Ensemble séparés, le dernier roman traduit de l'irlandais Dermot Bolger, possède des allures d'étude de moeurs matrimoniale avec ses trois personnages principaux au bord de la crise de nerfs : Chris et Alice, son épouse, et Ronan, voisin le plus proche, "meilleur ami" de Chris et premier amour d'Alice. Trois caractères dissemblables : timoré pour l'un, dépressif pour elle, arrogant pour le dernier. Ceci pour les traits apparents car la richesse du roman vient en grande partie de sa profondeur psychologique. Le livre s'attarde sur chacun d'eux à tour de rôle, relatant tout aussi bien leurs réactions aux événements en cours (traumatisants) que leur passé, souvent source de frustrations et marqué par un drame (pour Chris et Alice). Plus brièvement, Sophie, leur fille, intervient également et Bolger utilise pour une fois le "Je" comme pour montrer que celle-ci, qui a également un secret, est la seule à ne pas se mentir et à préférer la vérité aux compromis(ssions). Au-delà de ses personnages, que l'auteur ne ménage pas, Ensemble séparés trace le portrait d'un pays (en 2007) qui n'a plus rien à voir avec l'image traditionnel de l'Irlande, enivré par le capitalisme, au paroxysme de la bulle spéculative immobilière. Au bord du précipice, ni plus ni moins. En fin stratège, Dermot Bolger conduit son roman de main de maître, avec un tempo plutôt lent dans sa première partie, qui s'accélère ensuite dans un rythme de thriller jusqu'à son étonnant dénouement. Outre ses protagonistes irlandais, le livre réussit aussi une évocation saisissante de l'émigration avec notamment l'épouse philippine de Ronan et plusieurs ouvriers dont l'histoire de l'un d'eux, venu d'ex-Yougoslavie, est terrible. Et dire que le livre ne semblait être rien d'autre qu'un récit d'un mariage qui part à vau-l'eau ! Quelle densité dans la trame du roman et quelle rouerie d'écrivain chez Bolger pour nous emporter sur des territoires bien plus étendus.