Ah mais quel pavé ce bouquin. En fait ces trois bouquins qui se succèdent puisqu'il s'agit d'un cycle récemment réédité et sorti non plus en un seul tome, mais en trois. Et j'ai mis un bon mois et demi à tomber l'ensemble qui doit faire au bas mot pas loin de 1500 pages. Avec une assiduité parfois vacillante, je dois bien l'avouer, parce que ça n'est pas hyper fluide et parfois un brin confus. J'y reviendrai parce que quelque part, ça fait aussi parti du truc.

Pour dresser le tableau, il s'agit d'une sorte de chronique d'un groupe de grecs, communistes, qui luttent contre les nazis et aussi un peu contre les anglais entre 1942 et 1944. Leur pays étant comme chacun sait occupé par les premiers, ils se trouvent au proche-orient. le cycle est ainsi construit autour de trois villes, successivement Jérusalem, Le Caire et Alexandrie. Ces villes occupent une place centrale dans la narration et y sont évoquées avec force détails qui en rendent fort bien l'atmosphère, Tsirkas étant lui-même un membre de la diaspora grecque en Egypte, qui était à l'époque fort nombreuse, bien plus que de nos jours. Voilà pour les cités.

Pour ce qui est de la dérive, disons que ça tangue pas mal. En 1942, d'abord parce que l'Afrika Korps enchaine victoire sur victoire et que tout le monde est persuadé que les allemands vont parvenir à conquérir le proche-orient. En 1944, ensuite parce que Churchill entend bien placer un gouvernement à sa botte dans la Grèce bientôt libérée et que, dans cette perspective, les communistes ne sont pas véritablement en odeur de sainteté. Or, il existe une armée grecque, qui a combattu en Afrique aux côtés des alliés, et celle-ci penche plutôt vers le populaire que vers sa gracieuse majesté. Il conviendra donc de la désarmer.

Un contexte historique très chargé, qui bien évidemment draine toute la faune imaginable des espions, diplomates, militaires, militants, traitres et simple témoins des événements par le seul fait de leur présence sur place ou d'appartenir à l'entourage des premiers. C'est là justement que c'est assez confus : déjà parce que ça traite d'événements historiques assez méconnus en Europe occidentale (et pour cause) - même si un court prologue en rappelle la chronologie et les protagonistes - et que la multitude des personnages, aux motivations parfois troubles, en rajoute dans la confusion. Comme, de plus, le roman est choral et que beaucoup de ses protagonistes sont sérieusement perturbés, il faut s'accrocher pour suivre l'intrigue. D'autant que certains faits importants ne sont parfois qu’effleurés ou évoqués à demi-mot, un peu à la façon d'un Le Carré. Mais bon, j'en arrive à penser que cette confusion rend parfaitement bien l'atmosphère de l'époque et du lieu.

Après, la langue et l'écriture sont riches et tendent souvent vers le lyrisme, un lyrisme mâtiné de mythes helléniques. Les personnages sont formidables de profondeur et d'humanité, en particulier les personnages féminins : chacun des trois tomes est d'ailleurs centré sur un personnage féminin particulier et il y en a un quatrième qui vient en fil rouge, formant un duo inoubliable avec le protagoniste masculin principal. L'ensemble, s'il est complexe à appréhender, est d'une profonde humanité et doit se lire comme une très belle ode à l'idéalisme.

Idéalisme hélas foulé aux pieds, et ça ne faisait que commencer en 1944, comme le savait Tsirkas qui a fini d'écrire son bouquin au début des années 60, puisque Churchill a mis en place en Grèce un régime qui a ouvert la voie à celui des colonels, à l'issue d'une guerre civile qui dura deux ans à partir de 1945. Difficile de dire que ça se soit vraiment arrangé pour les grecs depuis d'ailleurs, et ce bouquin constitue une fort bonne de l'espoir et de l'idéalisme qui ont précédé - quelques mois durant - la longue nuit obscure dans laquelle les grecs sont toujours plongés aujourd'hui.

Marcus31
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le 20 sept. 2022

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