Le fantasme de l'illimité a envahi tout notre imaginaire et notre réalité : du soixante-huitard "il est interdit d'interdire" au "laissez faire, laissez aller" libéral en passant par le "travailler plus pour produire plus pour gagner plus" et "arracher l'individu de tous ses déterminismes", le marché allié à la technique (ce que Jacques Ellul appelle le système technicien) est là pour maintenir ce mythe en place via la publicité, aussi longtemps que possible.


Le rêve prométhéen, la tentation de la démesure et de l'infini ont toujours existé dans l'histoire des hommes. Et l'Histoire, comme la mythologie grecque et les paraboles judéo-chrétiennes, nous apprennent que cela se termine toujours mal. Pourquoi ? Parce que l'on peut toujours tenter de nier, contourner ou repousser les limites, mais on ne peut pas les supprimer.


Tout au plus, détruire des limites en créera de nouvelles, pas forcément plus enviables : les transhumanistes rêvent de l'immortalité pour tous, mais doivent bien reconnaître qu'une fois ce "progrès" réalisé, avoir des enfants ne sera plus possible, pour des raisons évidentes de surpopulation. Vouloir à tout prix conserver sa vie ou avoir la joie de la transmettre, il y aura toujours un choix à faire.


La limite, loin de nous contraindre, au contraire nous émancipe, et même, nous fait tout simplement exister, consister : est "illimité" ce qui est informe, sans substance, sans identité. On peut par exemple imaginer de supprimer les frontières d'un pays, mais alors ce n'est plus un pays. Ou encore, détruire les limites entre l'homme et la femme, entre la machine et l'homme bardé de puces électroniques, entre l'adulte et l'enfant... On peut l'imaginer, mais alors il devient difficile de définir ce qu'est un humain ! C'est bel et bien la limite qui nous définit et nous humanise.


La Décroissance, qui est également le nom du mensuel dirigé par Vincent Cheynet, est certes un mot à connotation négative, c'est pourquoi il effraie souvent. On pourrait préférer les mots de sobriété, simplicité volontaire, écologie intégrale, etc. De fait, l'auteur est certes lucide et intéressant mais a le défaut de trop voir uniquement ce qui ne va pas, ce qui est toujours plus facile que de proposer des solutions concrètes. Au moins cette charge négative du mot a-t-elle le mérite de déranger, et rappeler la nécessité d'une remise en question radicale du mythe contemporain de l'illimité, de la croissance exponentielle infinie dans un monde qui est, lui, bien fini.


Le salut est dans la limite, non pas au sens où il faut des limites, mais simplement parce qu'elles font partie du donné humain, et que paradoxalement, c'est en les intégrant qu'on jouit le mieux de l'existence. Alors le mot "décroissance", si peu vendeur qu'il soit, moi, il me plaît !

Wlade
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le 23 mars 2017

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