Suite à un problème dont on ne connaît pas les détails, un couple de voyageurs spatiaux s’est retrouvé coincé seul sur une planète sans soleil en attendant l’arrivée d’hypothétiques secours de la Terre. Quelques dizaines d’années plus tard, cette planète nocturne, chauffée par géothermie et (mal) éclairée par la phosphorescence d’une partie de la végétation et des animaux, est habitée par quelques centaines de descendants du couple initial. Acculturés, victimes de tares génétiques, ceux-ci retournent lentement à l’état sauvage, transformant leur histoire et leurs ancêtres en religion et en légendes. Mais John, un jeune téméraire, pense qu’ils doivent sortir de leur vallée tranquille et franchir la zone noire qui les entoure pour explorer le reste du monde.
Partant d’une idée classique (les plus érudits auront reconnu une trame proche du monde aveugle de Daniel Galouye, paru en 1961), Chris Beckett étudie la dégénérescence, aussi bien physique que mentale, d’un groupe humain laissé à l’abandon. A l’aide de multiples narrateurs, l’auteur décrit finement la situation du communauté : ce qui a été édicté en règle de vie par le couple originel se transforme petit à petit en religion, empêchant toute évolution positive du groupe, refusant la nouveauté.
En travaillant particulièrement la psychologie des personnages, l’auteur évite l’écueil du manichéisme. John, qui fait bouger la société, est aussi le premier coupable de la plus grave violation des règles de vie de la communauté. Tina, qui aurait pu faire la compagne de héros idéale, n’hésite pas à le mettre face à ses défauts. Les rapports de pouvoir au sein des groupes sont aussi réussis : face à une société civile qui s’effrite, la montée d’un groupe paramilitaire ne pourra que rappeler l’histoire récente.
Sur une intrigue plutôt classique, Chris Beckett bâtit autour de ses personnages un roman particulièrement prenant et difficile à lâcher qui devrait plaire au-delà des amateurs de science-fiction. Un second tome, Mother of Eden, doit sortir au mois de mai 2015 en langue anglaise. On l’attend avec impatience !
Signalons enfin l'excellente traduction de Laurent Philibert-Caillat qui rend parfaitement le langage dégénéré de la tribu sans gêner la fluidité du récit.