Babakar, un obstétricien qui officie dans les quartiers peu argentés de Guadeloupe, est le personnage central de ce roman tropical. Bâti entre une Afrique de l’ouest asphyxiée par ses conflits tribaux et ses guerres civiles, les Antilles françaises et Haïti, Maryse Condé revient sur le parcours de son héros qui est assez proche du sien.
Né d’un père bambara et d’une mère guadeloupéenne, le jeune Babakar grandit dans le Mali d’Amadou Hampaté Bâ. Le lecteur redécouvre des villes déjà visitées par l’éminent écrivain peul – Bamako, Ségou, Mopti – sans toutefois pousser jusqu’à Bandiagara. Papa est un ancien dignitaire de l’après indépendance aujourd’hui écarté du pouvoir et placé à un poste secondaire de directeur d’école d’une petite ville de province éloignée. Maman, en sa qualité de femme étrangère et très instruite, ne s’intègre pas à la communauté. Ses yeux bleus lui confèrent un statut de sorcière. Respectée et crainte. A sa mort, elle laisse un Babakar perdu : il rêvera toute sa vie de sa mère qui viendra lui parler, le conseiller dans ses songes nocturnes.
Parti faire médecine à Montréal, il rencontre Hassan dont il deviendra l’ami intime. Son diplôme en poche, il le suivra dans son pays – pays qui n’est jamais nommé mais qui m’évoque la Côte d’Ivoire. Pays ravagé par les guerres successives que se livrent nordistes et sudistes : coups d’états à n’en plus finir, le sud brûlant le nord, le nord massacrant le sud. Babakar est constamment au milieu, le cul entre deux chaises : assimilés aux nordistes par sa nationalité malienne et son amitié avec Hassan, le chef de l’armée nordiste, et d’intérêts sudistes par l’origine de sa femme. Après avoir perdu sa mère, Babakar perd sa moitié et leur fils, assassinés lors d’une énième passation de pouvoir.
Réfugié sur l’île de sa mère depuis de nombreuses années, Babakar vivote et tente de se reconstruire tant bien que mal. Appelé au mitan de la nuit au chevet d’une parturiente, il n’arrive que pour constater le décès de celle-ci. Dans un état second, il a alors un geste qui va bouleverser sa vie : il se saisit de la nouvelle-née et, croyant retrouver son enfant disparu, emporte celle-ci chez lui. Un geste qui va l’entrainer fort loin, jusqu’en Haïti, entre coups d’état et répression, entre misère et famine, entre alizés et cyclones, au cœur du monde vaudou (orthographié « vodou » par Maryse Condé).
Cette montée des eaux qui menace de disparition les îles (et les insulaires) est un voyage sous les tropiques qu’à fait l’auteur au cours de sa vie (dans un sens différent toutefois). Par son texte empreint de termes créoles, Maryse Condé nous conte les tragédies qui s’abattent sur les miséreux qui n’ont souvent d’autres aspirations que de vivre tranquillement. Guerres, guérillas, racisme, misère, tempêtes, inondations, sècheresses, tremblements de terre… tout y passe. Babakar est particulièrement éprouvé, tout comme les deux hommes que son parcours international attache à ses pas : Movar, un haïtien et Farid, un palestinien. Trois hommes déglingués que la chance a toujours boudés. Un texte d’une grande poésie, d’un profond exotisme dans lequel on retrouve les traces de Jacques Roumain ou de Jacques Stéphen Alexis.
Dépaysant !
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le 4 févr. 2014

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