d’inachevé. En effet, Kafū s’arrange pour qu’on comprenne qui et pourquoi est à l’origine des désagréments endurés par Kimie (cela ne s’arrête pas au détail divulgué dans la presse), alors qu'elle a abandonné ses investigations. De plus, si Kimie agit en femme libre, elle se laisse complètement dépasser par ses envies de composer avec les multiples relations qu’elle entretient avec les hommes. Petit extrait à mon avis révélateur :
« Entre la fin de ses dix-sept ans et aujourd’hui où elle en avait vingt, continuellement et uniquement en proie à la frénésie de ces jeux, elle n’avait jamais eu le loisir de réfléchir sérieusement à ce que pouvait être un amour sincère et profond. »