Finalement, j'y suis. Je ne pensais pas que le voyage jusqu'au Whorl, le vaisseau-monde siège de l'action dans ce livre, serait si long, et mémorable.
Il y a presque un an, j'ai décidé de lire la série du Long Soleil, mais, après un peu de recherche, j'ai choisi de commencer par les quatre tomes du Nouveau Soleil, en dépit du fait que, sur le papier, ils m’intéressaient moins. Quelle aventure, mes amis! Le Nouveau Soleil est un véritable trésor de profondeur et de richesse, qui, tout comme les meilleures saveurs, ne se révèle pas entièrement lors de la consommation. L'oeuvre reste avec vous, quand vous faites une pause dans la lecture, et encore après avoir tourne la dernière page et refermé l'ouvrage. Ces derniers mois, le monde de Wolfe, ses mystères, sa symbolique, ne m'ont jamais complètement quitté. Mais c'est aussi cette même profondeur, cette complexité tellement intense que j'ai envie de la qualifier de fractale, qui m'ont dissuadé de me plonger immédiatement dans le Long Soleil. Je relirai le Nouveau Soleil, et je devrais aussi réviser ses note, attribuées dans l’intensité du moment. La note de chaque tome ne fait pas justice au tout, car le tout est plus que la somme des parties, une qualité certainement inhabituelle dans une série de romans de fiction.
Me voilà donc à bord du Whorl, un vaisseau spatial si large et si ancien que ses habitants réalisent seulement de la façon la plus vague et abstraite, voire pas du tout, sa véritable nature. Wolfe se contre-fiche des genres. Il n’écrit pas vraiment de la science-fiction, ni du fantastique. Son histoire tient un peu du polar, sauf que l'objet de l’enquête est vraiment l'inspecteur, et quand je dis inspecteur, je parle en fait d'une sorte de moine dévoué à la croyance des fidèles en un culte polythéiste. Les dieux du Whorl s'appellent Pas, Scylla, Hierax, Tartaros et d'autres encore, un panthéon riche de neuf dieux et déesses majeurs et encore plus de divinités mineures. Le Whorl est immense, grand comme un pays entier, ou peut-être un continent. Sa société est quasi-médiévale, sa mémoire d'une ère technologique serait probablement complètement effacée, s'il ne survivait quelques reliques usagées d'une époque plus avancée. Notre moine est Patera Silk, "patera" étant son titre religieux (une variation sur "père"). Wolfe utilise toutes sortes de termes inventés propres à son monde, et il se garde bien de nous les expliquer. Nous avons le contexte, débrouillons-nous donc comme des grands.
Il est difficile d'expliquer le Long Soleil, car le Long Soleil est un univers exactement aussi riche et complexe que le notre, mais on ne peut le voir qu'au travers des mots de Wolfe. Wolfe nous donne des personnages véritables, leurs pensées, sincères ou pas, leur environnement, leurs amis, leur travail, leurs habitudes, les faits anodins, ou pas, de leur vie quotidienne. Ses personnages ont vécu, mais nous n'avons pas le privilège de connaitre leur passé, autrement que s'ils veulent bien le révéler. L'histoire évolue autour de Silk, mais une grande partie de cette évolution est le fruit des actions d'autres personnages, que Silk connait ou ne connait pas. Tout l'art, tout le talent de Gene Wolfe est de nous en dire si peu, et par la même construire une fiction si vivante qu'elle est presque tangible. C'est exactement pour cela que j'ai ouvert le Livre du Long Soleil, et j'y ai trouvé exactement ce que j’espérais.
Je ne sais pas si vous devriez commencer par le Long Soleil ou le Nouveau Soleil. J'ai personnellement trouvé ce premier tome considérablement plus explicite et facile d’accès que le premier tome du Nouveau Soleil. Je ne sais pas si c'est bien ou pas. Peut-être me suis-je un peu habitué au style de l'auteur, ayant lu toute l'histoire de Severian? Jusqu'ici, il n'y a aucune connexion entre les deux oeuvres, donc j'ai envie de dire: peu importe. Je dois cependant vous avertir que je suis resté sur la version originale. Je ne peux pas me prononcer sur la qualité de la traduction, bien que je l'imagine difficile. La lecture en anglais n'est pas des plus accessibles, mais Wolfe aime employer des termes fabriqués ou empruntés à d'autres langages (dont le français). Le francophone a donc, d'une certain façon, un avantage sur un anglophone ignorant du français.
Bon, assez perdu de temps, j'ai déjà bien entamé le deuxième tome, et j'ai hâte de continuer... Bonne lecture!