Croc fendu fait dans l'auto-fiction. Ça a le mérite de me faire un peu grincer des dents d'habitude mais ce livre m'a tapé dans l'oeil dès sa sortie (mars 2020) de par son aura et, grâce à son auteure dont je connaissais le travail en tant que chanteuse gutturale qu'on a pu entendre en duo avec Björk.
Déjà (et c'est une fausse surprise), il surprend de par son originalité. Ce roman défonce complètement les codes de la littérature occidentale, toute la structure est décousue, les phrases s'enchaînent et déroutent complètement les repères narratifs auxquels on est habitués en temps normal et ce malgré la double culture de l'auteure.
Tanya Tagaq est inuite canadienne, elle a donc été bercée dès l'enfance par des rites anciens, animistes mais qui vont (post colonialisme oblige) faire corps avec la culture américaine des années 70 (Elvis, musique country, installations, ...). Il en résulte un style poétique intense, une envie d'en découdre avec la langue, une rage au ventre certaine, un pessimisme aigre, assumé et contrôlé.
Ce que raconte Croc fendu ? Une nature omniprésente à la fois destructrice, désinvolte, insoumise. Des corps robustes, des corps bafoués, violés, une adolescence écorchée, des adultes ivres et libidineux, une bienveillance entre femmes malgré des envies de se faire la guerre pour les mâles qui font cogner les coeurs. La conception, le sexe brutal et les Aurores boréales.
C'était dément et ça se lit plutôt vite malgré l'envie de prendre son temps. Mention spéciale aussi aux illustrations de Jaime Hernandez qui viennent tapisser ce texte puissant et fabuleux.