« À mon épouse décédée en 2019, Cindy Kerseborn, qui s’est battue pour l’émancipation sur quatre fronts à la fois comme Noire, comme immigrante originaire de l’ancienne colonie néerlandaise du Surinam, comme fille d’ouvrier et, de fait, comme femme : toujours entêtée, ouverte, combative et fidèle. » C’est avec cette dédicace que débute le livre d’Abram de Swaan. Un bel hommage, en complète contradiction avec le titre de son livre… semble-t-il.
https://diacritik.com/2021/02/17/abram-de-swaan-vers-la-fin-du-patriarcat/
Pourquoi lire encore un livre sur l’émancipation féminine ?
Parce qu’il est intéressant d’avoir l’avis d’un homme sur ce sujet et que l’intérêt de ce livre sur le féminisme est qu’il est écrit par un homme… et qu’il fallait que ce soit un homme (et un psychanalyste) pour écrire ce qui va être dit (Hou-là !).
Abram de Swaan est né en 1942 à Amsterdam, Pays-Bas. Il obtint ses diplômes universitaires à l'Université d'Amsterdam dont le doctorat en 1973 après avoir fait ses études de 3ème cycle (1966-1968) aux universités de Yale et de Californie (Berkeley). Pendant les années 1973-1984 De Swaan a suivi les cours de l'Institut Néerlandais de Psychanalyse et a exercé la psychothérapie psychanalytique.
Essayiste, sociologue et professeur émérite néerlandais de l'Université d'Amsterdam, en 1996 il devient membre de l'Académie royale des arts et des sciences des Pays-Bas. Familier du public français, il a enseigné au Collège de France et à Sciences po dans les années 1990.
D’après "L’homme préhistorique est aussi une femme", c’est probablement au néolithique (10 000 à 2 000 ans avant J.C., suivant les régions), lorsque Homo-sapiens s’est sédentarisé en devenant agriculteur-éleveur[-propriétaire], que le statut des femmes a changé, ou plus exactement, celui des hommes qui deviennent les défenseurs des propriétés (récoltes, troupeaux…) et de leurs compagnes et enfants.
https://www.senscritique.com/livre/L_homme_prehistorique_est_aussi_une_femme/43116683
On peut considérer que c’est à compter de cette époque, où l’homme s’est imposé en brandissant armes et muscles que les femmes ont été, durant des milliers d’années, opprimées et reléguées aux tâches domestiques (Ulysse voyage et combat, Pénélope coud).
Mais comment les hommes s’y sont-ils pris pour maintenir les femmes dans un tel état de sujétion ?
Ils ont utilisé deux armes puissantes, la tradition culturelle, toute patriarcale et la violence, tout aussi patriarcale, pour la faire respecter.
Dans toutes les religions du monde, les femmes sont si dévalorisées que l’on s’en débarrasse souvent dès la naissance, quand ce n’est pas avant ! Dans de nombreux pays (Chine, Indes, Moyen-Orient, Afrique du Nord), dans les registres, la quantité de filles est de l’ordre de 100 filles pour 120 garçons, pour un ratio normal de 100 filles pour 105 garçons. À la naissance des filles sont noyées, d’autres sont étouffées à l’aide du cordon ombilical « À l’époque cela paraissait tout à fait normal. » Plus tard, c’est l’avortement qui permet de se débarrasser du bébé non désiré « en 1990 […] Dans certaines régions de l’Inde et de la Chine on a calculé qu’au moins 100 millions de filles avaient "disparues". »
Autre violence, la mutilation génitale des femmes a pour but de maîtriser leurs "envies" sinon elles seraient irrésistibles pour les hommes incapables de réfréner leurs instincts ! « Environ 200 millions de femmes dans le monde ont subi des mutilations génitales alors qu’elles n’étaient encore que de toutes jeunes filles. »
Dans de nombreux pays est légalisé une forme de pédophilie reconnue : le mariage d’enfants où des fillettes sans défense sont contraintes de s’y soumettre en épousant leur agresseur alors qu’elles n’ont que neuf ou dix ans. « L’organisation Unchained At Last […] estime à environ deux cent mille le nombre de filles qui se sont mariées avant leur dix-huitième année aux États-Unis entre 2000 et 2015 » (Dont une majorité de moins de seize ans).
Parmi toutes les maltraitances que les hommes infligent aux femmes il en est une qui me laisse perplexe, c’est le viol. Quel plaisir peut éprouver le violeur ? Longtemps j’ai pensé qu’il était submergé par des pulsions littéralement incontrôlables. Et cette abomination qu’est le viol collectif ? Comment expliquer une telle monstruosité ? Malheureusement je crains de ne pas savoir traduire de façon concise l’admirable éclairage psychanalytique de l’auteur sur ce sujet. Si je comprends bien son explication, il s’agirait d’une démonstration de force, de supériorité, moins vis-à-vis de la femme-objet, que de l’homme (mari, père, famille…) qui devait la protéger…
Quant aux crimes d’honneur, exécution d’une femme, généralement par un mineur du cercle familial élargi, ils participent au maintien des normes sociales : « le châtiment qui s’abat sur une femme est en même temps une sévère leçon de bonnes mœurs donnée à toutes les autres. » Pratique courante dans des pays islamiques mais également en Amérique latine, profondément catholique et fanatiquement évangéliste.
Telles sont les violences patriarcales commises pour maintenir les femmes à leur place.
Un quart de siècle après la fin de la seconde guerre mondiale de plus en plus de filles ont reçu un enseignement. Il est vite apparu qu’elles disposaient de capacités scolaires au moins égales à celles des garçons. L’analyse de la relation entre le niveau d’éducation et la fécondité des femmes dans 27 pays est manifeste : « Plus leurs études sont longues, moins les femmes ont d’enfants. Dix ans de formation, c’est deux ou trois enfants de moins. » Enfin, de plus en plus nombreuses dans les universités, les écoles supérieures professionnelles ou les grandes écoles, elles accèdent à des fonctions correctement rémunérées, hautement qualifiées et parviennent parfois à des postes hiérarchiquement supérieurs à ceux des hommes.
Toutes les carrières leurs sont ouvertes y compris dans la plupart des corps d’armées et de polices. Un seul type de fonction leur est refusé : l’état clérical. Ces dernières années, certaines communautés religieuses libérales ont ordonné quelques femmes rabbins, pasteurs, imams et mêmes prêtres, mais les institutions les plus traditionnelles y demeurent farouchement opposées. François, le pape "progressiste" exclut que les femmes puissent devenir prêtres. Parlant de la femme il déclarait : « Sa vocation est de servir. Le service de l’Église, où qu’elle soit. » C’est sans appel. Et, au cas où ça ne suffirait pas, l’exclusion des femmes peut être étayé par un passage de la Bible, la Première Épître de ce cher Paul, misogyne parmi les misogynes, à Timothée : « Que la femme écoute l’instruction en silence, avec une entière soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendre de l’autorité sur l’homme, mais elle doit demeurer dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui a été séduit, c’est la femme qui, séduite, s’est rendue coupable de transgression. »
https://www.biblegateway.com/passage/?search=1%20Timoth%C3%A9e%202&version=LSG
Voilà ce qu’un homme malade, qui haïssait les femmes, a pu écrire il y a deux mille ans et que bon nombre de confessions prennent encore pour du bon pain. Sans doute avait-il pour excuse de croire au mythe de la Genèse, mais aujourd’hui, à moins d’être d’une naïveté désarmante, on sait pertinemment qu’il n’y a jamais eu ni d’Adam ni d’Ève, ni de séduction ni de pécher originel.
Quant aux femmes et le pouvoir politique, fief machiste, si elle le pénètre elles sont des "marionnettes" entre les mains des hommes. Lorsqu’elles sont en position d’autorité on les taxe de dureté excessive (la « Dame de Fer ») et si elles tiennent bon, ce ne sont plus de "vraies" femmes mais des « viragos », des « dragonnes » ou des « gendarmes ». Dans la bataille électorale américaine, face à Hillary Clinton, le mastoc « il faut les attraper par la chatte » de Donald Trump est resté célèbre.
On l’a vu au tout début, depuis la sédentarisation du néolithique la femme obéit à l’homme qui la protège. « Depuis des milliers d’années, familles, communautés et sociétés fonctionnent selon ce principe fondamental, que les grandes religions ont toutes érigé en idéal suprême. » Tout bouleversement de cette hiérarchie des sexes se traduit pour l’homme par une atteinte à son honneur. Certains, pour se débarrasser de ce déshonneur se radicalisent, rejoignent des groupes de djihadistes pour retrouver auprès d’eux le sentiment de fierté viril dans lequel ils se reconnaissent.
Cette honte, cette humiliation de la perte de la suprématie masculine conduit à un besoin de vengeance fanatisée. « Le fanatisme érige toujours un principe de base unique et absolu : il est monomaniaque. » Il transforme tout en question politique ou religieuse. Les auteurs de violences sont presque toujours des victimes, leurs attaques sont des actes d’autodéfense. « Ils ont un grief que tous partagent : la suprématie du mâle sur les femmes – leur héritage éternel et sacré – a été sapée. »
Rien d’étonnant à ce que la femme occupe une place prépondérante dans l’univers djihadiste. Savamment entretenue, la haine qui habite ces combattants les rendent toujours prêt à mourir. Pour eux, la mort n’est qu’une porte entre la vie terrestre et le salut éternel du paradis. Et quel paradis : la possession de femmes. 72 femmes belles à ravir dont la virginité est perpétuellement renouvelée, disponibles, immaculées, chacune accompagnée de 70 servantes, soit un total de 5 112 vierges lascives (les houris), pour le plus grand plaisir du héros.
Même dans leurs croyances les plus folles, les femmes sont toujours la propriété d’un homme.
Toutes les Droites occidentales se rejoignent sur un point : « Les femmes doivent rester là où elles doivent être, chez elles, à la cuisine, dans la chambre conjugale et celle des enfants. » En outre, elles sont opposées à l’immigration, entendent protéger le Peuple, la race blanche ou la communauté des croyants. Elles s’opposent généralement à l’avortement, à la contraception, à l’homosexualité et voient dans l’islam en général et le djihad en particulier le plus grand danger auquel est confrontée la civilisation occidentale.
Les extrémistes de droite se protègent derrière des mots comme « race » ou « culture ». L’Amérique a sa propre tradition raciste héritée de l’esclavage, la « suprématie blanche ». D’autres tendances s’agitent sur les réseaux sociaux sur la question raciale et celle de l’identité nationale. Elles sont catégoriquement opposées à l’émancipation des femmes et au féminisme.
D’après l’auteur, aux États-Unis, depuis le milieu du siècle dernier, les grands courants du protestantisme historique n’ont cessé de perdre des fidèles. Les “évangélistes” en ont attiré à peu près la moitié. L’évangéliste le plus influent a été Billy Graham (1918-2018), il était farouchement cramponné à la vision judéo-chrétienne de la femme comme épouse, mère et gardienne du foyer. Il était également un pourfendeur de l’homosexualité qui était selon lui « une forme sinistre de la perversion » et, bien sûr, opposé au mariage homosexuel. Si l’on en croit Abram de Swaan, les évangélistes seraient « totalement opposés à l’octroi de prestations d’assistance, à la sécurité sociale et l’assurance maladie publique, qui compromettent l’utilité des œuvres caritatives. […] En parant en partie aux aléas de l’existence, la sécurité sociale a rendu moins irrépressible le recours aux prières et à l’assistance divine. » Ils sont farouchement contre l’avortement au nom du caractère sacré de la vie, mais une grande majorité sont pour le maintien ou le rétablissement de la peine de mort !
Et que se passe-t-il chez les juifs orthodoxes, monsieur Abram ? « Personne ne sera surpris d’apprendre que l’application par le rabbinat d’une législation religieuse millénaire se fait invariablement au détriment de la femme. » Elles ne peuvent quitter leur mari que s’il le veut bien alors que lui peut s’en défaire quand bon lui semble, de sorte qu’en Israël les hommes violents disposent des pleins pouvoirs sur leurs femmes. Les courants radicaux, fondamentalistes qui se développent dans les milieux haredim conduisent fréquemment à des situations absurdes, abracadabrantes voire paranoïaques.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Haredim
À l’extrême droite on trouve, sur le web, une multitude de groupuscules, des « néo- » qui veulent rétablir l’ordre ancien. Des illuminés, admirateurs d’Hitler et du drapeau nazi, obsédés par la « race blanche » et grands ennemis du féminisme occidental.
https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/abram-de-swaan-la-haine-monte-chez-les-hommes-qui-refusent-l-emancipation-feminine_2143936.html
Ils sont surtout contre. Contre les musulmans, l’immigration, les juifs, les noirs, les latinos, les homosexuels, les jaunes, les féministes, l’émancipation des femmes, l’avortement, les tièdes, les républicains mollassons, les gauchistes… Tout homme digne de ce nom se doit de protéger sa compagne contre les attaques des « étrangers au Peuple », les femmes ont besoin de protection et sont donc dépendantes des hommes. Elles doivent se soumettre à l’autorité masculine.
Leur mal-être vient de ce que de nombreux hommes sont confrontés à des femmes qui leur sont hiérarchiquement supérieures : femmes chefs d’entreprise, médecins, psychologues ou juges…
« La manosphère est le royaume insulaire des sites “tchat room”, des hashtags qui permettent aux hommes d’être de “vrais hommes”. Et les vrais hommes de cet acabit ont une profonde aversion des femmes, mais cherchent en même temps à en séduire un maximum. Il s’avère que ces deux caractéristiques – haine à l’égard de femmes sûres d’elles et désir de posséder des filles plus faciles – se concilient fort bien. » C’est sur ces site masculinistes que ces “vrais hommes” vont accabler de leur mépris femmes et gays, lesbiennes et homosexuels, bien dissimulés derrière leurs pseudos.
En conclusion, il se trouve que le système de reproduction de l’espèce humaine est sexué. Et donc les hommes et les femmes sont appelés à vivre ensemble, et, apparemment, c’est très bien comme ça ! À priori, il n’y a aucune raison pour que le mâle de l’espèce méprise la femelle, et pourtant…
L’homme est généralement doté d’une force musculaire plus importante que sa compagne, en des temps reculés, cette particularité a pu lui être utile pour la protéger des dangers extérieurs, mais les progrès des techniques remplacent amplement la force physique rendant obsolète le rôle protecteur de l’homme. D’autre part, la généralisation de l’instruction a montré que les femmes avaient des aptitudes au moins identiques à celles des hommes. Il serait peut-être temps de ne plus se prendre pour des gorilles mais de se placer sur un même pied d’égalité.
Et pourtant il est de notoriété incontestée que l’homme est, à tous égards, opposé à la femme « il n’a rien d’une fille, n’est pas efféminé, il n’est ni faible ni craintif, mais fort et courageux » et donc, aux hommes de se conformer à cette image idéale, contraints de s’adapter ils doivent se soumettre à des restrictions dans le cadre des relations entre les sexes.
Eh bien, les mecs, libérez-vous ! Acceptez l’émancipation des femmes, nos partenaires, parce que leur donner une plus grande liberté d’être elles-mêmes va élargir vos l’horizon : « la libération des femmes peut contribuer à celle des hommes, en permettant à ces derniers d’être "hommes" de la façon qui leur convient le mieux. »
Un livre que tout homme « normalement constitué » devrait avoir lu.