Des os dans le désert par Tryste Oil Hugo
Bolaño le disait de la tradition du livre d'apocalypse – si ce livre ne prophétise rien, surtout pas une fin (espère encore), c'est bien de cette tradition, de ces livres où le monde s'effondre sur lui-même dans une grande lumière crue & où la vérité enfin, à la fin, se révèle : l'horreur et la déchéance du monde. Sauf qu'ici le monde qui s'écroule est le Mexique, le vrai, celui où un jour peut-être vous irez en vacance, où vous irez faire un tour pour voir, par curiosité. Et assurément vous ne verrez rien & si vous voyez il sera alors trop tard, pour vous.
Comme si les prêtres Aztecs étaient toujours au pouvoir, à sacrifier au sommet de leurs pyramides. Sauf que ces prêtres sont modernes, surement habillés à la dernière mode & riches & puissants, roulant dans de grandes voitures noires entourés de gardes aussi dévoués que des chiens. Car ce sont des chiens.
On se demande comment si facilement un pays peut glisser dans l'abîme, si simplement, comment tout cela peut être vrai, que ce n'est pas le délire horrible d'un paranoïaque qu'on a tenté de tué quelques fois, peut-être par hasard. Ceci un cauchemar ultra-renseignés, documentés, un parmi d'autres qui font le même cauchemar seulement entendu par les impuissants. Toutes les monstruosités qui poluent nos imaginations devenant vraies, dans l'impunité authentique, véritable, pas nos impunités gentilles d'occidentaux, non. Le pouvoir central lui-même participant, étant le monstre, le pouvoir pseudo-démocratique – oui c'est difficilement croyable, et pourtant si logique ; l'envers pur de notre monde moderne. Et nos pays d'occident, sont-ils si pur de cet horreur ? Notre pouvoir : intact de l'abîme ?
Ce livre n'est pas un roman, c'est une chronique obstinée et effrénée. 15 ans, à peu prêt chronologiquement, 15 ans de Ciduad Juarez, ville de la frontière nord du Mexique, où le meurtre (et le viol toujours suivi du meurtre) de femmes est 500% supérieur au reste du Mexique (plus précisément : autant de femmes y sont tuées que d'hommes, et beaucoup d'hommes sont tués, plus que presque dans aucun pays au monde), 15 ans exposés dans ces pages, à un rythme de maniaque, de dément par un étalement obstiné, cru & systématique & concis des faits & des preuves. Rodriguez n'est pas un bon écrivain, lorsqu'il quitte le régime de l'exposition des faits, il est médiocre, mais il est aussi bon investigateur que journaliste, aussi impitoyable & inarrêtable.
Une chronique furieuse, des faits encore des faits encore des faits, témoignages, reportages, & des noms, une infinité de noms, de personne, comme si tous les puissants du mexique, les légaux et les illégaux, participaient à une soif de pouvoir et de violence et dont ne sais même pas quoi, tant rien ne justifie sauf le pire & la folie ces horreurs. Des faits rien que des faits, documentés sans fin, rappelés sans fin, réhitérés, Rodriguez lui-même parfois s'y perd, se répète, se contre-dit - lui même ne sait plus les organiser, trouver leur cohérence, leurs justifications, leurs raisons. Des morts & des mortes & des mortes & des mortes. À la fin toujours pas la moindre certitude pourquoi, ce qui demeure pour moi le plus dur : massacre sans cesse et pas l'ombre d'une justification. Comme si le mal pur – Bolaño sur ce massacre a peut-être raison, la clé du monde, ou du moins de l'horreur en l'homme, est peut-être à la frontière du Mexique.
Si tout cela est belle & bien réel et pas le délire de quelques organisations pas très importantes comme l'ONU, Amnisty international ou le nec-plus-ultra du journalisme.
Le complément de 2666 de Bolaño, ou l'inverse je ne sais. La version séculière, physique (il s'agit d'un mal), là où Bolaño est l'éternel, le métaphysique (car il cherche le Mal).
Je ne regarderai plus de même les mexicaines que je croise, je n'irai jamais dans ce bout du monde qu'est cette frontière ; ce lieu qui à la fin de ces 300 pages ne ressemblent pas au far-west mais à l'enfer, à une peinture de Bosch, à la musique Exit de The Fire! Orchestra - sauf que c'est le réel, terriblement réel.