Un roman russe. Ou sibérien plutôt. Avec de généreuses rasades de vodka ou d'alcool distillé "maison" pour faire oublier aux autochtones qu'ils habitent un village plus perdu que Pétaouchnokov. A priori, Olivier Bleys, dans Concerto pour la main morte, joue sur du velours. Il introduit dans cet univers désolé un corps très étranger, un pianiste français, lequel ne peut que provoquer d'immenses secousses dans un lieu où les racontars sont, avec l'éventuelle rencontre inopinée d'un ours, le seul remède à un ennui carabiné, qualificatif également valable pour la cuite que certains se coltinent jour après jour. Le schéma du roman peut sembler classique, il est cependant transcendé par le talent de Bleys pour portraiturer des personnages fissurés qui poursuivent un rêve, un espoir ou une chimère avec une obstination qui force l'admiration. L'auteur a de l'affection pour ses sombres héros : un musicien peu doué mais lucide, un éboueur qui tente de se recycler, un ancien astronaute devenu ermite et hypnotiseur. Et il nous les fait aimer, décrivant avec ironie et jubilation, dans une langue extrêmement travaillée dans son apparente simplicité leurs relations tendres sous une écorce revêche. On se sent bien dans ce coin perdu de la taïga, on se fait de nouveaux amis et on lève volontiers son verre de vodka à l'amitié, à la musique et aux rêves, inatteignables ou pas, et à l'aventure qu'est la vie quand elle ressemble à une fable, brute et délicate à la fois.