Il s'agit d'une petite critique en live. Vous attendez pas à du lourd !
Si ce n'est mentionné ni dans le titre, ni dans la quatrième, ne cherchez pas : il s'agit bien d'un livre sur l'autisme. Ou plutôt d'un livre sur les Troubles du Spectre Autistique, comme il est convenu de les désigner aujourd'hui. Même si, il arrive souvent aux auteurs de parler simplement des Aspies (pour autistes Asperger), qui est seulement une forme particulière d'autisme, qui fût désignée autrefois par un certain Hans Asperger.
Passons sur les questions de terminologie, qui seront potentiellement amené à évoluer dans quelques années de toute façon. On le voit donc : les auteurs ont préféré l'usage du mot "atypique", qui fait sans doute moins peur que le mot maudit. Mais surtout, il a aussi une ambition de sens, puisque parler d'intelligence neuro-atypique, qui se distingue de l'intelligence neuro-typique qui serait la plus fréquemment distribuée, c'est parler d'une forme d'intelligence particulière, avec ses lacunes et aussi ses points forts, qu'on retrouve aussi bien dans l'autisme que chez les personnes dîtes "douées" ou souffrant de TDAH.
Le docteur David Gourion et la psychologue Séverine Leduc nous livre donc un portrait de l'autisme, situé entre l'essai scientifique et le livre de développement personnel. Essai, car nos deux auteurs ne sont pas des gourous en scientologie, mais bien des spécialistes du sujet. Et livre de développement perso, car le livre s'adresse explicitement à des personnes qui se reconnaissent ou reconnaissent un proche dans cette façon de penser.
The nerd syndrom
Nos auteurs commencent par nous citer des personnalités célèbres qui, selon eux, seraient aussi des autistes célèbres. C'est ainsi que Albert Einstein n'est plus seulement un génie moustachu, mais aussi un garçon avec de grandes difficultés dans les interactions sociales. Charles Darwin est aussi qualifié d'autiste rétrospectivement par les auteurs. Plus près de nous, Marc Zuckerberg est décrit comme quelqu'un de brillant mais... socialement réservé, ce qui l'a poussé a développé son célèbre réseau social. On sait aussi que Elon Musk a avoué être autiste Asperger il y a plusieurs mois de cela.
Je n'ai pas les capacités de juger de ces réassignations rétrospectives, qui sont peut-être critiquables. Je me contenterai de pointer le but recherché, mais aussi les potentielles dérives d'une telle vision. Le choix théorique est simple : il s'agit de véhiculer une image positive de l'autisme. Cependant, il pose notamment la question du lien entre l'autisme et l'intelligence tout court : en effet, partir de cette vision, c'est faire comme si les personnes avec des TSA étaient nécessairement toutes surdouées. Revenons justement sur cet imbroglio !
La dispute en question
Gourion le dit explicitement : il s'inspire du courant anglo-saxon ayant forgé la notion de neuro-diversité. En particulier, avec le journaliste Steve Silberman, ayant popularisé cette expression dans son livre Neurotribes. Pour le dire vite, il s'agit d'un courant militant pour la neuro-diversité : c'est-à-dire pour l'inclusion de toutes les formes d'intelligence, y compris l'intelligence à dominante neuro-atypique, qui caractérise en particulier l'autisme. On peut donc voir ce livre comme une manière discrète pour l'auteur de populariser ce courant en France(*).
Les critiques qui sont formulées à l'égard de ce courant sont simples : faire l'éloge de la neuro-diversité, c'est très bien, mais ce n'est jamais parler que d'une minorité d'autistes intégrés, et ne souffrant d'aucune déficience intellectuelle particulière, voire étant particulièrement doués pour certains. Ce qui conduit à ignorer par conséquent que l'autisme est aussi parfois un handicap sévère, et qu'il ne rime pas forcément avec "surdoué". La réponse de Gourion à cette critique est simple : il ne cherche pas à nier que l'autisme est parfois associé à de grandes difficultés dans la vie courante, mais bien de produire une vision plus positive et intégratrice de l'autisme, ce qui favoriserait toutes les personnes avec TSA, quel que soit par ailleurs leur degré de handicap.
Et alors l'autisme dans tout ça ?
Vous vous doutez bien que je ne vais pas vous raconter tout le bouquin. Essayons simplement d'aller à l'essentiel :
La caractéristique la plus communément admise de l'autisme, c'est bien sûr la difficulté dans les interactions sociales. A ce titre, le livre nous apprend que c'est sans doute grandement dû à une différence dans la connectique du cerveau : de mémoire, je crois que certaines parties du cerveau sont hyper-connectées, tandis qu'au contraire, les zones responsables des interactions sociales seraient en moyenne sous-connectées. C'est ce qui explique chez les autistes sans déficience intellectuelle cette capacité à raisonner, les faisant passer parfois pour de "petits professeurs", pourtant accompagnée parfois d'une difficulté à s'exprimer et à interagir.
En effet, c'est une autre caractéristique de la pensée atypique ou autistique : la tendance à avoir une pensée hyperlogique. Plutôt pratique en apparence, elle peut s'avérer néanmoins handicapante dans certains domaines. Par exemple, les autistes ont en moyenne plus de difficulté à comprendre la pragmatique du language** ; autrement dit : le fait que la question que vous leur posez n'est pas la question que vous leur posez (je résume à gros traits, hein - y a quelques raccourcis !)
Enfin, on pourrait citer encore : une attention soutenue au détail (qui là encore, peut être hypereffective, mais aussi parfois surchargeante) ; une hyperesthésie dans de nombreux cas ; de bonnes capacités de mémorisation en moyenne ; et une capacité à reproduire le schéma d'ensemble, lorsque toutes les données sont disponibles. Je vais m'arrêter là pour le moment. Pour le reste, il faudra vous tourner vers le bouquin.
Conclusion :
Ce livre a donc été écrit à quatre mains par un psychiatre et neuro et une psychologue. Si aucune partie n'est signée nominativement, j'aurais tendance à attribuer la première partie à Gourion et la troisième à Leduc. Il me semble aussi que Gourion évoque le cas du fait qu'il est lui-même autiste, en jouant avec les pronoms personnels dans une partie du livre. Mais bien sûr, je peux me tromper.
Une chose est sûre : je ne peux que le recommander pour toute personne qui souhaiterait découvrir le sujet. Il est d'ailleurs plus intéressant de mon point de vue sur le plan des données scientifiques que pour son côté "développement perso". En effet, la dernière partie, intitulée "comment aller mieux" reprend largement des éléments des parties précédentes, avec cependant un peu plus d'empirie, mais n'apporte rien de transcendant en terme de conseils.
En résumé : une lecture agréable et stimulante, que je conseille.
(): On part du principe - peut-être à tort - que l'éloge de la neuro-diversité esquissée dans la première partie, est plutôt l'oeuvre de David Gourion.
(*): La pragmatique du language peut être rapidement décrite comme la capacité à comprendre un message linguistique en fonction du contexte dans lequel il est formulé.