Cinq amoureuses
7.2
Cinq amoureuses

livre de Ihara Saikaku (1686)

Paru en 1686, voilà un témoignage inestimable sur la vie au Japon à l’époque. Son auteur, Ihara Saikaku (1641-1693) doit sa réputation initiale d’écrivain à des récits au caractère érotique (dans la même collection Vie d’un ami de la volupté et Vie d’une amie de la volupté), comme cela se pratiquait à l’époque. Cela se sent avec Kôshoku-gonin-onna, le titre original de ce livre, dont Georges Bonmarchand (traducteur, préfacier et auteur des copieuses annotations et généreux commentaires en fin d’ouvrage) explique la signification. Gonin signifie « Cinq » et onna « femmes », alors que le terme kôshoku prête à interprétation. En effet, il correspond à deux caractères chinois (alors que le livre porte bien la mention « traduit du japonais) : kô (aimer) et shoku (le plaisir sexuel). Le traducteur justifie sa préférence pour ce titre « Cinq amoureuse » plutôt que « Cinq femmes libidineuses » ou « Cinq femmes voluptueuses » en rappelant qu’il n’est pas question ici d’amours vénales, mais bien d’histoires de passions amoureuses vécues par des femmes. Peut-être l’auteur craignait-il un manque d’intérêt pour son œuvre, si le public ne trouvait pas ce terme de kôshoku dans le titre ? Toujours est-il qu’il jette le doute dans les esprits et qu’il accrédite des propos d’autres écrivains de son époque et d’époques postérieures, jugeant sa renommée un peu exagérée au vu de ses faiblesses en orthographe et en grammaire. N’ayant aucune connaissance en japonais (ancien de surcroit), je serais bien en peine de me positionner par rapport à l’œuvre originale. Je ne peux qu’imaginer les difficultés de traductions vers le français d’une langue dont les principes me semblent fort éloignés de ceux que nous pratiquons et faire confiance à une traduction soignée et réfléchie. Ce qui ne m’a pas empêché de remarquer un certain nombre de détails produisant un effet négatif sur le plaisir de lecture que j’espérais pour ces histoires qui sont des contes réalistes en prose, un type de littérature (ukiyo-zôshi) dont Saikaku fut l’initiateur. Saikaku vivait à Osaka, ville de création récente. Il appartenait à la classe des chônin, bourgeois-propriétaires-commerçants et était un adepte du haïkaï, genre poétique raffiné qui exerce une influence certaine sur son style. La traduction en rend compte, dans la mesure du possible.


Chaque histoire se présente sous la forme de 5 courts chapitres (35-40 pages en tout), avec une ou plusieurs illustrations dans chaque chapitre. Généralement, ces illustrations occupent une double-page, mais ce n’est pas systématique. Il semblerait que ces illustrations reproduisent des gravures de la main de Yoshida Hambei de la première édition qui était en grand format et non signée par l’auteur, malgré une mention très soignée de six lignes reproduite à la place correcte dans cette édition. La subdivision en chapitres laisse bien souvent perplexe, comme s’il s’agissait d’un choix de rigueur intellectuelle pas vraiment justifié. Chaque chapitre présente une sorte de tableau, mais régulièrement, certains points amènent des doutes sur la conception de l’histoire et les informations concernant les personnages.


Parmi les contradictions observées, voici l’exemple de ce que j’ai relevé dans Histoire du tonnelier tombé amoureux où on lit dans le premier chapitre :


« Cette vieille avait jadis été connue comme avorteuse sous le nom de « Kosan de l’étang de Myôtoike ». Mais, sa profession ayant été interdite, elle avait cessé cette pratique cruelle. Elle travaillait maintenant au jour le jour à moudre dans un mortier des grains de blé pour en faire de la farine de vermicelle. »


Cette vieille femme parle avec le tonnelier amoureux qui lui confie son tourment : il aime une femme qui ignore ses sentiments. La vieille femme accepte alors de lui servir d’intermédiaire, ce pour quoi elle refuse toute rétribution. Surprise, au chapitre suivant (deux pages plus loin), elle est désignée par « la vieille proxénète qu’avait commissionnée le tonnelier ». S’agit-il bien du même personnage ? Oui, aucun doute.


Il m’a donc fallu un certain temps pour me faire aux habitudes de l’auteur. Peut-être une conséquence de mon choix de me concentrer avant tout sur le texte, me contentant dans un premier temps des notes indispensables à la compréhension. Très nombreuses, complètes et passionnantes, ces notes (caractéristique de la collection « Connaissance de l’Orient »), se situent en fin d’ouvrage et peuvent hacher la lecture. Belle surprise heureusement avec la quatrième histoire qui se révèle touchante, poétique et où de nombreux passages apportent enfin une véritable unité perceptible, avec notamment des réflexions sur l’impermanence des choses de ce monde (ainsi que la brièveté de l’existence humaine) et en particulier des sentiments amoureux.


Il y est question d’une jeune fille (16 ans) qui fait la connaissance d’un jeune homme dont elle tombe passionnément amoureuse (amour partagé). Cette rencontre étant le pur produit des circonstances (fuite avec sa mère, après un incendie), l’éloignement de son amoureux l’amène à imaginer qu’en provoquant un autre incendie, elle peut espérer le retrouver. Simpliste, ce raisonnement néanmoins émouvant conduira à sa perte, puisqu’elle sera condamnée et ne reverra jamais son amoureux qui en perdra la raison. Bien menée, cette histoire sensible permet de belles descriptions et des réflexions comme :


« Prise d’une compassion aigüe, elle éprouva vivement à l’égard de cette personne qu’elle n’avait jamais rencontrée le sentiment de l’impermanence des êtres, et se dit « Ce monde n’est qu’un rêve ; tout y est inutile ; il ne reste qu’à souhaiter le salut dans une existence future. » »


Globalement, Saikaku décrit l’amour comme source de souffrance, puisque seule la dernière histoire se termine bien (manière très japonaise). Petite remarque pour conclure : un personnage constate qu’il est toujours pris par le temps. Comme quoi, cette réflexion ne dépend pas des conditions d’existence. On peut même se demander si, finalement, l’homme ne se comporte pas en esclave de ce qu’il élabore, sachant bien entendu que réfléchir encore et encore à améliorer ses outils pour gagner en efficacité est un comportement inné.

Electron
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le 24 avr. 2020

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