Le Havre que j’avais oublié, que j’avais méprisé, Le Havre brisé, Le Havre martyrisé, mon Havre de vent, de pluie, de grâce, mon Havre cubiste sous des ciels impressionnistes, qu’on doit peindre ou filmer pour l’aimer, Le Havre est la plus belle ville de ma vie.
Marie-Aude Murail est née au Havre (ville que j’adore). Je l’ignorais. En fait, je ne savais absolument rien d’elle ni de sa vie, en dehors d’avoir aperçu une fois ou deux sa photo en miniature au dos d’un livre ou sur un bandeau peut-être, une petite frimousse sous un béret. Ce que je savais très bien en revanche, c’est l’immensité du plaisir que ses livres m’apportent. L’affection folle que je ressens pour Miss Charity, la manière dont le monde s’estompe quand j’ouvre un volume de la série Sauveur & fils, les pleurs que j’ai versés sur la mort de Dickens dans la biographie qu’elle lui a consacré, de tout ça je lui suis redevable et par conséquent, c’est avec entrain que j’ai ouvert ce livre de mémoire. A partir des documents trouvés en vidant la maison de ses parents, Marie-Aude Murail retrace l’histoire de sa famille et partage leurs écrits et correspondances. Elle se raconte à travers tout ça et c’est passionnant. Evidemment parce qu’elle est une autrice de grand talent, mais aussi parce qu’elle fait preuve dans ce livre d’un grand courage et aborde des sujets réellement intimes. Avec pudeur et tact, mais sans dérobades. Un livre fabriqué de plus avec beaucoup de soin, joli papier, délicate couverture, de nombreuses photos et extraits de lettres reproduits, un formidable travail de mémoire, un portrait de femme accomplie, énormément d’amour, un superbe cadeau.
Par une de ces boucles temporelles que la vie nous réserve quand nous vieillissons, je me suis retrouvée ce jeudi au CDI du collège Charlemagne, dans le IV° arrondissement de Paris, face à la classe de madame Bouaziz, qui fut la professeure de français de mon fils aîné en sixième et a cette année pour élève l’une de ses filles. Sur le mur du collège, avant d’en franchir le portail, j’ai pu lire cette déclaration tracée à la bombe par quelque ado no future : « En raison de l’indifférence générale, demain a été annulé », ce dont j’ai fait part aux petits sixièmes de madame Bouaziz. « Y a pas piscine alors ? » s’est prise à espérer une rouquine de 11 ans. Je crois que je les aime toujours autant.