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Mince alors ! Tous les réactionnaires qui s'écrient d'ordinaire "à bas la sociologie !" vont-ils devoir rabattre leur caquet après avoir lu cet excellent ouvrage de Dominique Pasquier ?


Cette enquête, menée entre 2001 et 2002 auprès de trois lycées de la région parisienne, a bien de quoi déconcerter ; car, non, tous les sociologues ne sont pas complètement abrutis par le relativisme culturel ambiant ! Notre sociologue ici présente n'a, elle, pas peur de mettre les pieds dans la soupe insipide de la bien-pensance. Cette même idéologie qui conduit nos enseignants à fermer les yeux sur la misère culturelle de nos têtes blondes. Elle défend dans cet ouvrage une thèse mettant à mal la théorie de la légitimité culturelle de Bourdieu, car désormais, selon elle :



Chez les lycées, la culture dominante n'est pas la culture de la classe dominante mais la culture populaire



Boum ! Bam ! Aie, ça fait mal. Moi qui croyais que Grand Corps Malade était un aussi grand poète que François Villon. C'était pourtant ce que me disait mon manuel de français du collège...


Hélas, c'est une histoire vraie.


Non contente de proposer des résultats assez subversifs, que vous aurez le plaisir de découvrir en détail dans son livre, elle a également l'honnêteté de reconnaître que son enquête n'a pas pour prétention d'être représentative au niveau national. Cette enquête, alliant méthode ethnographique et outils statistiques, relève d'une :



réflexion sur la question de la transmission culturelle dans des contextes de mixité sociale différents, réflexion centrée sur les classes moyennes et supérieures



Pourtant, certains d'entre vous diront qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Les sociologues le disent depuis les années 1990 : il y a un désaveu généralisé de la culture consacrée, même parmi les plus diplômés. Même l'élite ne veut plus de sa culture !


A quoi bon se farcir 200 pages d'un ouvrage complexe si on peut à moindre frais briller en société en regardant une vidéo de cinq minutes sur Youtube résumant le sujet ?


La richesse de l'enquête de Dominique Pasquier est d'expliquer les mécanismes par lesquels la culture élitiste a cessé d'être la culture dominante. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, deux faits sociaux majeurs se sont produits. L'un est le saut générationnel culturel au sein des familles, qui, sous l'influence de l'idéologie post-68 anti-autoritariste, ont cessé de transmettre un modèle culturel solide à leurs enfants. L'autre est la massification scolaire, unifiant davantage la jeunesse qui jusqu'alors "n'était qu'un mot", comme disait Bourdieu. Fini le calvaire d'entrer à l'usine à 14 berges, car désormais, nous faisons tous l'expérience de ce bagne nommé lycée.


L'école et la famille ayant drastiquement perdu leur pouvoir de transmission culturelle, et ce au profit des médias et des groupes de pairs, la tyrannie de la majorité s'est imposée dans les lycées.



Quand la famille envoie des messages moins clairs ou moins contraignants, l'entourage ou les médias en viennent à jouer le rôle de substituts fonctionnels



On a chassé l'autoritarisme de l'école et de la famille au nom du bel idéal de la liberté individuelle, tant vanté par la culture venue d'Outre-Atlantique. Mais ce "laissez-faire" culturel n'a fait que nourrir une autre forme d'autoritarisme, encore plus insidieux et plus puissant, car ignoré, celui des médias et de la cour d'école. Nos enseignants ne doivent plus forcer nos enfants à apprendre la grammaire et nos parents n'ont plus la moindre légitimité à nous faire écouter ou lire des œuvres impérissables. Etre à la page, c'est laisser TF1, M6 et les "youtubeurs" les gaver autant que faire se peut de Rihanna et tutti quanti. Les camarades d'école feront ensuite le délicat travail d'imposer ces normes culturelles, avec la douceur qu'on leur connaît...



On a supprimé l’uniforme en classe ; mais les jeunes se sont, entre eux, donné de nouvelles consignes vestimentaires, parfaitement rigides. La ségrégation des sexes a été abolie ; mais dans la vie scolaire de tous les jours, les échanges entre garçons et filles sont soumis au contrôle constant des groupes. L’école se montre moins exigeante sur le maniement du français ; mais la maîtrise de certains codes du langage adolescent est une condition nécessaire pour participer aux interactions autour de soi. Si on ne se comporte pas comme les autres, la sanction n’est pas d’être viré du bahut, mais de ne pas avoir d’amis, ce qui peut être pire à cet âge.



D'une réflexion initiale portant sur l'incidence des sociabilités juvéniles sur les pratiques culturelles, ce livre contraint à nous poser des questions qui fâchent. Même les plus anarchistes d'entre nous doivent s'interroger... A l'heure où le fascisme de la culture industrielle sévit, la disparition de l'autorité dans la famille et à l'école est-elle bien fondée...?

AssiaHa
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le 25 avr. 2020

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Assia Ha

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