Des cauchemars pour les spiritualistes

Cet ouvrage est extrêmement bien mené. Dennett est à l'opposé d'un certain nombre de mes idées philosophiques, mais je suis forcé d'avouer que ses thèses tiennent la route. Son objectif est de démystifier la notion de conscience, en explicitant les obstacles – épistémologiques dirait Bachelard – qui nous empêchent de l'objectiver. Il critique Th. Nagel, Chalmers, Sellars et les autres philosophes qui pensent que l'expérience en première personne est irréductible à une description en troisième personne.

Je mettrais sans hésiter Dennett à côté de noms comme Démocrite ou Descartes – le Descartes mécaniste, pas le Descartes dualiste évidemment qui est l'adversaire de Dennett. Notamment parce que Dennett veut faire pour la conscience ce que Démocrite avait tenté de faire pour la nature et Descartes pour la vie : la réduire à un ensemble de fonctions matérielles qui ne font appel à aucun concept religieux, spiritualiste ou non scientifique.

Pour cette raison, Dennett est une sorte de positiviste d'un nouveau genre, infiniment plus subtil qu'un Auguste Comte (qui avait déjà critiqué la psychologie introspective) ou un Rudolf Carnap (pour qui les questions métaphysiques n'ont aucun sens). Il soutient que la complexité de la conscience n'implique aucune magie. Et son analyse des illusions de la conscience est vraiment convaincante, par exemple lorsqu'il évoque l'impression de déjà-vu ou la cécité au changement. Dennett est audacieux quand il entreprend de réfuter la notion de qualia, notion très difficile à attaquer semble-t-il.

Pour finir, une remarque sur le style qui est vraiment élégant, plein d'humour tout en restant clair et précis. C'est un beau livre qu'on se surprend à lire agréablement, cherchant à avancer toujours plus dans les chapitres qui se succèdent et multiplient les approches et les cas. Mais toujours dans un même but, invariablement : nous obliger à remettre en cause ce que j'appellerais un "spiritualisme spontané". Après la critique radicale du déisme et du vitalisme, il ne restait que cette hypothèse métaphysique à déclarer caduque...