Pour masquer son faramineux coût humain, la guerre industrielle a suscité l’émergence de nouveaux héros. L’« as » est la consolation du troupier, la fierté de l’embusqué, la bénédiction du propagandiste. L’as accumule des succès, souvent faciles, qui donnent lieu à une macabre comptabilité et à une course aux records. Si on sait que l’issue des cinq premiers combats est généralement fatale au néophyte, l’as est un survivant, qui tue des néophytes en état de sidération et, quelques fois, défie un expert ennemi. Les plus grands as, au sens statistique du terme, se gardaient bien d’affronter leurs pairs... L’as ne produit qu’une vaine gloire. La défensive et l’infériorité numérique accroissant les chances de "performer", les grands as sont l’apanage des nations vaincues.


La Première Guerre mondiale a produit l’as aviateur (Guynemer - 56 victoires, Richthofen - 80), puis, face à l’inutilité des orgueilleuses flottes de dreadnoughts, des as sous-mariniers allemands (Lothar Eugen von Arnauld de La Perière, 194 navires, dont deux petits navires de guerre). La Seconde Guerre voit apparaître deux nouvelles spécialité : le casseur de chars allemand et le tireur d’élite russe. Le recordman des snipers, le finlandais Simo Häyhä (1905-2002), revendique 705 victimes en cent jours. L’Allemagne a produit des tankistes. Arrêtons-nous sur les trois plus grands.


Kurt Knispel est sous-officier allemand des Sudètes, anticonformiste et antinazi. On lui accorde 190 victoires, dont 162 confirmée. Il ne sera jamais promu, ni décoré et perdra la vie en avril 45 dans des circonstances inconnues.


SS-Hauptsturmführer (capitaine) Michael Wittmann, 138 chars et 132 canons détruits, est l’exact opposé. Ce bel et orgueilleux aryen fut porté aux nues par la propagande nazie. Il serait probablement oublié s’il n’avait pas, à lui tout seul, ou presque, anéanti une brigade blindée britannique à Villers-Bocage en Normandie, un fait d’armes irrécusable, avant de se faire bêtement tuer deux mois plus tard.


Otto Carius est le suivant au palmarès (150 chars), le seul à avoir publié des Mémoires, qui viennent d’être traduites en français. Le trop petit et trop frêle jeune homme est refusé deux fois par l’armée. Enfin accepté, il est versé dans les blindés et rejoint le front russe en juin 1941, qu’il ne quittera que fin 44, sur blessures et couvert d’honneurs. Après la défaite, il se lance dans des études de pharmacie et ouvre sa propre officine, La Pharmacie du Tigre. Il prendra sa retraite en 2011 et décèdera, 4 ans plus tard, dans son lit, au bel âge de 92 ans.


Otto semble épargné par toute idée de repentance, il n’a fait que son devoir. Il n’évoque qu’une seule fois l’antisémitisme, celui des Ukrainiens qui les accueillent en libérateurs – ils déchanteront – après avoir incendié les commerces juifs, c’est court.


Plus intéressant est sa description de l’extraordinaire cruauté du conflit. Le front est immense. Les généraux sont loin et impuissants. Localement, la ligne est tenue par des régiments aux ordres d’un colonel. S’il est bon, le front tiendra un temps. S’il est incompétent, ou seulement inattentif, la position sera submergée, la troupe anéantie, peu ou pas de prisonniers en Russie. Il ne manque pas de citer les chefs méritants, la plupart sont tués. S’il décrit quelques-uns de ses combats, il commente et se fait pédagogue. Il ne suffit pas de commander un Tigre pour survivre, il insiste sur le travail en équipage, la coordination entre sa section de chars et l’infanterie d’accompagnement. Avant chaque déplacement, Otto étudie la carte, puis vérifie, sur le terrain, le relief, les coupures d’eau et les ponts, les positions amies et ennemies. Il dort peu. Au feu, une règle absolue, ne jamais offrir son flanc à l’adversaire, reculer peut-être, mais faire face.


Il méprise les Américains, qu’il juge allergiques à toute prise de risque, mais reconnait courage et professionnalisme aux Russes. Le fameux rouleau compresseur n’explique pas tout, les maréchaux rouges mystifient le commandement nazi, n’attaquant jamais là où ils sont attendus. Il insiste sur l’importance de l’entrainement, qui épargne le sang, et l’expérience. Les bleus ne survivent qu’en observant et mimant les anciens. Le feu tue et aguerrit rapidement, de vieux guerriers ont moins de vingt ans. Dure époque.


P.S. Curieusement, le pacifique Hayao Miyazaki a adapté le livre en manga, lui donnant les traits de Porco Rosso. Insigne honneur.

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le 23 sept. 2019

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Step de Boisse

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