Dompter la bête par MarianneL
«Les yeux fermés, la lumière chatouillant ses paupières, Àris cherchait son portable. Il tira le drap, fouilla les replis mous de la couverture, sa main effleura sa poitrine chaude et suante. Puis il attrapa quelque chose de dur dépourvu de clavier et comprit aussitôt qu’il tenait sa queue. Il sourit et se rendormit.»
Politicien grec bien installé dans le système, conseiller d’un ministre, Àris Pavlòpoulos se préoccupe plus de ses obsessions sexuelles, de son jeu de tauromachie érotique avec sa maîtresse, que des affaires publiques. Corrompu par le temps, le pouvoir et le renoncement à ses combats de jeunesse, il s’éloigne, écarté par son ministre, du monde politique. Ayant autrefois publié un recueil de poèmes, ses rêves de grandeur redeviennent littéraires, il voudrait susciter des frissons et de l’admiration à la lecture de ses vers, mais peine à composer un unique poème pour la soirée de l’Union des écrivains dont il est l’invité.
Furieux quand on veut le corrompre au vu de la somme mesquine qui lui est proposée, personnage pathétique qui n’a plus aucun proche (mais en a-t-il jamais eu ?), il retrouve ses souvenirs, une part de lucidité et un morceau de sa vie et devient attachant, bien qu’il soit pitoyable, en voulant être poète.
Héros tragi-comiques, ambigus comme Àris, les autres personnages forment une galerie de portraits de la bonne société grecque, beaucoup plus décapante que tout article de presse, autour d’une famille en ruines ; l’adolescent rebelle qui ne s’émancipe pas vraiment, l’épouse anorexique et dépressive, la vieille mère alcoolique et un peu folle qui s’identifie à l’héroïne des Feux de l’amour.
L’autre personnage central est là en arrière-plan, figure de la colère avec son bonnet rouge, d’une forme d’innocence aussi, il est le trublion qui fascine ou qu’on écrase quand on est un puissant, il est le lien entre les membres de cette famille si distants, celui qui les relie et aussi les éloigne.
Dompter la bête, un livre au très beau titre, ambivalent jusqu’au bout.
«Il regarda le verre dans sa main, le glaçon avait fondu. Tout foutait le camp. Il se demanda s’il était le même homme que celui assis le matin à cette même place, plein d’idées, de confiance en soi. La lumière du soir baignait les meubles de reflets assourdis, la surface de la table luisait comme une peau morte […] Et si j’écrivais un poème pour me mettre à nu ? se demanda-t-il. S’il écrivait un poème sur son état présent, le sentiment d’échec, de temps perdu ? Sur Penny nue dans l’obscurité et lui qui attendait en tremblant les bruissements de l’étoffe rouge ? Sur le mugissement des bêtes qu’il croyait entendre dans la chambre, le vertige du vide qui s’emparait de lui des qu’il mettait le masque et se jetait toutes cornes dehors sur sa victime, les moments d’extase quand il serrait son corps puis son cou entre ses mains, au bord de passer à l’acte ?»
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