Dans ce monde, branloire pérenne pour Montaigne et exigi monumentum pour Horace, le mieux, hélas, est bien souvent de s'indigner. Je passe la Trahison des clercs de Benda, que je n'approuve pas autant que je n'approuve la corde d'airain de Victor Hugo et le Déshonneur des poètes de Benjamin Péret que j'estime à peu de choses près au même as que la philosophie du Parnasse, pour en arriver tout naturellement à une Greta Thunberg made in France de 23 ans, pleine de "HOW DARE YOU" de poche, ressassant le passé conjuguant au futur, précédant de "soi" toute conversation, en donnant son avis qu'elle veut le bon pour critiquer le monde avec désinvolture, qui se prend pour Stéphane Hessel mais le réduit prosaïquement à un nombrilisme adolescent.



Tuons Gandhi sans éveiller la rage de la désobéissance civile !



Notre Greta du jour, c'est Noémya Grohan, devenue figure de proue d'un mouvement anti-harcèlement scolaire. Une pacifiste à la Charlton Heston, qui parle de paix en hurlant toute sa rage, ayant pour exutoire non le blues mais le rap. Qui s'épanche à éveiller les soupçons dans un témoignage qu'elle veut roman et qui tient d'un slam imitant Caïn cas-cas les meilleures poésies romantiques par la prise de pouvoir de la subjectivité sur le réel des souvenirs.
Petit extrait, pour illustrer la paranoïa du personnage, en rap, car il paraît que c'est là que réside son talent littéraire:


"Si je tente d'éveiller les consciences
Vais-je me faire assassiner comme Gandhi ?
"


À cela, que répondre ? A priori, non, car Gandhi luttait pour la paix par la paix, non pour la paix par la rage.
Par acquit de conscience et par honnêteté intellectuelle, peut-être aussi par peur d'être taxé de manque d'empathie, notion essentielle des rapports humains ici galvaudée à la façon des dernières psychologies de bazar, expliquons ce qui nous ennuie dans cette oeuvre.
Noémya serait victime sans rien avoir fait pour l'être. Pour autant, retraçons le parcours tel qu'elle-même nous le conte. Commençons par le péché originel: sa mère lui dit de ne pas passer la tête par la fenêtre de leur voiture, elle transgresse (je sais que la prévarication est à la mode, mais enfin !) et se trouve frappée par un camion qui la laisse avec un physique si horrible que l'on se demande, à observer ses photos actuelles, comment elle a pu s'en remettre si bien. L'ère du soupçon s'ouvre, je la fais taire, je n'ai jamais aimé Nathalie Sarraute ni ses copains du Nouveau Roman. Ce physique apparaît comme l'élément déclencheur à l'origine des péripéties du harcèlement scolaire. S'il est vrai que le rapport à la différence est aussi méchant et violent qu'il est idiot (surtout à cet âge que le fabuliste dit "cruel"), il n'en demeure pas moins humain et la conséquence de cette faute première (Dieu, selon Bossuet, se riant des êtres qui déplorent les conséquences dont ils chérissent les causes). Cela ne s'arrête pas là: Noémya refuse, et j'encourage tout un chacun à faire de même, de se faire l'homme-sandwich des marques de vêtements et de chaussures. C'est la marque de l'esprit libre. Mais l'esprit libre se moque du qu'en-dira-t-on et notre rebelle, elle, s'en préoccupe énormément ... il faut choisir ! Se fondre dans le moule ou non, se préoccuper de l'avis des autres ou non. Dans son cas, l'erreur est de choisir de se marginaliser en sus du physique qu'elle prétend avoir eu, qui aurait généré les brimades, les moqueries et les violences.
Le drame est que le constat fait des conséquences du harcèlement scolaires sont tout à fait justes ( comme l'est le haro sur le baudet du même fabuliste): repli sur soi, perte de confiance en soi, vies brisées. Mais le drame réel, ce qui énerve dans ce livre, c'est que ce harcèlement n'est pas uniquement scolaire et que la conception que s'en fait Noémya est à la fois biaisée par la bulle de l'ado et réduite à un regard bien myope. Le drame, c'est que Noémya va pardonner aux vrais coupables pour accuser d'autres victimes, qu'elles ne conçoit pas telles, sans doute par ignorance.



Ne tirez pas sur le maître d'orgue, tirez sur l'ambulance !



Messages privés Facebook à l'appui, la voilà qui joue les Jean-Paul II à pardonner ses bourreaux. Jusque là, je loue, j'applaudis, j'entre en oraison. Le hic jacet lepus, c'est que cette déculpabilisation - les harceleurs et leurs suiveurs n'étant que des enfants débiles pas conscients de leurs actes - se paye d'un changement de cible. Qui était assez lucide, omniscient pour empêcher le harcèlement ? Les professeurs, bien-sûr !
Pensez donc ! Des gens qui ont tant de vacances et qui - je souligne tant c'est énorme ! - "se contente de faire leurs cours" !
Que Noémya sorte de sa bulle et fasse preuve de l'empathie qui, selon elle, fait tant défaut aux professeurs. Que, d'abord, elle se figue, qu'il manque à son tableau des personnages bien plus adaptés à la résolution du problème du harcèlement: les délégués de classe, les surveillants, les CPE, la vie scolaire dans son ensemble. Puis qu'elle se mette à la place des coupables qu'elle désigne en lieu et place de ses agresseurs.
Un professeur est quelqu'un qui, harcelé ou non dans sa jeunesse, n'en a pas fait un sujet de ne pas aller au bout des choses et a fait des études, validé des diplômes dans une science bien précise et s'est pris à rêver de repousser les limites de son savoir avant qu'on ne lui demande de transmettre un smic culturel tout en se substituant à la police, aux pédiatres, aux orthophonistes et aux psychologues scolaires. Quel réconfort rechercheraient-ils dans l'ignorance, l'aveuglement, l'indifférence voire - car Noémya laisse planer le doute en un endroit - la participation au harcèlement scolaire ? Ce discours est abscons !
Si absurde qu'il s'étend à l'ensemble des adultes, tous responsables de ne pas consacrer leur vie entière aux disputes des enfants rois qu'ils ne peuvent plus remettre dans le droit chemin ! Là encore, qu'elle considère combien les adultes, notamment sur leurs lieux de travail, subissent parfois un harcèlement similaire, plus tabou encore. De même qu'un homme ne saurait être battu par sa femme, un adulte ne pourrait pas être harceler et subir ce que décrit Noémya ! Plus de professeur à condamner, alors, en pilier de bar rappeur, on s'en prend directement au gouvernement, qui a certes ses innommables défauts.
Noémya, moi qui écris cette critique qui, je m'en doute, doit te révolter, je souhaite t'ouvrir les yeux. Alors, comme Michel Strogoff, regarde, de tous tes yeux, regarde ! Les professeurs que tu trouves si coupables ne sont pas indifférents au harcèlement.
Quand j'avais ton âge, j'étais l'enfant nourri aux chansons jugées mièvres de Gérard Lenorman qui parlaient de cathédrales, aux airs de musiques classiques et aux chansons populaires dites de vieux, quand tous mes camarades étaient biberonnés aux chansons américaines et au rap, que tu aimes tant, qui déverse sa rage, sa haine et ne traite que de rébellion et de sexualité vulgaire. J'étais un sujet de curiosité et, naturellement, souvent cible de moqueries, de brimades à ce sujet. Sans parler de ma mèche de cheveux qui ne se laissait pas coiffer. J'avais en ce temps-là une professeure de technologie qui ne nourrissait pas les meilleurs sentiments à mon égards, qui m'a souvent sous-noté, injustement, et de manière négative. Me croiras-tu si je te dis que c'est elle qui m'a défendu devant toute une classe quand ouvertement on se moquait d'un goût pour des oeuvres archaïques ou guimauves qui ne l'intéressaient pas plus, elle ?
Quand je suis devenu professeur, j'ai eu deux élèves qui me faisaient assez confiance pour m'avouer qu'une fille de leur classe les harcelait à la sortie du collège. Je n'ai jamais appris ce qui lui valait son immunité, mais je peux t'assurer que la CPE et moi avons lutté durement, pour ne jamais rien obtenir.
Et je vais t'apprendre bien plus sur ces coupables de professeurs qui auraient dû mieux s'occuper de ta personne: ils sont par fois eux-mêmes victimes de harcèlement scolaire. Ce harcèlement est d'un autre niveau que celui que tu décris.
Sais-tu que des professeurs d'anglais ont été harcelés de courriers de Rectorat qui exigeaient des réponses sans donner la possibilité technique d'y répondre ? Des messages répétés à les pousser à bout, pour les faire renoncer, pour leur faire baisser les bras ! Ce couple de professeurs a failli craquer, se disloquer, tant dans sa sphère intime que dans sa sphère privée. L'un d'entre eux, un bon ami, a failli quitter la profession et reprendre le service de pompes funèbres de son oncle, par fatigue et par dépit. Ils ont failli divorcer.
Sais-tu qu'un jeune professeur de lettres, bac + 5, lauréat du concours du CAPES, s'est trouvé dans le viseur d'un inspecteur d'académie, toujours le même, qui, non content d'avoir, par la force, fait refuser sa titularisation, a continué à le traquer, à faire refuser ses candidatures, jusqu'à ce qu'un principal du privé s'élève contre l'agresseur quitte à s'y brûler ? Que ce genre d'affaires est devenu à ce point monnaie courante qu'on en fait des procès ?
Vois-tu, Noémya, ton combat est juste mais réducteur; ce, parce que tu tranches une tête de l'Hydre au lieu de terrasser la Bête entière.



Sauvons Gizmo pour bannir les Gremlins !



Chère Noémya, je continue à m'adresser à toi dans cette critique.
Tu te compares à Gandhi: je te réponds que le Mahatma a écrit ou dit quelque part: "Soyez le changement que vous voulez dans ce monde". Tu t'es engagée, c'est bien, je t'approuve, je t'applaudis, je te félicite. Mais je ne pense pas que le changement que tu veuilles dans le monde consiste en l'accusation des adultes de tous les maux de la jeunesse ni en la paix acquise par le combat, la rage, une haine tue mais bien toujours présente. Le rap est un chant de guerre, la paix se trouve dans les poésies larmoyantes de Lamartine.


Chère Noémya, tu te plains que tes camarades te comparaient à Gizmo.
Je crois, surtout à voir ton beau visage, que tu as fait erreur (rassures-toi, j'ai fais la même: j'ai cru que l'une des personnes qui m'appréciaient le plus au collège me harcelait, alors qu'elle ne cherchait que le contact. Refuser l'amitié parce qu'elle s'exprime maladroitement, sous la forme de fausses moqueries, n'est-ce pas stupide ? J'en porte un peu le poids et j'ai appris, moi, à revenir sur mes souvenirs pour les relire, comprendre les entre-lignes qui m'avaient échappés alors).
Gizmo est une adorable petite créature, une vraie peluche: qui ne voudrait pas lui faire un câlin ? Toi, tu as cru que c'était l'une des affreuses bêtes qui naissent d'elle quand on la mouille ou qu'on la nourrit après minuit. Et de fait, les autres sont devenus pour toi ces Gremlins. Le plus triste, c'est que tu t'es crue contrainte de survivre en délaissant tes valeurs de gentillesse pour devenir celle sur qui on ne marche pas: de Gizmo, tu es devenue toi-même un Gremlins.
Vois-tu, il y a des gens foncièrement mauvais, d'autres foncièrement bons. Il est des gens habiles et maladroits de chaque part. Et il est surtout difficile de discerner qui est qui, surtout depuis que la morale est devenue mièvre, cucul-la-praline, guimauve, bisounours, naïve, valeur conservatrice aussi sans doute.
Vois-tu, Daniel Balavoine chante qu'aimer vaut mieux qu'être aimé et Antoine de St-Exupéry explique la difficulté à se comprendre, s'entendre et s'apprivoiser. Je pense qu'il ne faut pas parler de lutte, de combat, de conflit (même conceptualisé comme inéluctable par certains esprits peu sages). Il faut aspirer à cet amour simple, naïf et y appeler les autres par son comportement exemplaire. Laisse la rage des rappeurs, le combat des Hitler et des Marx; choisis l'amour de Gandhi et de Gizmo.
Car si l'on doit être le changement que l'on veut dans le monde, que ce changement soit celui de l'amour de la vertu, de l'intelligence avec le maladroit et ce sentiment de fraternité devant l'absurde que pleure les cuivres du blues et du jazz.


Pour ce qui est du moi de Mars, et je le dis sans arrière-pensée politique, ça m'étonnerait qu'il passe l'hiver !

Frenhofer
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le 10 janv. 2021

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