À lire sans tarder… et pour cause !

… Car je ne pense pas trahir un quelconque suspense en soulignant que l’action de "L’Anomalie" se déroule en juin 2021 (Cf. quatrième de couverture) et donc tout ce qui n’est pas advenu peut encore survenir.
C’est à cette légère anticipation que nous invite Hervé Le Tellier. Et c’est sans doute cette pirouette qui a séduit le jury du Goncourt qui lui a décerné son Prix 2020.
Hervé Le Tellier est un écrivain français né en 1957 à Paris. Mathématicien de formation, puis journaliste, diplômé du Centre de formation des journalistes à Paris (1983), il est docteur en linguistique. Sa fécondité en tant qu’auteur de romans, nouvelles, poésies, théâtre, chroniqueur et journaliste est telle qu’on se reportera à sa fiche Wiki, si besoin.

Que n’ai-je quarante ans de moins !... J’aurais adhéré sans restriction à ce récit époustouflant… dont il ne faut rigoureusement RIEN révéler pour ne rien gâcher de la découverte à ceux ou celles qui ne l’ont pas encore lu.
Amis lecteurs non encore initiés, savez-vous à quoi vous allez ressembler en tournant les pages de ce livre ?
L’auteur dresse votre portrait, en faisant celui du président des États-Unis – soit dit en passant, il se trompe en pensant que Trump sera réélu – « Le président américain reste bouche ouverte, présentant une forte ressemblance avec un gros mérou à perruque blonde. »

Vous l’aurez compris ce livre n’est pas banal. Hervé Le Tellier fait preuve d’une imagination hors du commun en créant une "Anomalie" dont il essaie d’examiner tous les effets. Et c’est peut-être là que le bât blesse.
J’ai sans doute un peu trop trainé ma vieille bosse. Avec 40 ou 50 ans de moins j’aurais crié à l’imagination débordante, au suspense haletant, à l’addiction paralysante… Voire, à l’étude psychologique passionnante, comme cette situation où il est donné à un sexagénaire très satisfait de sa réussite professionnelle (et de lui-même) d’observer son comportement face à sa jeune compagne qui manifestement se désintéresse complètement de lui… Et, tout d’un coup, il se voit tel qu’il est, coq ridicule, vieux et grotesque, battant inutilement des ailes devant sa femelle indifférente. Quelle gifle ! J’ai trouvé ce passage particulièrement bien écrit et bien vu. À mon sens, la page la plus fine du livre.

Pour ne pas en dire plus que ce que l’on sait déjà, la quatrième de couverture révèle : « En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d'hommes et de femmes, tous passagers d'un vol Paris-New York. » L’auteur ne pénètre pas la vie de tous les passagers, heureusement, mais d’une bonne dizaine, quand-même. Et c’est beaucoup. Alors, de personnage en personnage – trop nombreux, et donc trop superficiellement abordés – de page en page, ce passage en revue des conséquences de ce qui leur arrive, tend à prendre l’apparence d’une liste à la Prévert où, pour varier les plaisirs, chaque personnage est pratiquement un cas d’école, mais l’inévitable usure de l’inventivité se fait sentir au fur et à mesure de l'empilement des chapitres. Quant à l’aspect balancier, tantôt positif, tantôt négatif, du sort des personnages, il apparait un peu trop systématique.
Enfin, pour finir, il me reste une épine dans le "cœur", li s’agit du petit garçon qui joue aux dés (Ceux qui ont lu me comprendront). C’est un piège, tendu par l’auteur, dans lequel l’auteur est tombé.

Tel que je le ressens, six est une note trop faible, huit trop forte. Une note de sept me parait honnête. Mais ça n’engage que moi, et je comprends que nombreux applaudissent, enthousiasmés !