Echapper, c'est le genre de bouquin qu'on aimerait ne jamais avoir lu pour avoir le plaisir de le lire pour la toute première fois.
- Oh, je suis obsédé par cette idée que si nous nous réfugions dans les livres avec tant de hâte et de soulagement, c'est que la vie y est épurée de tout ce qui fait de nous des êtres plutôt pitoyables, intéressés et calculateurs profondément égoïstes, très rarement courageux, globalement dénués de grandeur et la plupart du temps avançant à tâtons comme des chiens perdus.
Le premier niveau de lecture de ce roman est le récit du parcours d'Augustin, un écrivain torturé cherchant à poursuivre l'enchantement dans lequel l'a transporté La Leçon d'Allemand, de Siegfried Lenz. Il se rend donc en Allemagne, dans la région où se déroule le récit de Lenz, avant de se rendre compte que la ville était imaginaire (ou a été ensevelie par la montée des eaux, comme le laisse parfois entendre Augustin). La leçon d'Allemand est l'histoire d'un peintre, Max Ludwig Nansen qui se voit interdit de peindre par le IIIème Reich, sa peinture n'étant pas dévouée aux idéaux nationaux-socialistes du régime. Le peintre dépeint derrière ce personnage n'est autre qu'Hans Emil Nolde, un expressionniste qui fut réellement invité à cesser de peindre, et qui figurât dans l'expo "Art Dégénéré" de 1937.
Ainsi, plusieurs mondes se corrèlent dans Echapper.
Augustin et Esther, Nolde et Ada, Nansen et Ditte.
Trois mondes distincts se superposent, se laissant de la place, mais pas trop non plus. Ainsi, Augustin compare et analyse en détail la vie de Nolde et celle du personnage de Lenz, cherchant à briser tout le mystère qu'entoure l'Artiste. Cependant, ces mondes s'effondrent totalement lorsqu'Augustin entre dans la réelle maison de Nolde –transformée en musée-, et plus encore lorsque nous découvrons par Susanne la chambre au grenier, celle de Nolde et de sa femme Ada. L'espace et le temps ne sont plus des repères, ce qui compte c'est l'état constant des choses : la passion, le travail, l'art, le sexe, l'admiration. Passé et présent se confondent jusqu'à ne faire qu'un.
Même sans repères spacio-temporels, il y a une espèce de jeu de miroir dans la seconde partie du roman. Augustin, que nous avons connu trompé, malheureux, suicidaire, devient le trompeur. Il devient l'homme qui rend heureuse la femme d'un autre. Et cet autre devient à son tour le trompé. C'est une espèce de gigantesque chiasme lyrique. Lorsqu'Augustin rencontre Klaus, le mari de Susanne, c'est comme une rencontre avec un alter-ego tout droit venu du passé. Les rôles sont inversés, il se rencontre surprenant à un coin de rue Esther et son amant. Cette relation entre trompeur et trompé brise complètement les barrières du temps, panse les plaies tout en les ravivant.
Bouleversant.