Me voilà encore dans l’opposition ! OK, je suis le prototype de l’ignare.
J’avais envie de lire ce livre, non pas pour son Goncourt (je suis méfiant vis-à-vis de cette distinction), mais parce j’ai lu un commentaire dithyrambique, ici-même, alors que mon petit-fils venait d’étudier et d’aimer La promesse de l’aube (pour le BAC de français) j’envisageais, donc, de l’inciter à lire celui-ci…
Et puis, si on considère son score sur SC, pratiquement 9 lecteurs sur 10 (sur 5600) lui ont donné une note supérieure à 6 ! Dommage qu’il y en ait si peu qui développent par écrit leur opinion (1,1%), et qu’il n’y en ait que deux (sur 300) qui justifient des notes inférieures ou égales à 5 (0,7%). Je vais donc rétablir les proportions en y ajoutant mon avis.
Un petit couplet sur l’auteur ? Tout le monde connait Émile Ajar/Romain Gary ! (De son vrai nom Roman Kacew, né en 1914 à Vilnius en Lituanie) Eh ben non, je croyais savoir (comme beaucoup, semble-t-il) et je me mettais le doigt dans l’œil… Mais comme je l’ai dit, j’ai une excuse, je suis l’ignare de service.
Après un premier roman (Gros-Câlin, 1974), le 17 novembre 1975, Émile Ajar a reçu le prix Goncourt pour La vie devant soi. Le 20 novembre l'auteur fit savoir qu'il refusait le prix provoquant l'indignation générale. Deux jours après, on apprit dans La Dépêche du Midi qu'Ajar s'appelait de son vrai nom Paul Pavlowitch et qu'il était le neveu de Romain Gary. L'« affaire Ajar » commençait.
En fait, il fallut attendre juillet 1981 pour qu'éclatât au grand jour la supercherie. A quelques jours d'intervalle sortirent L'homme que l'on croyait de Paul Pavlowitch et, en prépublication dans L'Express, Vie et mort d'Emile Ajar écrit par Romain Gary en mars 1979. Les deux livres présentaient deux versions d'une aventure commune. Elles se distinguaient notamment par le ton, séparées qu'elles étaient par le suicide de Romain Gary, le 2 décembre 1980. On y trouve cette confession : « J'étais las de l'image Romain Gary qu'on m'avait collée sur le dos une fois pour toutes depuis trente ans. » On voit l'homme malade d'Images, malade de son Image. Romain Gary a tenté de faire obstacle pour échapper aux professionnels de la critique, à leurs jugements. Et son roman, La vie devant soi, plutôt qu'une autre manière d'écrire, s'est voulu d'abord une gigantesque entreprise de subversion de tous les codes langagiers.
Apparemment ce n’est pas l’homme à la conquête d’un second Prix Goncourt que l’on m’avait soufflé…
Pour l’anecdote, on notera qu’en russe « Ajar » signifie « braise » et « Gary », « brûle ».
La vie devant soi, donc, est le « journal » des derniers jours de Madame Rosa, une juive rescapée des camps de la mort d’Auschwitz, ancienne prostituée aux Halles, à Paris, reconvertie dans un « clandé » qui accueille en pension des enfants de prostituées. Le tout raconté par l’un de ses pensionnaires, le petit Mohamed dit « Momo », à l’âge incertain (10 ou 14 ans), avec ses mots et ses expressions prélevés dans son entourage et plus ou moins modifiés par le filtre "Momo"… Mais Madame Rosa est malade, son état de santé se détériore vite et elle ne veut pas aller à l’hôpital pour échapper à l’acharnement thérapeutique. Momo va l’aider…
Voilà un sujet en or surtout si vous ajoutez à cela une faune bigarrée et polymorphe, multicolore, multi-ethniques, multiconfessionnel… et, bien sûr, marginale. Intrigue, rebondissements, personnages, émotions, vocabulaire, expressions détournées, tous les ingrédients sont rassemblés pour construire le magistral roman qu’une grande majorité de lecteurs a aimé au point de le couronner du prestigieux Prix Goncourt.
Mais, comme les irréductibles Gaulois, il y a toujours quelques récalcitrants qui ne partagent pas l’avis général. Je fais partie de cette minorité. Je n’en tire aucune gloire ou jubilation particulière, j’aurais préféré me régaler et passer un bon moment de lecture. Mais comme on me l’a signalé, pour un autre livre, je suis complètement passé à côté de celui-ci.
Dès les premières pages, on est un peu troublé par le vocabulaire et les expressions qui se veulent enfantins, maladroits voire impropres mais on s’habitue vite et on sourit, parfois. Au milieu de tous ces « fils de putes » (les pensionnaires) j’ai eu l’espoir, un moment, qu’on aurait droit à des traits d’humour au deuxième degré lorsque Momo affirme que même le Commissaire de Police, que connait bien Madame Rosa, est également un fils de prostituée… Mais non, c’est bien un ancien pensionnaire ! Pas de quoi se bidonner…
Donc voilà. Le vocabulaire ne m’a pas convaincu, l’écriture, « grimée » en récit infantile, est tout à fait "incrédible". L’auteur n’a probablement pas fréquenté beaucoup d’enfants pour approcher leur fraicheur et leur innocence. En outre les expressions sont vraiment trop répétitives et finissent par être pesantes à défaut d’être plaisantes.
Si le personnage de Madame Rosa peut attirer un peu de compassion, une pauvre femme qui a beaucoup souffert mais qui se démène comme elle peut pour ses pensionnaires, celui de Momo m’a laissé assez indifférent, s’il est attaché à Madame Rosa, c’est qui n’a personne d’autre, alors bien sûr il s’en occupe de son mieux. Si nombre de lecteurs le trouvent "touchant", à de nombreuses reprises il m’est apparu plutôt agaçant voire exaspérant.
Quant à « l’action » : deux-cent-quatre-vingts pages d’agonie, un crescendo qui finit par être pesant, difficilement supportable… vivement la délivrance et pour Madame Rosa, et pour le malheureux lecteur…
Morbidité, invraisemblance, manque d’empathie, lassitude, indifférence, non, je n’ai pas accroché, pourtant les sujets de réflexion ne manquaient pas mais l’invraisemblance l’a emporté.
Je conseillerais à mon petit-fils de rester sur La promesse de l’aube…