Tout comme sa dialectique, la rhétorique de Platon casse en effet des briques – ici celles du patriotisme athénien. Ce livre est un petit bijou, un pur régal. Quand on voit le Gorgias et à peu près les 3/4 des livres de Platon, on sait qu'il déteste la rhétorique, qu'il l'assimile à la sophistique, à la démagogie et en définitive à la tyrannie. Cependant, dans le Ménexène il décide après un paragraphe ironique – il est aisé de louer les Athéniens devant les Athéniens, dit Socrate – de prononcer une oraison funèbre. Socrate dit l'avoir apprise d'Aspasie, philosophe elle-même et compagne de Périclès. Aspasie joue le rôle d'une sorte de Diotime politique, passée au vitriol de la satire. Du coup, nous ne savons pas très bien si Platon estime Aspasie et son art. En tout cas, son discours est très drôle et cynique : il consiste en un éloge d'Athènes tellement faux et outré, que le patriotisme en devient ridicule. Et pourtant, il ressemble à ce qui se faisait à l'époque : Platon s'est apparemment inspiré de la célèbre oraison funèbre de Périclès relative à la guerre du Péloponnèse, rapportée par Thucydide.
La fin de l'ouvrage nous laisse sans voix : Ménexène admire le discours de Socrate et en redemande, alors qu'il sait très bien que Socrate est ironique, il l'a dit au début du dialogue. C'est tout. Le lecteur doit se débrouiller avec cela, et le dialogue n'a pas fini de dérouter ses interprètes. Un peu comme le Prince de Machiavel, qui laisse un doute éternel : manuel de la tyrannie ou éclaireur des peuples asservis ? De même, ici Platon écrit un faux éloge du patriotisme, du racisme, de la guerre, du patriarcat et de l'impérialisme. Magistral. Peut-être devrions-nous ménexèniser tous les nationalismes, surtout occidentaux...