Voici un livre éprouvant, mais qui a certainement dû marquer les esprits lors de sa parution il y a 30 ans de cela !
Écrit en 1973, soutenu par Philip K Dick, l'ouvrage n'avait pourtant pas trouvé éditeur à son pied avant 1984, signe que déjà à l'époque, son contenu gênait aux entournures.
On a pu parler de roman Cyberpunk (il est sorti un an avant Neuromancien), mais K. W. Jeter s'en défend dans la post-face du roman, qui contient une interview de l'auteur, et on ne peut pas vraiment lui donner tort puisque le roman fait pus penser à la SF sociale / sociologique d'un Brunner qu'aux univers ultra interfacé d'un Gibson.
La confusion est facilitée par la proximité calendaire des deux parutions (1984 pour Dr Adder, 1985 pour Neuromancien), mais le texte de Jeter est plus ancien de onze ans.
Alors de quoi est-il question exactement ?
On est face à une plongée dans une Amérique, et surtout un Los Angeles en pleine déliquescence, tiraillée entre une moralité religieuse prônée par le prêcheur télévisé Mox d'une part, et l'assouvissement de ses fantasmes sexuels même (et surtout) les plus inavouables, par le fameux docteur Adder, chirurgien plastique de génie de l'autre.
Les deux hommes se détestent cordialement, et chacun d'entre eux règne sur sa partie de L.A. Sans surprise, une bonne partie du roman va reposer sur cet antagonisme.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le personnage principal du roman, ou en tout cas celui que l'on suit de A à Z n'est pas le docteur Adder, même si ce dernier y occupe une place importante. Le personnage principal est un jeune homme arrivant à L.A. depuis son Arizona natal, et il découvre la ville dépravée en même temps que nous, ce qui permet une familiarisation en douceur avec cette ville bien particulière.
Le roman est résolument trash. La société américaine, qu'elle suive la voie morale ou hédoniste (on pourrait presque dire entropiste), repose sur l'usage de drogues ou de psychotropes. Le sexe est lui aussi omniprésent, tous les goûts, toutes les perversions pouvant trouver leur content.
La plupart des fantasmes enfouis, le bon docteur Adder les fait ressortir grâce à une drogue de synthèse lui permettant de les dévoiler. Et force est de constater que ce n'est pas joli-joli. Femmes amputées, sexes remodelés, junk-sexe (rapport avec des femmes / hommes tellement défoncés qu'ils ne se rendent même pas compte qu'on les baise)... les réjouissances ne manquent pas.
Mais il serait vain de limiter ce roman au au cocktail Sexe / drogue de cet L.A. des plaisirs. Comme dit précédemment, c'est le côté sociologique et social qui ressort du roman, avec cette vision ultra sombre de l'Amérique à venir qui est en fait (Jeter le dit lui-même dans l'interview de fin de livre) une vision poussée à l'extrême de l'Amérique contemporaine du roman (1973 donc).
Il cite même, en préambule du roman un extrait du courrier des lecteurs de Penthouse où il était demandé davantage de clichés de femmes amputées, preuve que son Amérique fictionnelle n'était pas si loin...
L'écriture est donc directe, brutale, et sans faux semblants. Cette Los Angeles est puante, sale, névrosée, et suinte du désespoir de sa population. Peu, voire pas de personnages positifs dans ce livre. Le narrateur se fait balloter par les évènements, Adder est un mégalomane cynique, Mox un manipulateur sans cœur, les personnes soi-disant morales sont aussi abjectes que les gens qu'elle critiquent, bref, on rit on s'amuse !
Malgré ce caractère très sombre, le roman est plaisant de part la qualité de l'écriture et l'humour grinçant qui s'en dégage.
Un très bon roman, qu'il faut néanmoins aborder avec le cœur bien accroché.